Assurance-maladie : le défi de la compétitivité

Assurance-maladie : le défi de la compétitivité
octobre 09 18:24 2012 Imprimer l'article

Le problème de l’assurance-maladie n’est plus les dépenses, qui sont maitrisées. Depuis 2010, l’Objectif national des dépenses de santé (ONDAM) est respecté, et même réalisé à un niveau inférieur aux prévisions. Le défi à relever est celui du coût structurel de la production de soins, en ville et à l’hôpital. Comme dans l’industrie et les services, il est temps de provoquer « un choc de compétitivité » dans la santé. Quand Louis Gallois (photo) en aura fini avec l’industrie, il aura peut-être le temps de se pencher sur l’hôpital.

Compétitivité ! C’est le mot de l’année, celui qui explique tous nos malheurs économiques : désindustrialisation, délocalisation, déficit extérieur, perte d’attractivité du site France, comme disent les économistes, qui, d’ailleurs, réduisent le problème de la compétitivité à la question du coût du travail. Chargé d’un rapport sur le sujet, Louis Gallois estime qu’il faut « créer un choc de compétitivité ». Venant d’un patron « de gauche », cela ne se discute pas. D’ailleurs, avant même d’avoir reçu la copie de l’ancien PDG de la SNCF et d’EADS, le président de la République aurait décidé, si on en croit les gazettes, d’alléger le coût du travail en transférant une part significative des cotisations sociales des entreprises vers la CSG.

876 millions d’euros d’économies sur le médicament

Et si la compétitivité ne concernait pas seulement l’industrie et les services, mais aussi le secteur de la santé ? Dans ce domaine, le raisonnement économique est assez simpliste : L’assurance-maladie est en déficit. Il faut réduire les dépenses, en baissant les prix et les remboursements. Depuis 25 ou 30 ans, c’est la course à l’échalote : déremboursements de médicaments et d’actes, baisse de cotations et des taux de remboursement, création de franchises, etc…Et pourtant, les dépenses d’assurance-maladie continuent d’augmenter et le trou de la Sécu de se creuser. Cherchez l’erreur !

Certains on cru la trouver, en répétant à satiété cette antienne : « les Français consomment trop de médicaments ». Le PLFSS 2013 n’échappe pas à la règle. 876 millions d’euros d’économies sont attendus sur le poste médicament, à grands coups de baisse des prix des médicaments princeps et d’alignement de celui des génériques sur le plus bas de sa catégorie. Avec cette idée de surconsommation des médicaments, on raisonne toujours comme si ce pays était peuplé de 63 millions d’hypocondriaques qui se précipitent tous les matins à la pharmacie pour faire leur plein de gélules. C’est oublier que la consommation médicale, et donc de médicaments, est extraordinairement concentrée. 10 % de la population – malades chroniques et grands malades pris en charge à 100 % au titre d’une ALD – génèrent 70 % de la dépense de santé remboursée. Les grandes campagnes de communication incitant à la moindre consommation de médicaments sont d’une totale inutilité, sauf pour les agences de publicité qui les vendent à l’Etat et à l’assurance-maladie.

Il faut sauver le soldat DMP du naufrage

Il faut aller à la source, c’est-à-dire à la prescription. Pourquoi une consultation médicale se conclue-t-elle à 85 % en France par une prescription, contre 60 à 70 % en moyenne dans les autres pays européens ? Essentiellement parce que les médecins, particulièrement les médecins généralistes, sont conduits à faire « de l’abattage » en raison de la structure tarifaire de leurs actes. A 23 euros la valeur uniforme de la consultation, ils sont obligés de faire du stakhanovisme médical. Il a déjà été expliqué sur Pharmanalyses l’importance de mettre en place une nomenclature des actes cliniques qui distinguerait la consultation de base de la consultation clinique approfondie. Il faut aussi développer le système d’information permettant au médecin d’orienter le patient et suivre son parcours médical, en évitant les doublons et les redondances de prescriptions. A cet égard, il serait temps de sauver le soldat DMP du naufrage !

Certes, il est important d’avoir des médicaments efficients et au juste prix sur le marché. Mais la course permanente à la baisse des prix des médicaments a ses limites. Il faut changer de paradigme en poussant l’industrie pharmaceutique à mettre sur le marché des produits innovants à un prix plus élevé intégrant l’innovation en contrepartie d’une baisse significative des volumes – allant au-delà du tassement constaté ces dernières années – obtenue par un changement des conditions d’exercice des médecins leur permettant de substituer la clinique à la prescription. Ce serait un vrai choc de compétitivité en médecine de ville.

Il faut s’attaquer aux coûts structurels

Les projets de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) sont construits sur le concept de la maîtrise de la dépense, l’objectif étant d’avoir un ONDAM le plus faible possible en comprimant les prix. Or, la dépense est maitrisée depuis plusieurs années (voir tableau ci-dessus). Elle l’est tellement qu’en 2012, l’ONDAM sera réalisé avec une dépense constatée inférieure de 350 millions d’euros sur les prévisions initiales. Quant à l’ONDAM 2013 (2,7 %), il est appliqué sur la dépense constatée en 2012 et non sur l’Objectif prévisionnel, c’est-à-dire sur une base inférieure de 350 millions. Avec une inflation aux alentours de 2 %, la progression des dépenses de santé est, en euros constants, quasi-nulle. Et pourtant, malgré cette maitrise, l’assurance-maladie reste en déficit (5 milliards prévus en 2013) et les dépenses de santé représentent 10 % du PIB, un des taux les plus élevés des pays de l’OCDE.

