Quel avenir pour les médecins généralistes traitants ?

Quel avenir pour les médecins généralistes traitants ?
janvier 06 17:40 2022 Imprimer l'article

Le syndicat des généralistes MG France a organisé le 3 décembre dernier un colloque au ministère de la Santé sur le thème « un médecin traitant pour tous : à quel prix ? ». La rencontre a permis de dresser l’état des lieux des différentes modes d’exercices de la médecine générale, de préciser leurs difficultés, de définir leurs attentes et de dresser quelques pistes d’évolution souhaitée pour l’avenir.

De 2012 à 2021, lees médecins généralistes libéraux ont vu passer leur nombre de 64 000 à 57 000, a fait savoir en introduction le Dr Jean-Louis Bensoussan, secrétaire général de MG France. Ce tableau de la démographie, qui enregistre 7,5 % de médecins généralistes en secteur 2, doit être complété par celui des revenus, qui atteignent 91 000 euros pour les médecins généralistes contre 157 000 pour les praticiens des autres spécialités.

Quel modèle, pour quelle organisation économique, à quel prix ?

Jean-Charles Leclerc, secrétaire général de la Fédération nationale des médecins radiologues (FNMR) a rappelé que sa profession rassemble 4 000 praticiens libéraux, auxquels il faut ajouter 30 000 collaborateurs de professions diverses. Les ressources de l’entreprise libérale s’appuient sur le paiement à l’acte, basé sur une CCAM qui date de 2005, pour payer le personnel, les équipements (un scanner coûte un million d’euros), les locaux, les formations du personnel ou encore les démarches qualité. « Nous vivons des baisses de cotation quasi annuelles », a fait savoir le radiologue. Des baisses qui se traduisent sur 10 ans par une perte d’un milliard d’euros, qui ont impacté l’imagerie médicale.

« Notre modèle a des limites, du fait des baisses tarifaires », commente J-C Leclerc, qui entrainent « une dégradation de la prise en charge médicale du patient », « des fermetures de sites imposées par des regroupements, forcés par les conditions économiques imposées ». Toutes choses qui aboutissent à des difficultés d’accès aux soins, à des désertifications ou encore à une moindre prévention et dépistage des cancers. « Nous vivons de grandes difficultés pour faire des plans d’investissements lorsque la règle du jeu change tous les ans ! » A ces contraintes et difficultés s’ajoutent la limitation du parc Scan/IRM ou encore « l’arrivée, comme en biologie, de prédateurs financiers qui sélectionnent les centres d’imagerie à acheter les plus rentables ».
D’une façon générale cette situation économique constitue, aux yeux du président de la FNMR, « un frein à l’innovation ». Pour surmonter ces handicaps et rompre avec un modèle « qui ne permet pas de prendre plus de patients », ce dernier demande de « sortir de la logique d’enveloppes fermées, avec des entrées qui soient à la hauteur du taux de charge » « Nous devons travailler ensemble, avec les médecins généralistes, en amont de la demande d’examens, en bonne relation avec la pathologie recherchée, afin que nous fassions les bons examens radiologiques et évitions les examens inutiles », a conclu Jean-Charles Leclerc.

« Notre modèle actuel est bousculé », avance de son coté Pascal Gendry. Pour le président d’AVECSanté (ex FFMPS), structure qui regroupe les maisons et pôles de santé pluri-professionnels (MSP), ces dernières vont devoir augmenter leur patientèle. « Il n’est pas question de laisser une partie de la population sur la touche ». la patientèle des MT en MSP est de 10 à 15 % supérieure à celle des médecins isolés et la structure permet d’absorber plus de patients. « Nous avons un double enjeu : comment nos structures peuvent accompagner plus de patients et comment déployer ce nombre de structures sur tout le territoire ». Le modèle des MSP repose sur le paiement à l’acte, abondé par des forfaits structure et patientèle, appuyé par l’ACI [Accord cadre Interprofessionnel], qui constitue un soutien financier pour faire fonctionner la structure. « Cela permet de financer un système d’information, une fonction de coordination, d’indemniser des professionnels pour leurs réunions de travail, mais ce n’est pas un revenu supplémentaire pour le médecin », note le président. A cela s’ajoutent quelques expérimentations, permises par l’article 51 de la Loi de financement de la sécu de 2018, qui bousculent le système et « permettent d’absorber une patientèle un peu plus importante ». Mais le modèle actuel connait aussi ses limites ! Elles se situent dans le « tout à l’acte », qui ne permet pas de changer les manières de travailler en équipe pluri-professionnelle. Sans compter que le coût de fonctionnement en équipe n’est pas couvert, si ce n’est par l’augmentation de la patientèle. Enfin, l’ACI est calculé sur la base de la patientèle médecin traitant et dès lors qu’un médecin part à la retraite, ce départ impacte fortement la structure. « Jusqu’à ce jour, l’ACI a été peu évolutif et il a besoin d’un coup de boost pour « faire murir » ces structures », note Pascal Gendry. Dès lors, quelles solutions apporter pour permettre au modèle d’évoluer ? « C’est répondre à la question du prix de la réorganisation des soins primaires, poursuit ce dernier. C’est la volonté d’avoir une capacité plus grande à structurer les équipes, donc à financer les organisations qui permettent par des protocoles, par des locaux, par un système d’information adapté et aussi par des pratiques professionnelles nouvelles, d’accueillir des patients en nombre plus important et peut être avec un accueil qui ne relève pas que du médecin traitant ». A ses yeux, les autres professionnels peuvent aussi accueillir des patients dans une logique d’équipe, à partir du moment où cette intégration est négociée. « Enfin, le management de l’équipe doit être travaillé, financé. En un mot la fonction des « leaders » doit être mieux reconnue et non pas laissée au seul bon vouloir de ceux qui s’y impliquent. Car des leaders historiques vont bientôt partir et un nombre insuffisant d’équipe a investi dans la fonction de coordination.

