Tiers payant, augmentation des tarifs : la stratégie perdante des médecins

Tiers payant, augmentation des tarifs : la stratégie perdante des médecins
janvier 09 12:59 2015 Imprimer l'article

[singlepic id=1007 w=300 h=220 float=left]Parce que c’est un amortisseur social, contrepartie de la politique économique libérale du Président de la République, le gouvernement ne reculera pas sur le tiers-payant. Parce qu’elle coûterait 1 milliards d’euros à l’Assurance-maladie et qu’elle apparaîtrait comme un cadeau fait aux médecins, la revalorisation de 2 euros du tarif de la consultation des généralistes (de 23 à 25 euros) est impossible à satisfaire. En choisissant l’opposition frontale sur ces deux sujets, les syndicats de médecins vont droit dans le mur, alors que des stratégies de contournement existent pour obtenir des ouvertures et permettre des avancées. Il suffit d’avoir un peu de sens politique… Explications.

Ils partirent 100 000 et par un prompt désengagement, ils se virent quelques milliers en arrivant au port… de l’angoisse. C’est par cette paraphrase du Cid de Corneille que l’on décrit le mieux le mouvement de contestation du monde médical de la fin de l’année 2014. Annoncées en fanfare en décembre, la grève des urgentistes hospitaliers, la fermeture des cabinets médicaux libéraux et celle des cliniques devaient paralyser le système de santé, paniquer les Français et mettre en difficulté le gouvernement. Las !, le mouvement des urgentistes s’est arrêté avant même de commencer, Marisol Touraine accédant à leur revendication sur le temps de travail. Aux cliniques, la ministre de la Santé a fait suffisamment de concessions sur les conditions de leur participation au service public hospitalier dans le cadre du projet de loi santé que l’hospitalisation privée a annulé son mot d’ordre de fermeture des établissements qui devait prendre effet lundi 5 janvier. Les médecins libéraux se sont retrouvés bien seuls pour porter la contestation et Marisol Touraine ne leur a pas manifesté la même attention, ni la même sollicitude qu’aux hospitaliers et aux patrons de cliniques

Eteindre l’incendie

Pour les premiers, la partie était gagnée d’avance. Comme cela a été démontré, l’hôpital est un secteur sensible. Le gouvernement ne veut, à aucun prix, d’un mouvement social affectant une catégorie de médecins ou de personnel hospitalier parce qu’un conflit catégoriel pourrait être le prélude à un embrasement général dans un secteur qui ne compte pas moins de 800 000 agents avec une forte implantation syndicale. Il était donc essentiel d’éteindre l’incendie avant qu’il ne se déclenche. Pour les cliniques, il a suffi de lâcher un peu de lest ou plus exactement d’annoncer une concertation sur la place des cliniques dans le système de santé pour que l’hospitalisation privée se calme. Restent les médecins libéraux pour lesquels la situation est plus complexe et le rapport de force défavorable.

Tout au long de cette « grève des confiseurs », la ministre de la Santé n’a cessé d’ironiser sur le fait que le nombre de cabinets fermés n’était pas supérieur à celui des années précédentes à la même période, suggérant qu’en fait de grévistes, les médecins étaient des plagistes. De fait, on n’a observé ni panique chez les patients, ni agitation médiatique, ni engorgement des urgences hospitalières. Et, coup de grâce, le 2 janvier, la Caisse nationale d’assurance-maladie a annoncé que le nombre de consultations entre le 23 et le 31 décembre – la semaine de grève – avait été supérieur à celui de l’an dernier à la même période…Le mouvement a donc fait « pschitt » malgré les déclarations triomphantes des syndicats de médecins qui entendent relancer le mouvement par une grève administrative dont le point fort est le boycott de la télétransmission et le retour aux bonnes vieilles feuilles de soins papier.

[singlepic id=1008 w=300 h=220 float=right]Le problème des médecins libéraux est que, de leurs trois revendications – l’étatisation du système de santé, le tiers-payant, la revalorisation à 25 € de la consultation –, la première est incompréhensible à l’opinion publique, la deuxième est un enjeu politique majeur pour le gouvernement et la troisième est impossible à satisfaire pour des raisons économiques, politiques et conventionnelles.

