Le contexte politique explosif du moment relègue au second plan les négociations conventionnelles entre les médecins et l’Assurance-maladie. Le gouvernement ne veut plus d’agitation dans le secteur de la santé. Après l’épisode du tiers-payant, l’objectif est de calmer le jeu. Il ne faut pas attendre d’évolution structurante de cette future convention qui va, au contraire, se limiter à acter quelques revalorisations tarifaires qui, en raison de la contrainte de l’ONDAM, seront dégagées à l’issue d’une discussion de marchands de tapis et validées par un gouvernement en difficulté.
Parodiant Ouvrard (photo), le célèbre comique troupier des années 30 à 50, Manuel Valls pourrait – accompagné au violon par sa femme – entonner l’air du « Ministère patraque » : « J’ai la Macron économie qui s’alanguit, les finances publiques qui sentent le Sapin, la Touraine qui a perdu la santé, l’agriculture qui s’aFoll, le travail qui Khomri jaune, les Ayrault qui sont fatigués, la Royal qui éCop (21), le budget qui n’est pas d’Ecker(t), l’Europe qui est privée de Désir. Ah que c’est embêtant d’être à la tête d’un gouvernement mal… Placé ! » Plus sérieusement, le Premier ministre martèle, comme pour s’en persuader lui-même. « Nous réformerons jusqu’au bout ». Mais, entre la réforme du travail qui provoque l’explosion du Parti socialiste et menace de se transformer en crise sociale, le texte sur la déchéance de la nationalité qui provoque des fractures tout azimut, la crise agricole qui s’amplifie, la guerre VTC-taxis qui n’en finit pas et quelques autres sujets aussi inflammables, le chef du gouvernement a toutes les raisons de croire – s’il n’en n’est pas déjà convaincu – que la réforme est un exercice à hauts risques. Au milieu de maelstrom, le début des négociations pour le renouvellement de la Convention médicale, à la fin du mois de février, est passé inaperçu et semble échapper à ce contexte explosif. Or, il n’en n’est rien.
Cette négociation devrait aboutir, au début de l’été, à un nouveau texte régissant les relations entre les médecins et l’Assurance-maladie. Faut-il s’attendre à une Convention révolutionnaire, modernisant la pratique médicale libérale et permettant de relever les défis d’aujourd’hui et de demain ? Les actes cliniques seront-ils hiérarchisés en fonction de leur contenu médical ? Le parcours de soins sera-t-il médicalisé ? La question de la démographie médicale sera-t-elle résolue ? Le conventionnement sera-t-il sélectif ? La délégation de tâches sera-t-elle développée ? La gestion des ALD – 70 % des dépenses de santé – sera-t-elle optimisée ? On pourrait allonger la liste des questions nécessitant au moins de début de réponse dans ce futur accord conventionnel.
Solde de tout compte
Mais, inutile de prolonger le suspens. Non, ces questions ne seront pas abordées et elles ne sont d’ailleurs pas au menu des discussions parce que, précisément, le contexte d’extrême sensibilité sociale ne s’y prête pas. A un an de l’élection présidentielle, François Hollande ne veut pas prendre le risque d’une agitation sociale qui viendrait parasiter le développement de sa politique sociale-libérale. La réforme du Code du travail est la dernière audace du quinquennat et avec elle, le Président sait qu’il danse au dessus d’un volcan.
