Relance des méga fusions dans la pharma

Relance des méga fusions dans la pharma
janvier 03 21:07 2019 Imprimer l'article

L’année 2018 s’est achevée par la fusion des activités de médicaments sans ordonnances de GlaxoSmithKline (GSK) avec celles de l’américain Pfizer. 2019 commence par une méga fusion qui voit Bristol-Myers Squibb (BMS) acquérir Celgene pour 74 milliards de dollars (65,2 milliards d’euros). Les grandes manoeuvres de la pharma, un temps mises en sommeil, pourraient repartir de plus belle prochainement. L’un recentre et restructure son portefeuille d’activité. L’autre veut devenir un acteur majeur dans un secteur porteur. Tous deux illustrent les mouvements de restructuration auxquels nous avait habitué les Big Pharma dans la précédente décennie et qui s’étaient quelque peu ralenti dans l’actuelle.

Ainsi GSK, champion mondial du respiratoire, veut devenir un géant de l’automédication. Après avoir récupéré en mars 2018  les parts de Novartis dans leur entreprise commune pour 13 milliards de dollars (10,4 milliards d’euros), le laboratoire britannique annonce ce mardi la fusion de ses activités de produits OTC (automédication) et de parapharmacie avec celles de l’américain Pfizer. La coentreprise qui sera créée fera émerger un géant sur un secteur assez convoité, avec un chiffre de ventes de l’ordre de 12,7 milliards d’euros. Par cette opération, Pfizer transfèrera ses activités d’automédication dans la coentreprise créée par GSK et en échange recevra 32 % des parts de la joint-venture, dont les comptes resteront pour l’instant intégrés à ceux de GSK avant de devenir autonomes par une introduction en bourse de la nouvelle entité. Les actifs transférés par GSK comprennent les traitements anti-inflammatoires (Voltaren), l’antidouleur au paracétamol (Panadol) ou encore les dentifrices (Sensodyne). Du côté de Pfizer, l’automédication inclut l’antidouleur à base d’ibuprofène (Advil) ou les traitements aux vitamines (Centrum et Caltrate). Soit autant de belles pépites que les deux laboratoires ont décidé de mettre en commun.

« La nouvelle JV sera très bien positionnée pour délivrer de fortes ventes, du cash flow et une croissance des bénéfices, conduits par des marques leaders puissantes, une innovation basée sur la science et des synergies de coûts substantielles, avec l’intention future de créer une nouvelle compagnie engagée dans les vaccins et la pharmacie, le tout doté d’une approche R&D liée au système immunitaire, l’usage des génériques et des technologies avancées », a commenté en décembre dernier Emma Walmsley, CEO de GSK, pour qui cette opération marque bien la naissance d' »une nouvelle compagnie leader mondial dans le Consumer Healthcare ». Cette dernière a par ailleurs clairement affiché ses ambitions : des objectifs de marge bénéficiaire d’au moins 20% d’ici 2020 pour le pôle santé grand public, contre 17,7% en 2017.

« Nous avons également commencé à remodeler le portefeuille de notre groupe à travers une priorisation de nos programmes de R&D via des acquisitions telles celles proposées dans le domaine oncologique par la biotech Tesaro, une prise de participation minoritaire des activités grand public de Novartis en début d’année, et une série de désinvestissement de produits non essentiels, incluant les activités nutrition en Inde », a ajouté Emma Walmsley (Photo). GlaxoSmithKline a ainsi accepté de débourser 5,1 milliards de dollars (4,5 milliards d’euros) pour racheter la biotech américaine Tesaro, spécialisée dans l’oncologie. Une transaction, qui devrait être finalisée au premier trimestre 2019.

BMS investit dans l’oncologie

L’oncologie est également un secteur qui intéresse grandement BMS. Avec le rachat de Celgene en ce début d’année, les sociétés fusionnées produiront neuf produits pharmaceutiques dont les ventes annuelles s’élèveront à plus d’un milliard de dollars, a déclaré Bristol-Myers dans un communiqué. Les actionnaires de Bristol-Myers détiendront 69 % de la nouvelle entité combinée, tandis que ceux de Celgene en détiendront 31%. Les actionnaires de Celgene recevront une action de Bristol-Myers et 50 dollars en espèces pour chaque action, d’une valeur de 102,43 dollars par action, soit une prime de 53,7% par rapport au cours de clôture de Celgene mercredi.
L’objectif assigné par BMS est de créer une société bio pharmaceutique innovante de premier plan mondial, disposant de portefeuilles hautement complémentaires, « avec des franchises de premier plan en oncologie, immunologie et inflammation et maladies cardiovasculaires ». Dans la corbeille figure notamment le produit phare de Celgene, le Revlimid (un « bockbuster » contre le myélome multiple, qui a généré 2,45 milliards de dollars de recettes au troisième trimestre). Il y a tout juste un an, Celgene avait acquis Juno Therapeutics (pour 9 milliards de dollars) et Impact Biomedicines (pour 7 milliards de dollars), deux biotech spécialisées respectivement dans la thérapie cellulaire des cancers et les cancers de la moelle osseuse. Autant dire que BMS récupère ici de belles molécules pour son développement futur.

