Santé : l’horizon de l’assurance-maladie se réduit

Santé : l’horizon de l’assurance-maladie se réduit
avril 20 12:09 2014 Imprimer l'article

[singlepic id=907 w=280 h=200 float=left]La ministre des Affaires sociales vient d’être reconduite …à la Santé. Sur la feuille de route de Marissol Touraine figure le même programme avec sa Stratégie nationale de santé, la recherche d’économies sur la Sécu en plus. Ce n’est pas de l’austérité nous a-t-elle promis. Ce sera du sang et des larmes pour les acteurs de la santé et le statut quo pour les assurés sociaux. En attendant de connaître le nouveau « plan d’économies » pour l’assurance-maladie dont les « efforts » annoncés porteront sur 10 milliards d’euros, soit une fois et demi le déficit 2013 de la branche, la ministre a confirmé son intention de mettre en place le tiers payant généralisé d’ici 2014.

Marisol Touraine avait espéré un plus grand ministère. Elle restera chez elle, à la même place, avenue Duquesne, au sein d’un gouvernement resserré, avec le titre de ministre d’Etat en charge des Affaires sociales et de la santé, avec dans son portefeuille les retraites, la Famille, les Personnes âgées et l’Autonomie – avec Laurence Rossignol-, le personnes handicapées et de la Lutte contre l’exclusion – avec Ségolène Neuville -. La diplômée de Normale Sup et de l’IEP Paris, agrégée d’économie, aura réussi son premier passage aux affaires publiques en faisant adopter une réforme des retraites, dont le dernier décret, entré en vigueur le 1er avril, permet d’assouplir les conditions du départ à 60 ans pour les personnes ayant débuté leur carrière avant 20 ans. Elle aura également mis sur ses rails la future loi pour l’adaptation de la société au vieillissement – qui devait être initialement présentée en conseil des ministres le 9 avril -, en lançant en novembre dernier une large concertation, à laquelle ont été associés les départements.

Sur le chapitre de la santé, Marisol Touraine s’en tient à sa Stratégie nationale de santé (SNS), présentée en décembre dernier au terme d’une longue préparation, conclue par la remise d’un rapport né des travaux et concertations de sept personnalités, rédigé par Alain Cordier, ancien Inspecteur des Finances et ancien membre du collège de la Haute Autorité de Santé. Sur la feuille de route tracée à partir des recommandations du Comités des sept Sages et qui devrait bientôt déboucher sur une loi dite de Santé, la ministre a inscrit trois priorités : la prévention, la révolution du premier recours et la démocratie sanitaire. Parent pauvre du système de santé français, la prévention s’appuiera à l’avenir plus fortement sur les médecins de proximité que sont les généralistes traitants. Le premier recours verra sa place renforcée par la mise en place d’une « offre de soins structurée et en proximité », a confié la ministre lors de sa rencontre avec les médecins généralistes en congrès le 3 avril dernier à Paris. Le chapitre sur la « démocratie sanitaire », quelque peu absent de la politique sanitaire passée, devrait revenir sur la scène avec une mise à jour de la loi de 2002 sur les droits des patients, fortement attendue dans les rangs des associations de malades, dont le CISS, qui s’appuie sur les conclusions d’un rapport de Claire Compagnon sur la représentation des usagers en établissement de santé

Levée des barrières

Mais le principal chapitre auquel la ministre entend s’attaquer sera celui de l’accessibilité aux soins par « la levée des barrières financières, des obstacles financiers et des obstacles géographique dans l’accès aux soins ». Ainsi la lutte contre les dépassements d’honoraires et la régulation des pratiques tarifaires seront, à ses yeux, « un combat à mener » : « si l’on veut éviter une médecine à deux vitesses, nous devons faire en sorte que la qualité des soins ne soit pas assimilée au dérapage des tarifs ». Le respect des tarifs de la Sécu et l’encouragement des médecins du secteur 2 à entrer dans le cadre d’un contrat d’accès aux soins (CAS), tel que définit par l’avenant 8 de la Convention médicale, devraient s’accompagner d’une généralisation du tiers payant (voir plus bas), dont l’échéance est fixée pour la fin 2017, soit celle du mandat présidentiel. Le tout ne s’accompagnera pas – au grand dam des syndicats médicaux qui réclament un rattrapage de leur honoraires – des revalorisations attendues, la ministre ayant rappelé que des forfaits, pour la prise en charge en particulier des personnes âgées, avaient déjà été accordés.