– L’étatisation du système de santé par le projet de loi santé : c’est une réalité qui a déjà été décryptée ici.  Pour autant, ce thème ne parle pas à l’opinion pour laquelle, d’une part la santé relève de la solidarité nationale et, d’autre part, les subtilités de partage de pouvoir entre l’Assurance-maladie et l’Etat ne sont pas audibles. Personne ne va manifester parce que les Agences régionales de santé vont assurer la gestion du risque.

Le tiers-payant : il est sorti du chapeau des conseillers de François Hollande pendant la campagne présidentielle de 2012 parce que « c’est un marqueur de gauche ». Depuis 2013, il est un des éléments de la politique social-libérale du Président. Face à une politique économique libérale – pacte de responsabilité, loi Macron, rigueur budgétaire, etc.. – François Hollande entend mettre en place des amortisseurs sociaux d’autant plus indispensables que la courbe du chômage ne s’est pas inversée. Le tiers-payant est un des éléments de ce compromis social-libéral au même titre que le compte pénibilité, le compte formation, la généralisation de la couverture complémentaire santé, l’encadrement des dépassements d’honoraires, etc. Peu importe que son impact réel sur l’accès aux soins soit faible. L’essentiel est le caractère totémique de la mesure, l’affichage politique et la perspective de pouvoir annoncer en 2017 avoir tenu cet engagement.

La volonté de s’y opposer pour préserver le paiement direct et pour dénoncer les lenteurs administratives est une erreur stratégique. Mais le plus absurde est d’utiliser l’arme de la grève de la télétransmission parce que cette grève est le meilleur argument en faveur… du tiers-payant. En effet, avec une feuille de soins papier, le délai de remboursement est 5 à 6 semaines contre 2 à 3 jours avec la télétransmission…

Or, quel est l’objectif de « la dispense d’avance de frais » ? Ce n’est pas de rendre l’acte médical gratuit, mais d’éviter à l’assuré un décalage entre le paiement de l’acte et le remboursement de la part prise en charge par l’Assurance-maladie et les complémentaires. Au fond, avec la télétransmission, on n’est pas très loin du but d’autant qu’avec les règlements par chèque et par carte bancaire, les assurés échappent à ce décalage de trésorerie. Si on ajoute à cela que les actes lourds sont déjà réglés en tiers-payant et que les bénéficiaires de la CMU sont dispensés de tout paiement, l’impact de la généralisation du tiers-payant sera ou serait assez faible. Dans cette affaire, on est dans un pur affrontement politique et idéologique dont les protagonistes devraient pouvoir sortir avec un peu d’intelligence et de sens politique.

Au lieu de choisir l’affrontement avec la grève de la télétransmission, les syndicats de médecins seraient bien inspirés d’utiliser la télétransmission comme un levier pour sortir du piège dans lequel ils sont en train de s’enferrer. Ils devraient, en effet, s’engager à généraliser la télétransmission pour l’ensemble de leurs actes, le tiers-payant ne s’appliquant qu’aux actes qui techniquement ou pratiquement ne peuvent pas être télétransmis (visites, non présentation de la Carte Vitale par le patient, etc..). De son coté, Marisol Touraine serait bien inspirée de prendre en considération la proposition de la CSMF d’un développement de la monétique à débit différé. Enfin, les complémentaires devraient s’engager sur des délais de remboursement. Ces pistes-là qui permettent de sortir du dogmatisme reviendraient à mettre en place un système Canada-Dry, un mécanisme qui aurait le goût et la couleur du tiers-payant qui ne serait pas un payant mais en aurait les mêmes vertus…

– La revalorisation de la consultation du généraliste à 25 euros. Elle est impossible pour trois raisons : économiques, politiques et conventionnelles. Les raisons économiques tiennent à un seul chiffre : 1 milliard d’euros. C’est, ou ce serait le coût pour l’Assurance-maladie d’une telle revalorisation si on considère que les médecins – généralistes et spécialistes – produisent 500 millions d’actes cliniques remboursés en moyenne à 70 %, auxquels il faut ajouter un certain nombre d’actes et de forfaits indexés sur la consultation et qui augmenteraient automatiquement.