«Ensemble avec Celgene, nous créons un leader innovant dans le secteur biopharmaceutique, avec des franchises de premier plan et un pipeline large et étendu qui générera une croissance durable et offrira de nouvelles options aux patients souffrant d’une gamme de maladies graves», a déclaré Giovanni Caforio (photo), PdG de Bristol-Myers Squibb. «En tant qu’entité combinée, nous renforcerons nos positions de leadership dans l’ensemble de notre portefeuille, notamment dans les domaines du cancer, de l’immunologie et de l’inflammation. Nous bénéficierons également d’un pipeline élargi aux stades précoce et avancé comprenant six lancements de produits prévus à court terme. Ensemble, notre pipeline offre des perspectives considérables pour les patients, nous permettant d’accélérer de nouvelles options grâce à une gamme plus étendue de technologies de pointe et de plateformes de découverte. »

Une fusion sur fond de remise en cause des prix élevés

Par ailleurs, la société Celgene arrive en tête d’une liste établie par la Food and Drug Administration visant à montrer du doigt les entreprises pharmaceutiques qui tentent d’empêcher la concurrence de proposer des versions génériques de leurs médicaments. La société a également été critiquée pour avoir augmenté les prix de certains de ses médicaments. Cette critique vient d’être relancée par le Président Trump qui a une nouvelle fois exhorté les Démocrates à maintenir la pression sur les prix des produits pharmaceutiques, qu’il estime trop élevés aux Etats-Unis, considérant par ailleurs que l’Europe vend les produits américains à des prix inférieurs et que le Vieux Continent profite à bon compte des énormes investissements engagés par les firmes américains en matière de R&D.

Ainsi, en octobre dernier Donald Trump a a proposé que Medicare paye certains médicaments sur ordonnance sur la base des prix pratiqués dans d’autres pays industrialisés avancés – un changement énorme qui pourrait, selon le Président, faire économiser beaucoup d’argent au gouvernement et à des millions de bénéficiaires de Medicare, qui couvre les personnes âgées de plus de 65 ans. Medicare établirait un «indice international des prix» et l’utiliserait comme référence pour décider du montant à payer pour les médicaments couverts par la partie B de Medicare (1).
« C’est un changement révolutionnaire », a déclaré M. Trump dans un discours prononcé alors au ministère de la Santé et des Services sociaux. « Personne n’a eu le courage de le faire, ou ils ne voulaient tout simplement pas le faire. » Son analyse se fonde sur une étude portant sur une comparaison internationale des prix des médicaments (2). Reste que pour Stephen J. Ubl, président et directeur général de Pharmaceutical Research and Manufacturers of America (PhRMA), principal groupe professionnel du secteur, «l’administration américaine impose des contrôles des prix étrangers sur des pays dotés de systèmes de soins de santé socialisés qui découragent l’innovation». Pour ce dernier la proposition Trump « menacerait l’accès des patients à des médicaments innovants permettant de sauver des vies ».

La Chine ouvre son marché aux médicaments

En parallèle à ces mouvements qui affectent la pharma mondiale, la Chine vient d’adopter une position surprenante dans le domaine des taxes à l’importation, en décidant de réduire les droits de douane sur diverses matières premières importées utilisées dans les médicaments. Selon People Daily, « le gouvernement abaissera ou supprimera les droits d’importation et d’exportation sur 706 articles à partir de 2019, dans le cadre d’un programme d’ajustement tarifaire, les droits sur certaines matières premières utilisées pour la fabrication de médicaments étant quant à eux totalement abrogés. » Les médicaments couverts comprennent une gamme de traitements, dont ceux destinés aux cancers et aux maladies rares. Certains produits d’immunothérapie, vaccins, matériels génétiques et organismes transgéniques seront également exemptés. Les statistiques de l’administration ont ainsi montré que les prix avaient chuté de 56,7% en moyenne et que la plupart des prix étaient inférieurs à ceux des pays ou régions voisins. Cette position est à l’opposé de celle de Donald Trump, fervent défenseur d’une hausse des taxes pour « protéger le marché américain ». En mai dernier, la Chine a accordé un taux de droits zéro aux médicaments importés destinés au traitement du cancer et a ramené la taxe initiale de 17% à 3%, afin de réduire les coûts de traitement du cancer et de stimuler les importations de nouveaux médicaments. A l’inverse, l’administration pourrait être amenée à relever ses taxes sur les médicaments importés.

Jean-Jacques Cristofari

(1) Médicare B : il s’agit d’une aide financière pour payer les services fournis par les médecins et autres prestataires de soins de santé, les soins de patient externe, les soins de santé à domicile, l’équipement médical durable etcertains services préventifs
(2) « Comparison of US and International Prices for Top Medicare Part B Drugs by Total Expenditures« , U.S. Department of Health and Human Services, Office of the Assistant Secretary for Planning and Evaluation.  25 octobre 2018

 

Afficher plus d'articles

A propos de l'auteur

Jean Jacques Cristofari
Jean Jacques Cristofari

Journaliste spécialisé en économie de la santé En savoir plus ...

Afficher Plus d'Articles