[singlepic id=908 w=260 h=180 float=right]Marisol Touraine aura surtout la lourde charge d’imposer à la santé un – voire des – nouveau plan d’économies supplémentaires dans la recherche des 50 milliards d’économies demandées par Bruxelles pour répondre aux critères de Maastricht et que le nouveau gouvernement Valls entend satisfaire. A elle seule, la branche maladie de la Sécu devra trouver 10 milliards d’ici 2017, vient de faire savoir le nouveau Premier ministre. Le tout assorti d’un ONDAM rivé à  2 %, face à une évolution « naturelle » des dépenses de santé qui se situe à plus de 4 %. Autant dire qu’il faudra vraiment faire des efforts. Le médicament une nouvelle fois est à la fête, avec des baisses de prix (3,5 milliards d’économies demandées sur trois ans) et un encouragement à aller plus loin dans les génériques (1). Mais ces efforts ne pourront être récompensés que si l’emploi, et avec lui le niveau des cotisations sociales, repartent à la hausse pour maintenir les indispensables investissements dans la santé. Autant dire que la partie n’est pas gagnée. Le président de la République, qui vient de mettre sa future candidature dans la balance en cas d’échec sur l’emploi, a laissé peu d’espoir sur le sujet.

Jean-Jacques Cristofari

(1) Le LEEM voit dans les mesures annoncées « un désaveu cinglant de la stratégie industrielle soutenue au plus haut niveau de l’Etat ». « Le gouvernement renie la dimension stratégique de l’industrie du médicament, reconnue par le président de la République et par les récentes missions Gallois et Lauvergeon », a aussitôt fait savoir le syndicat des industriels du médicament, dont le président, Patrick Errard, estime qu’il « est temps que l’Etat arrête de fonder des décisions de régulation sur des constats inappropriés par rapport aux enjeux des déficits sociaux ». « Quoi qu’en dise la ministre des Affaires sociales et de la Santé, ces mesures impacteront considérablement la qualité de notre système de soins », ajoute ce dernier.

[singlepic id=909 w=280 h=200 float=left]Tiers Payant généralisé : un objectif maintenu

La ministre des Affaires sociales et de la Santé vient de le rappeler : le tiers payant généralisé (TPG) devra être effectif d’ici 2017, avec une étape intermédiaire qui devra être finalisée d’ici la fin de cette année. Pour autant, sa mise en œuvre promet d’être plus compliquée que prévu.

Depuis février dernier, le tiers payant dispose en la personne de Hubert Garrigie-Guyonnaud d’un chef de projet en charge de sa généralisation d’ici 2017. « La dispense d’avance de frais par les patients lors d’une consultation médicale figure parmi les principaux axes de la stratégie nationale de santé (SNS) mise en oeuvre par la ministre des Affaires sociales et de la Santé », souligne cette dernière, en indiquant que cette future généralisation « permettra une simplification considérable des formalités pour l’ensemble des assurés ainsi que pour les médecins. » La réforme, jugée « nécessaire sur le fond », devra contribuer « à un meilleur accès aux soins, en particulier pour les trop nombreux ménages pour lesquels l’avance de frais constitue un frein ». Seront principalement visées par le futur dispositif, les consultations en médecine de ville, où le tiers payant est réalisé pour un tiers des actes, et plus particulièrement en médecine générale où il l’est pour 37 % des consultations. Soit un pourcentage largement inférieur aux autres spécialités qui le pratiquent plus largement (1).

Mais avant sa généralisation à tous les actes, la dispense d’avance de frais devra être acquise aux bénéficiaires de l’aide à la complémentaire santé (ACS), soit les personnes dotées de faibles revenus qui peuvent être également dispensée de l’application des dépassements d’honoraires. «  Les bases sur lesquelles le tiers payant sera ensuite généralisé à tous les assurés seront définies cet été, afin que l’ensemble des acteurs engage les travaux nécessaires à la mise en oeuvre effective de cette réforme structurelle d’ampleur », précise encore le ministère en février dernier.

Le refus des médecins libéraux

Avant même que ne soit annoncée la réforme, la ministre de la Santé a demandé à l’IGAS (2) de lui rédiger un état des lieux du tiers payant en France. « L’avance de frais auprès du médecin constitue une spécificité française, fortement reliée à l’influence institutionnelle des médecins et à l’éclatement de la gestion entre AMO et AMC », avance le rapport de l’Inspection. « Mettre en place le tiers payant, c’est tout sauf simple », a souligné la ministre de la Santé aux généralistes réunis à Paris le 3 avril pour le 8è congrès du Collège de la médecine générale (CMG). « C’est pourquoi nous avons besoin d’un travail technique, donc de concertations spécifiques avec l’ensemble des acteurs du système de soins. » Du côté des médecins libéraux, le sujet entraîne une réponse négative quasi-unanime : les syndicats pluri-catégoriels des praticiens, qui voient dans le projet « une usine à gaz en plus », lui préfèrent le recours à la carte bancaire à débit différé (CSMF) ou le gel du dépôt des chèques des patients le temps que le remboursement des actes leur soit versé (FMF). Car ils savent que la généralisation du tiers payant ne sera pas sans impact sur les pratiques de dépassements tarifaires en vigueur dans les rangs des praticiens à honoraires libres (secteur 2). Les généralistes de MG France n’y sont pas opposés par principe, mais demandent de solides garanties quant à son application : « Les difficultés techniques réelles ne doivent pas être agitées pour entretenir dans l’opinion médicale la « peur » du tiers-payant », fait savoir le syndicat, pour qui « l’acceptabilité d’un dispositif de tiers payant – qui doit rester facultatif sauf pour les obligations légales – par les professionnels de santé exige la simplicité, la sécurité, et des garanties de paiement ». MG France souligne à cet égard qu’un généraliste en secteur 1 est rémunéré 23 euros dans 90 % des cas, dont 6,90 euros sont pris en charge par tous les RC. Pour autant, le syndicat estime que les médecins n’ont pas à créer et financer une « infrastructure pour garantir le règlement de 6,90 euros par consultation », pas plus qu’ils n’ont à se livrer à postériori à une comptabilité fine pour vérifier que leurs honoraires ont été entièrement payés par les régimes obligatoires et complémentaires. Autant dire que sa préférence va à la mise en place d’un flux unique qui soit de nature à tout régler.