Le déficit a pour cause la chute des recettes provoquée par l’explosion du chômage, les cotisations sociales constituant l’essentiel des recettes de la Sécurité sociale. Le poids des dépenses de santé dans le PIB s’explique par le coût structurel de la production de soins. Le problème n’est plus de s’attaquer au prix mais aux coûts.

C’est l’erreur stratégique de la convergence tarifaire fondée sur la T2A, la rémunération à l’activité des établissements hospitaliers. L’idée était d’aligner le prix des activités sur les plus bas du marché, en l’occurrence ceux des cliniques privées. Sauf que l’on a oublié que les prix résultent de la construction des coûts. Or, ceux-ci ne sont pas les mêmes dans les hôpitaux que dans les cliniques. Plutôt que d’une convergence des prix, il faudrait tendre vers une convergence des coûts. Mais l’exercice est plus complexe dans un secteur – l’hôpital – dans lequel les coûts fixes sont extrêmement importants : 70 % du budget d’un hôpital sont constitués de frais de personnels. Si on ajoute les autres coûts structurels, on arrive à des coûts fixes de 85 %.

Des modes de financements des hôpitaux aberrants

On ne résoudra donc pas la question de la dépense hospitalière sans prendre en compte les coûts de structures et en mettant sur la table des questions taboues à ce jour :
♦ Ratio de personnels,
♦ Productivité,
♦ Rationalisation de l’offre hospitalière,
♦ Réaménagement de la carte hospitalière,
♦ Chirurgie ambulatoire,
♦ Transfert d’activités vers d’autres structures plus souples,
♦ Cogestion des urgences avec la médecine de ville..

Selon le dernier rapport de la Cour des comptes, les hôpitaux ont accumulé une dette de 30 milliards d’euros qu’il leur est impossible de financer, du fait notamment de la déconfiture de la banque Dexia. Les agences de notation dégradent la note de plusieurs établissements et, l’impensable est arrivé avec la faillite d’un hôpital, en l’occurrence le CHU de Caen qui ne peut plus payer ni ses fournisseurs ni ses autres charges à l’exception des salaires des personnels. Pour calmer le monde hospitalier, la ministre de la Santé, Marisol Touraine, avait annoncé dès son installation avenue de Ségur la fin de la convergence tarifaire, ce qui est inscrit dans le PLFSS 2013. C’est une nécessité à court terme sauf à vouloir conduire tous les hôpitaux vers la Bérézina, à la mode de Caen. Mais si, aucune réflexion sur le coût structurel, la productivité et les missions de l’hôpital n’est engagée, rien ne sera résolu et les établissements hospitaliers continueront à vivre au gré des aléas politiques comme c’est le cas depuis la nuit des temps ou plutôt depuis qu’ils sont dans la sphère publique.

Depuis 1941, date à laquelle ils ont été ouverts à tout le monde et plus seulement aux pauvres, les hôpitaux ont connu trois modes de financement aussi aberrants les uns que les autres. Le premier a été le prix de journée qui était une vraie corne d’abondance, puisqu’il suffisait de multiplier les journées d’hospitalisation en allongeant les séjours pour remplir les caisses. Ainsi, dans les années 70, les budgets des hôpitaux ont augmenté allégrement de 10 à 12 % au dessus de l’inflation. Pour mettre fin à cette dérive, le budget global a été mis en place dans les années 80. Cette enveloppe fermée était, en théorie, une garantie de maîtrise de la dépense, sauf qu’elle créait des rentes de situation pour les hôpitaux peu dynamiques et pénalisait les hôpitaux en forte croissance pour lesquels il fallait, régulièrement, trouver des budgets complémentaires.

L’aberration de ces deux modes de financement était de découpler activité et financement. C’est pour y remédier qu’a été inventée la tarification à l’activité (T2A), qui lie le financement à l’activité, avec quelques effets pervers dont le fait de pousser les établissements à se spécialiser sur les activités les plus rémunératrices. Mais l’erreur a été l’application de la T2A. Au lieu d’utiliser cette connaissance sur l’activité hospitalière et ses coûts pour améliorer l’efficience et la productivité, et s’interroger sur la pertinence des actes, l’Etat a imposé la convergence tarifaire en espérant que par la magie concurrentielle, les problèmes de coûts structurels seraient résolus, ce qui était évidemment illusoire.

Il faut donc reprendre ce chantier et chercher un choc de compétitivité dans l’hôpital. Mais, sur ce point, le PLFFS 2013 est muet. Quand Louis Gallois en aura fini avec l’industrie, il aura peut-être le temps de se pencher sur l’hôpital.

Philippe Rollandin

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