Financer les nouvelles missions

Au total, un nouvel équilibre est à trouver entre le financement de l’activité clinique du médecin généraliste et le financement de la qualité de ce qui va être produit par l’équipe. « Il faut aussi financer les nouvelles missions du MG au sein de l’équipe », plaide Pascal Gendry. « Il a une mission de superviseur des parcours qui doit clairement être reconnue ». « il faut sortir de ce paiement à l’acte médico centré et sans doute favoriser l’émergence de nouveaux financements, tels que les forfaits d’équipe, des financements collectifs d’équipe en laissant à l’équipe la main pour ce répartir ce qui est produit ». Des équipes fortement engagées dans Peps (Incitation à une prise en charge partagée) (IPEP) et IPEP (Paiement forfaitaire en équipe de professionnels de santé) sont déjà dans cette logique. Enfin, « il faut augmenter l’ACI pour bien financer la structure et se donner d’autres objectifs, dont la contractualisation sur des objectifs de santé publique et être financés par ces biais »
« Le prix de cette augmentation de la patientèle pour l’équipe est aussi le prix d’une volonté politique, d’une évolution dans nos missions, nos pratiques et nos postures », conclut le président d’AVECSanté.

Pour Alain Aumaréchal, médecin généraliste à Vendôme (41), ville qui compte 24 000 habitants, dotée d’une clinique et d’un centre hospitalier, les enjeux sont sensiblement différents. Car de 21 généralistes en 2013, la ville a vu chuter leurs effectifs à 12 en 2021. Son entreprise médicale, une maison de santé pluri-professionnelle universitaire (MSPU), comprenait une secrétaire médicale ETP pour 2 000 patients en 2013. Le cabinet héberge désormais 1,5 secrétaire médicale ETP, une infirmière ASALEE (0,8 ETP), une assistante médicale (0,8 ETP) et une infirmière en pratique avancée (0,8 ETP) pour prendre en charge 3000 patients. « Cette mobilisation des différents opérateurs m’a permis d’accueillir davantage de patients et d’améliorer leur prise en charge », note le généraliste. « Ce modèle est possible, car c’est nous qui construisons et développons cette organisation de soins. Ce serait impossible sans l’aide et le support d’une équipe d’ingénieurs qui nous accompagnent fidèlement et au plus près de nos attentes et demandes ». La caractéristique principale de ce modèle accompagné est « l’horizontalité » : « Le généraliste est responsable et coordonne le parcours de soins du patient ». De plus la MSP n’intervient ni dans l’interaction, ni dans le financement des différents acteurs. « Ce modèle n’est pas possible s’il manque un des acteurs et aucun des acteurs ne peut se substituer à un autre », explique encore Alain Aumaréchal. Il estime que sa charge de travail n’a pas augmenté et que sa charge mentale s’est allégée malgré l’augmentation de sa patientèle. Car il n’est plus l’unique acteur de la prise en charge des soins. Du coup, il a pu s’investir dans d’autres missions, l’enseignement, le développement de la MSP et des CPTS. Tout ceci n’aurait pas été possible sans un fort soutien de la Collectivité, qui a été promoteur de la construction du nouveau bâtiment dans lequel sont installés les professionnels de santé depuis octobre 2021, chacun logeant dans un bureau dédié, tous payant un loyer à la Collectivité. Dans ce modèle, le temps libéré a permis aux professionnels de mieux s’organiser sur les soins non programmés et d’accueillir davantage de patients en situation de soins aigus. Reste que son équilibre économique demeure fragile et requière de nouvelles réponses pour couvrir les frais de structure.

Un médecin traitant à tout prix ?