[singlepic id=1009 w=280 h=200 float=left]Un système verrouillé par Bruxelles

Alors que l’Assurance-maladie croule sous les déficits et que l’ONDAM se resserre de plus en plus au point d’atteindre le niveau de 2,1 %, il est d’autant moins envisageable de relever le niveau de la consultation que cette revalorisation serait sans contrepartie. Ce serait, pour parler crûment « tout bénef » pour les médecins. C’est là que l’on trouve la raison politique. A l’heure où il mène une politique de rigueur, qu’il est sous la surveillance de Bruxelles pour réduire les déficits publics, qu’il maintient le gel de l’indice des salaires des fonctionnaires, qu’il refuse de donner un coup de pouce au SMIC et qu’il place les allocations familiales sous conditions de ressources, le gouvernement pourrait-il annoncer tranquillement qu’il accorde 1 milliard d’euros de revenus ou de recettes supplémentaires aux médecins ? Autant qu’il organise tout de suite, dans les jardins de l’Hôtel Matignon,  son suicide collectif, façon Ordre du Temple solaire. Enfin, les raisons conventionnelles. Les syndicats de médecins ignorent-ils ou font-ils semblant d’ignorer que les médecins sont dans un cadre conventionnel fondé sur le donnant-donnant. Depuis 2005, le jeu conventionnel repose sur le principe d’un échange prix/volume et d’un engagement de maîtrise médicalisée. C’est parce que les engagements n’ont pas été tenus que le tiroir-caisse de l’Assurance-maladie s’est refermé.

Depuis 2011, le système est encore plus verrouillé. Les revalorisations passent par la fameuse Rémunération sur objectif de santé publique (RSOP). Chaque année, les médecins reçoivent une prime moyenne de l’ordre de 6 000 € en fonction de la réalisation d’objectifs de qualité. Rapporté à leur production, cela équivaut à 1,6 euros par consultation. Et, ce n’est pas tout. En effet, il ne faut pas oublier les petits à-côtés comme le forfait patient/médecin traitant, la majoration de coordination de 5 euros pour les médecins spécialistes intervenant dans le cadre du parcours de soins ou les consultations majorées pour nourrissons et personnes âgées.

Si on intègre tous ces éléments, la consultation, loin de sa valeur faciale de 23 euros, a, selon une évaluation, opportunément publiée par la Caisse nationale d’assurance-maladie, une valeur réelle de  31,49 euros. (+ 3,1% en 2014). Le supplément se répartit ainsi : + 1,5 euros  de  rémunération médecin traitant  suivant les patient en ALD, + 0,80 euros pour les patients non ALD, + 0,60 euros pour les patients de plus de 80 ans, + 0,40 euros de majorations diverses, + 3,60 euros de prise en charge par l’Assurance-maladie d’une partie de la couverture sociale du praticien, + 1,6 euros de ROSP.  Avec la Convention de 2011, les médecins ont échangé des revalorisations contre une forfaitisation dans une perspective d’amélioration de la pratique médicale. La valeur des actes est un élément d’un ensemble qui ne peut pas varier tout seul.

Stakhanovisme médicalement  aberrant

Mais cela ne résout pas pour autant la question de la revalorisation de la médecine clinique. Le principal défaut du système de santé et particulièrement du parcours de soins est son absence de médicalisation, faute de protocoles opposables reprenant les innombrables recommandations de la Haute autorité de santé mais aussi faute d’une hiérarchisation de la valeur des actes cliniques. La consultation à tarif unique est une hérésie. Elle ne permet pas au médecin de s’investir dans le cœur de son métier qu’est la clinique et le pousse à un stakhanovisme médicalement  aberrant, économiquement perdant et socialement déprimant.

Plutôt que de revendiquer une impossible revalorisation de la consultation, les syndicats de médecins seraient mieux inspirés de mettre en avant un autre levier – la nomenclature des actes médicaux – dont le principe est d’ailleurs inscrit dans la Convention médicale. Là est la véritable clé de la revalorisation de la médecine générale et de la médecine spécialisée clinique. Au fond, face aux enjeux du XXIème siècle, les syndicats médicaux appliquent les outils du XXème siècle. Il serait temps qu’ils adaptent leur logiciel, notamment celui permettant la télétransmission de leurs…  revendications.

Philippe Rollandin 

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