Le gouvernement ne va plus s’aventurer sur des chemins dangereux avec des sujets qu’il peut maîtriser parce que ceux qu’ils ne maitrisent pas sont déjà assez nombreux pour lui exploser à la figure. Le conflit, en 2015, avec les médecins sur le tiers-payant était un risque calculé et assumé parce que les bénéfices politiques attendus – accoucher d’une réforme emblématique de gauche – étaient supérieurs aux inconvénients résultant de la grogne d’un corps social classé à droite. Par rapport aux médecins, le tiers-payant est une sorte de solde pour tout compte. Il s’agit maintenant de calmer le jeu. D’ailleurs, la décision du Conseil constitutionnel de censurer le tiers-payant pour la part complémentaire des frais de santé a été une divine surprise pour tout le monde. D’abord pour les syndicats de médecins pour lesquels, cette petite victoire juridique a permis de faire un peu oublier leur grand échec politique. Ensuite pour les complémentaires qui sont ainsi dispensées d’entrer dans le flux unique de remboursement et de devoir partager leurs informations avec l’Assurance-maladie obligatoire. Celle-ci, se réjouit aussi de ce retoquage qui lui permet de ne pas mettre en place ce flux unique qu’elle n’était pas certaine de maitriser. Enfin, pour le gouvernement, cette décision a permis de faire baisser la pression. D’ailleurs, Marisol Touraine (photo) s’est empressée, dès la décision connue, de déclarer qu’il n’y aurait pas de nouvelle loi pour « récupérer » la disposition invalidée, alors que c’est une règle dans ce cas-là. Par exemple, le plafonnement des indemnités Prudhommales, en cas de licenciement abusif, avait été retoqué par le Conseil Constitutionnel dans le cadre de la loi Macron… Il se retrouve dans le projet sur le Code du Travail et il en est même une des mesures phares…
Absence d’évolution structurelle
Ce contexte et cette stratégie politique expliquent pourquoi la négociation conventionnelle ne débouchera sur aucune évolution structurelle. Elle va se limiter à des négociations tarifaires et à ce titre, elle ne sera rien d’autre qu’une discussion de marchands de tapis sous couvert de nobles ambitions comme la « revalorisation de la médecine de première recours » ou mieux encore de « virage ambulatoire ». Chacun est arrivé à la table de négociation avec son catalogue d’exigences. D’un côté, les syndicats de médecins – CSMF, MG France, FMF, SML, BLOC (photo) – se sont entendus – ce qui est une première – sur une plateforme commune qui peut se résumer à une formulation : revalorisation à tous les étages (actes, forfaits, etc.) et une demande de généraliser l’accès aux honoraires libres, mais ce dernier point relève au mieux de la provocation, au pire du délire…. De l’autre, le directeur général de la CNAM a prévenu qu’il ne voulait pas « d’une convention à plusieurs milliards d’euros et que les actes à revaloriser seront ciblés ». Nicolas Revel a, en effet, une contrainte indépassable : l’ONDAM dont le taux d’évolution, à 1,75 % cette année et sans doute pas plus l’an prochain, n’autorise pas la folie des grandeurs. « La rémunération des médecins sera augmentée, la question est sous quelle forme, de quelle manière et à quel rythme » a déclaré Marisol Touraine dont la formulation donne bien les termes de la discussion de marchands de tapis. Tout l’enjeu de ce marathon est de trouver des compromis entre l’exigence politique d’une revalorisation et la contrainte budgétaire. On peut prendre des paris. La consultation des généralistes sera revalorisée à 25 euros pour la mettre à parité avec celle des autres spécialistes. La seule inconnue est le calendrier de cette revalorisation. Sans doute 1 euro vers la fin de l’année, pour que cela ne pèse pas trop sur les comptes de l’exercice en cours, ce qui n’est pas négligeable quand on sait qu’1 euro coûte entre 300 et 400 millions en année pleine. Le second, en 2017 et de préférence avant l’élection présidentielle. Pour le reste, la nomenclature sera un peu triturée pour ne pas effaroucher les médecins spécialistes. On trouvera des astuces sur des actes ou sur des cibles comme les consultations surcotées pour les nourrissons et les personnes âgées et les critères de la Rémunération sur objectifs de santé publique, la fameuse RSOP, seront révisés.
Toutes ces revalorisations seront gagées – ONDAM oblige – sur des engagements de modération et de maitrise médicalisée des dépenses qui ne seront pas plus respectés que les précédents. Mais, ce n’est pas grave. La Loi de financement de la Sécurité sociale fera rentrer les dépenses de santé dans l’enveloppe de l’ONDAM, en « mettant à contribution » l’industrie pharmaceutique – elle en a l’habitude et elle l’a bien cherché – avec des baisses de prix et des déremboursements… La négociation se conclura dans les délais prévus sur la base d’un compromis qui permettra à chacun de crier victoire. Les syndicats de médecins feront valoir que leur détermination a permis des avancées sur le front de la revalorisation de la pratique médicale libérale. Le Directeur général de la CNAM saluera les progrès obtenus en matière de santé publique et la ministre de la Santé se félicitera d’un accord « qui améliore l’accès aux soins des patients, signé par des partenaires sociaux responsables … ». Bienvenue au pays des marchands de tapis….
Philippe Rollandin