Tiers payant : la main est aux assureurs complémentaires

Tiers payant : la main est aux assureurs complémentaires
février 04 14:24 2016 Imprimer l'article

 Le 21 janvier dernier le Conseil Constitutionnel a rejeté la généralisation du tiers payant inscrite dans la loi de modernisation du système de santé, estimant que le dispositif prévu par la loi n’était pas conforme à la Constitution. Il sera prochainement mis en place pour la seule part qui concerne l’Assurance-maladie obligatoire au bénéfice des assurés pris en charge à 100 %. Les complémentaires disposent d’un délai supplémentaire pour s’accorder avec les médecins traitants sur un dispositif technique acceptables par ces derniers. Réunies dans un groupe de travail, elles rendront prochainement publiques les conclusions de leurs propositions.

C’est la fin d’un mauvais roman qui a pour le point fortement perturbé 400 jours durant les relations entre la ministre de la Santé et le corps médical libéral. Le 21 janvier dernier, les sages du Conseil Constitutionnel (CC) ont tranché sur la loi de modernisation du système de santé voté en décembre dernier. Ils ont ainsi jugé contraires à la Constitution les « dispositions » de l’article 83, « qui rendent obligatoire, à compter du 1er janvier 2017, le dispositif du tiers payant pour les organismes d’Assurance-maladie complémentaires, au motif que le législateur n’a pas suffisamment encadré ce dispositif et a ainsi méconnu l’étendue de sa propre compétence ». Un dispositif que la ministre de la Santé voulait « simple et efficace » mais qui, techniquement, était aussi irréaliste qu’irréalisable. Car comment mettre en place une gestion technique du tiers payant, tant pour les parties obligatoires que complémentaires, sur le mode d’un flux unique, alors même que les deux univers – RO et RC – se situent sur des registres administratifs ou concurrentiels totalement différents. C’est donc une fin de partie que le Conseil Constitutionnel a signifié à tous les intéressés – assureurs, assurés et professionnels de santé. Soit autant de partenaires qui peuvent pousser un énorme soupir de soulagement.

Soulagements

« Le Conseil Constitutionnel a sanctionné la confusion des genres entre l’Etat et la Mutualité qui veulent américaniser le système de santé français », a fait savoir la Confédération des Syndicats Médicaux Français (CSMF) à l’annonce de la décision des Sages, en évoquant une « manipulation avortée » et en appelant à la démission de la ministre de la Santé.  » Cette décision est un soulagement pour les médecins libéraux qui refusent majoritairement la généralisation du tiers payant qui les aurait laissés seuls face à près de 600 régimes complémentaires », commente Claude Leicher, président de MG France, qui a, dès son annonce par la ministre, dénoncé le caractère contraignant du dispositif. « Soulagement de ne pas devoir vérifier les droits, établir deux factures (parts obligatoire et complémentaire) sans garanties de paiement et gérer les impayés », ajoute ce dernier. Le syndicat des médecins généralistes opte plutôt pour « une exonération du ticket modérateur chez le médecin traitant [qui] serait une solution intelligente, pragmatique et économe, et qui faciliterait un tiers payant choisi par les professionnels qui le souhaitent pour les patients qui en ont besoin. »Au final, beaucoup de gesticulations et d’effets d’annonce pour pas grand-chose, note de son côté la Fédération des Médecins de France. Encore un petit effort, et on arrive au tiers-payant possible, mais non obligatoire, au moins sur la part Assurance-Maladie que la FMF demande depuis des années », ajoute le syndicat de Jean-Paul Hamon.

La main est aux complémentaires

Au total, dès le 1er juillet 2016, les patients pris en charge à 100 % par l’Assurance-maladie (maladies de longue durée, femmes enceintes…) pourront être dispensés d’avance de frais. A la fin de l’année, le tiers payant deviendra un droit pour ces seuls patients, soit 15 millions de Français, selon le ministère de la Santé. « Cette décision va tout à fait dans le sens de notre refus de voir les régimes complémentaires venir compliquer la vie des médecins », a déclaré à l’AFP Claude Leicher.