« La question est-elle pertinente pour un centre de santé », interroge Didier Duhot, directeur du centre municipal de santé universitaire de la ville de Pantin (93), membre de la Fédération nationale des centres de santé (FBCS) et vice-président de la Société française de Médecine Générale (SFMG). Car le centre de santé de Pantin fait du soin, mais aussi de l’enseignement et de la recherche en santé publique. A cela s’ajoute le fait que le statut de son établissement lui impose de n’exclure aucune personne. « On ne peut exclure personne du fait d’un manque de MT. Nous devons accepter tous ceux qui se présentent à nous ! » Le 93 est un département très pauvre, jeune avec des quartiers où la population étrangère est majoritaire, avec des primo-arrivants non assurés, à l’AME. « Notre modèle économique, par la population accueillie, par le tiers payant, nous coûte 3,3 euros par feuille de soin envoyée ». 1er CMSU en France et doté de trois centres sur la ville, le centre de Pantin emploie 20 médecins généralistes – dont 15 ETP – et 10 autres spécialistes, 13 IDE, 5 dentistes, orthodontistes et 7 assistantes dentaires. Le tout accompagné de personnel administratif (1 pour 2 soignants), de 20 secrétaires et de 2 standardistes. « Les soins non programmés sont une partie importante de notre activité », indique Didier Duhot, avec de nombreux patients n’ont pas trouvé de médecin traitant par ailleurs. La santé publique, l’Education thérapeutique sur le diabète, les programmes nutrition s’ajoutent aux activités de soins. Le centre de Pantin est également un Centre de Jour de diabète, où sont programmés tous les examens à réaliser pour un jour donné, le patient étant revu par un médecin avec les résultats une semaine plus tard. « La sécu nous rembourse 195 euros pour cet ensemble d’examens et la consultation du dentiste, contre 800 euros à l’hôpital. Nous supportons ainsi des frais inhérents à la qualité de la prise en charge souhaitée », note le directeur. L’intégration d’une IPA est également à l’ordre du jour, un modèle que le médecin juge non concurrentiel avec les différents professionnels de santé qui travaillent dans la même structure.

Le bilan économique découle de l’amélioration de la viabilité des centres de santé réalisée via l’accord national qui a rémunéré une partie des fonctions de coordination. « Mais c’est aussi un choix politique, ajoute Didier Duhot, par lequel nous avons décidé, pour certains actes de modérer les tarifs ». « Nous avons aussi une prise en compte partielle de la santé publique, de l’activité administrative et de coordination ». « Nous n’avons pas de souci de recrutement, confie encore le directeur. 13 internes en médecine générale ainsi  viennent se former au centre tous les six mois, ce qui constitue un vivier de recrutement pour ceux qui souhaitent intégrer le centre. Un recrutement qui est cependant plus difficile côté spécialistes, mieux rémunérés par ailleurs.

Quel est avenir pour les CDS ? Les nouveaux centres de santé qui se créent sur les territoires sont centrés sur les soins primaires et sont le fait de collectivités importantes, explique encore Didier Duhot. Ils emploient peu ou pas d’infirmières, ne développent pas d’action de santé publique et ne disposent que d’une équipe administrative restreinte, car souvent adossé à un hôpital local qui réalise la facturation. « Ils sont beaucoup plus à l’équilibre que nous ne le sommes, car ils n’assurent pas les prestations qui nous coûtent de l’argent ».

Investir 5 milliards d’euros

Qu’attendent les médecins généralistes du gouvernement ? « Ils attendent d’être rassurés, a souligné Jacques Battistoni, président de MG France. car les délégations de tâches, inscrites dans la loi de financement, ont créé un trouble dans la profession, « avec une inquiétude sourde et récurrente que le désir des pouvoirs publics était peut-être de se passer d’eux ! » Pas question, pour le président du syndicat de confier de façon désordonnée et inintelligible pour les généralistes leurs tâches à d’autres.  » Ils sont d’autant plus inquiets que depuis des années rien ne se fait, rien ne se passe pour les aider à travailler dans de meilleurs conditions« 

Ce constat a conduit MG France à demander aux gouvernements qui se sont succédés depuis les deux dernières décennies et à celui qui sortira des urnes au printemps prochain, d’investir massivement dans les soins primaires « Le sous investissement sur la médecine générale est de 5 milliards d’euros par an dans notre pays par rapport à la moyenne des pays de l’OCDE*. Alors que la France est un des pays qui dépense le plus pour la santé« , plaide le syndicat. « En rattrapant cette différence on pourrait donner une secrétaire et un assistant à chaque généraliste français. De quoi contribuer à améliorer l’offre de soins sur tous les territoires en permettant au médecin généraliste d’accepter plus de patients et d’être ainsi mieux payé. » Le messages est clair ! Sera-t-il entendu dans le contexte pandémique actuel ?

J-J Cristofari

Pour revoir l’intégralité des intervention du colloque :
https://www.youtube.com/watch?v=Zkrmcza-PJI



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A propos de l'auteur

Jean Jacques Cristofari
Jean Jacques Cristofari

Journaliste spécialisé en économie de la santé En savoir plus ...

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