Des solutions de simplification

Dans les rangs de l’UNOCAM, qui rassemble tous les opérateurs du régime complémentaire, on fait savoir que l’objectif est « d’avancer de façon progressive, efficace et collaborative, profession par profession », en proposant à l’UNPS « de négocier un accord-cadre définissant des principes fondamentaux ». « Par un accord-cadre bipartite, l’UNOCAM et l’UNPS définiraient ensemble les principes de paiement des prestations par les organismes complémentaires d’assurance maladie, qui pourraient être communs à l’ensemble des professions de santé », fait savoir l’Union des complémentaires dans un document de novembre 2013. Du côté de la Mutualité Française, cette mise en place du TPG se résume en une position claire : « Les Mutuelles de France préconisent les relations directes avec les professionnels de santé », fait savoir le service de communication de la FNMF. « Dans cette logique, elles assurent le règlement des dossiers tiers payant avec les Demandes de Remboursement Électroniques (DRE) émises par les dizaines de milliers de professionnels de santé ayant signés la convention DRE de la Mutualité. » La Mutualité choisit ainsi de s’inscrire dans « toute solution de simplification pour les professionnels de santé », associant une identification simple de la mutuelle et de ses services, les données de la mutuelle en carte Vitale et les accès aux droits en ligne « . Au sein de l’ADPM (3), Jean-Louis Span, son président, se dit plutôt partisan d’un éclatement des flux à la source et ne se montre pas favorable à une unification en termes de gestion du tiers payant. « Le tiers payant généralisé sur un mode étatique sera un gouffre financier », plaide encore ce dernier. « Bien évidemment, nous refusons cette solution qui consiste à faire une deuxième facture pour le régime complémentaire (la DRE) », commente Gilles Urbejtel chez MG France.  » Il est hors de question de favoriser un conventionnement individuel et « direct » du médecin avec les RC ».

Système illisible et incertain

Pour l’IGAS, le système en place actuellement est « illisible et donc incertain pour les patients et générateur d’inégalités ». La mission diligentée par l’Inspection générale a constaté la difficulté d’accéder à un chiffrage consolidé et exhaustif des flux en tiers payant, en particulier du coté des régimes complémentaires. Si la pratique du TP semble stabilisée dans le régime obligatoire, elle demeure, note l’IGAS, « fastidieuse » chez les complémentaires où subsistent « plusieurs sources de complexité », du fait de pratiques historiques diverses. Sans compter que l’absence de support électronique unifié embarquant les droits des complémentaires a compliqué la gestion du système. Au total, si le tiers payant répond bien aux impératifs du moment – faciliter l’accès aux soins, réduire les inégalités sociales de santé, offrir de meilleures garanties de paiement aux médecins – il lui reste un long chemin à accomplir pour s’imposer naturellement à l’ensemble des parties prenantes de la santé. Car bien des questions – techniques et politiques – demeurent ouvertes avant que le TPG devienne une réalité. L’instance de pilotage stratégique menée par Hubert Garrigie-Guyonnaud aura fort à faire pour lever les nombreux obstacles qui parcourent le cheminement à venir du TPG.

(1) C’est, selon le SNIRAM, le cas pour 97 % des honoraires perçus par les néphrologues, pour 80 % de ceux des gériatres, 77 % de ceux des gastro-entérologues, 72 % de ceux des radiologues ou encore 62 % de ceux des cardiologues. Ce même tiers payant est réalisé pour 99 % des actes de laboratoire, pour 84 % des actes infirmiers et 56 % de ceux des kinés. Il est quasi généralisé chez les pharmaciens.
(2) Inspection Générale des Affaires Sociales, « Rapport sur le tiers payant pour les consultations de médecine de ville », établi par Etienne Marie et Juliette Roger, juillet 2013.
(3) Association Diversité et Proximité Mutualiste, qui regroupe 40 mutuelles et 1,5 million de bénéficiaire

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A propos de l'auteur

Jean Jacques Cristofari
Jean Jacques Cristofari

Journaliste spécialisé en économie de la santé En savoir plus ...

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