Les autres assurés sociaux, à partir du 30 novembre 2017, n’auront plus à débourser les 16,10 euros sur les 23 euros demandés pour une consultation chez leur généraliste. Mais ils devront payer la part des complémentaires santé, soit 6,90 euros. Sauf à ce que leur médecin traitant s’entende avec leur complémentaire pour appliquer le tiers payant sur cette part. Une affaire qui devrait prendre du temps, tant les mutuelles sont nombreuses dans le paysage sanitaire français. Les mêmes complémentaires auront l’obligation de proposer ce tiers payant aux assurés dans le cadre des contrats responsables (plus de 90% des contrats).
« Pour ce qui est remboursé par les complémentaires, il appartiendra aux médecins de savoir s’ils le feront ou pas, a indiqué Marisol Touraine à l’Assemblée nationale en réponse à une question posée par le député Jean-Pierre Door. C‘est pour cela que nous allons proposer et mettre en place un système très simple, le plus simple possible, a ajouté la ministre. C’est cela l’objectif poursuivi. »

Vers des services utiles

« L’objectif de réduction des inégalités d’accès aux soins par le tiers payant peut ainsi continuer sa route », souligne le Collectif Interassociatif sur la santé (CISS), satisfait de constater que « le tiers payant reste sur les rails ». « Ce sera d’ailleurs le cas : il va être généralisé pour le montant de tous les actes et consultations pris en charge par l’assurance maladie obligatoire. Il pourra également être appliqué au-delà sur la part des remboursements complémentaires par les médecins qui le souhaitent et qui y trouveront très certainement aussi leur intérêt en termes de facilitation de leurs tâches administratives. »

Dans les rangs des complémentaires, une association commune à toutes les sociétés – mutuelles, assureurs privés et organismes de prévoyance – a engagé plusieurs projets techniques pour améliorer le fonctionnement du tiers payant. Cette structure travaille étroitement avec les opérateurs de tiers payant et les éditeurs de logiciels des professionnels de santé pour adapter les outils en fonction des  pratiques de chaque profession. Emmanuel Roux, Président de l’association des complémentaires santé et Directeur Général de la Mutualité Française, a fait savoir que ces dernières entendent poursuivre les travaux communs qu’elles ont engagés sur le sujet du tiers payant. « Nous assumerons nos responsabilités pour proposer une solution simple, efficace qui répond aux attentes de tous, a précisé ce dernier. Nous rendrons prochainement publiques nos propositions concrètes dans le rapport prévu par la loi que nous finalisons avec l’Assurance Maladie Obligatoire ». « Nous sommes avant toute chose au service de nos assurés, c’est par sa qualité que notre offre de tiers payant continuera à se déployer auprès des professionnels de santé », a indiqué Jean-Paul Lacam, Vice-Président de l’association et Délégué Général du Centre technique des institutions de prévoyance (CITP).Une première expérimentation est prévue par les complémentaires au cours du premier semestre 2016, avec des médecins, pour préparer le déploiement des services en ligne, qui permettront aux professionnels de santé d’obtenir leur garantie de paiement, grâce à la vérification en ligne des droits du patient. « Nous proposerons en 2017 un fonctionnement simple aux professionnels de santé, qui les sécurise financièrement, note Pierre François, Vice-Président de l’association. C’est leur intérêt, dès lors qu’ils choisiront de pratiquer le tiers payant sur la part complémentaire, et c’est aussi celui de nos assurés qui pourront en bénéficier. Nos services se généraliseront en étant utiles ». A delà des déclarations d’intention, les médecins attendent de connaitre les conclusions des premières réflexions de l’association.

Jean-Jacques Cristofari

(1)   Cf. Communiqué du Conseil Constitutionnel

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Jean Jacques Cristofari
Jean Jacques Cristofari

Journaliste spécialisé en économie de la santé En savoir plus ...

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