Un « pacte de confiance à l’hôpital » : la paix sociale n’a pas de prix !

Un « pacte de confiance à l’hôpital » : la paix sociale n’a pas de prix !
mars 20 23:44 2013 Imprimer l'article

[singlepic id=704 w=320 h=240 float=left]Le rapport Couty (photo) sur le « pacte de confiance à l’hôpital » préconise la suppression de la tarification à l’activité ( T2A) et son remplacement par un financement forfaitaire qui a des faux airs de budget global, une remise en cause des pôles et une organisation du système de santé hospitalo-centrée avec un hôpital retrouvant le monopole des missions de service public. Ce retour en arrière s’explique par la volonté du gouvernement d’éviter un embrasement social dans un système hospitalier sous tension qui pourrait être le prélude à une crise sociale et politique majeure. La paix sociale n’a pas de prix mais elle un coût. Décryptage.

« Tout changer pour que rien ne change ». La philosophie politique du Prince de Salina – le personnage du Guépard dans le livre et le film éponyme de Visconti – qui espère, par des réforme d’apparence, empêcher la révolution garibaldienne et maintenir ainsi le rang et la place de l’aristocratie italienne semble avoir inspirée Edouard Couty. Dense, épais, posant un diagnostic clinique précis, le rapport de l’ancien directeur des hôpitaux au ministère de la Santé sur « le pacte de confiance à l’hôpital » porte 45 propositions de changement qui visent… à ne rien changer. Il est vrai que la feuille de route que lui avait donnée la ministre de la Santé relevait de la mission impossible : éviter tout conflit social à l’hôpital sans mesure budgétaire et salariale, les caisses étant vides et même plus que vides.  Edouard Couty se sort avec une grande habileté de cette opération de déminage préventif. Il joue sur la corde sensible des valeurs et de la nostalgie. La paix sociale au prix de l’immobilisme et d’un retour vers le futur en quelque sorte.  L’objectif de la loi HPST de faire de l’hôpital une structure performante – une entreprise selon les détracteurs de la loi Bachelot – et efficiente est abandonnée. On en revient aux bonnes vieilles valeurs de gauche : l’hôpital a le monopole du service public hospitalier. Les établissements privés – les cliniques – sont renvoyés à leur statut et leur image de vils profiteurs du système. Il y a là comme un écho au discours des années 80 sur l’éducation avec le fameux « grand service public laïc ».

Le retour de l’hospitalo-centrisme

Mais surtout, ce rapport marque le grand retour – même s’il est insidieux et habillé aux couleurs du pacte national de santé – de l’hospitalo-centrisme. En effet, c’est à partir de l’hôpital que se construiront les territoires de santé et que la planification s’établira. C’est aussi par rapport à l’hôpital que le rôle des autres acteurs de santé sera défini et que s’articulera le parcours de soins des patients même si la coordination en sera concédée au médecin traitant. D’ailleurs, les Agences régionales de santé seront priées de se montrer gentilles avec les hôpitaux puisqu’elles devront – proposition n°40 – « prévenir et éviter les injonctions contradictoires et cadrer leurs actions à partir d’objectifs généraux et de méthodes d’action afin de leur laisser marge de manœuvre et capacité d’action ». Les ARS pourront toujours se défouler sur les cliniques…

Pour un modèle mixte de financement

Mais cette proposition est lourde de sens car à la lire entre les mots, elle met un terme à toute planification et tentative de rationalisation de l’offre hospitalière. Les schémas régionaux se réduiront à une compilation des projets d’établissements des hôpitaux.  Le message est clair : fini les restructurations à la hache et les fermetures de services et d’hôpitaux….La menace extérieure ainsi écartée, le rapport s’attache aux menaces internes avec le financement et l’organisation des hôpitaux.

Sur le premier point, le rapport préconise ni plus, ni moins que la suppression de la T2A qui cristallise toutes les critiques sur l’aspect hôpital entreprise. Edouard Couty préconise – proposition n°9 – « de construire un modèle mixte de financement qui comporte trois volets : T2A pour les activités MCO de court séjour,  mode de financement – tarif adapté au parcours de soin – pour les maladies au long cours, part en dotation pour les missions d’intérêt général et de service public ».  Quand on sait que 70% des dépenses de santé et d’hospitalisation sont le fait de la prise en charge des maladies chroniques et des affections de longue durée (ALD), cela revient de fait à supprimer la tarification à l’activité qui ne s’appliquera plus qu’aux accouchements et aux jambes cassées après accident de ski.

Pour que les choses soient claires, Edouard Couty précise – proposition n°10 – qu’il est nécessaire de « s’assurer que le nouveau modèle de financement soit simple et robuste, qu’il valorise la qualité et la pertinence des prises en charge et des parcours de soins plus que la quantité d’activité produite ».

Encore un effort et le budget global va renaitre de ses cendres. Comme il a été souligné ici, la T2A couplée à la convergence tarifaire génère des effets pervers en ne visant qu’une maitrise des prix et non des coûts. Mais, le plus grand danger pour l’hôpital est de découpler le financement de l’activité. Une commission ad hoc doit plancher sur la mise en musique des ces propositions budgétaires et délimiter la part de financement au forfait et la part de financement liée à l’activité. On lui souhaite du plaisir.

Une opération de déminage réussie

Protégé par son « financement simple et robuste », l’hôpital va pouvoir s’attacher à mettre en place une gouvernance apaisée, dialoguante et démocratique. Bienvenue au pays des Bisounours en blouses blanches. Fini, la thématique managériale  d’un seul patron (le directeur) et de son directoire. Celui-ci sera remplacé – une révolution ! – par un conseil de direction à la composition élargie. Le contour de ce conseil est encore flou, mais il devra gouverner l’hôpital en s’appuyant sur une kyrielle d’instances qui vont des plus classiques comme la CME, le CHSCT aux plus ésotériques comme la CRUQ en passant par le CSI et d’autres qu’il serait trop long d’énumérer. Les pôles – mis en place en 2011 – seront évalués et pourront être, le cas échéant, redécoupés en services, comme au bon vieux temps…..

La meilleure preuve que l’opération déminage a réussi est que ce rapport n’a suscité que des réactions positives. Même Patrick Pelloux, le bouillonnant urgentiste qui, depuis la canicule de 2003, fait trembler tous les locataires de l’avenue de Ségur, a salué cette volonté de rupture. Marisol Touraine a saisi la balle au bond en déclarant urbi et orbi qu’elle « se situait clairement dans l’après HPST » et qu’après la fin de la convergence tarifaire décidée dès son installation au ministère, ce rapport lui donnait les moyens de réinstaller l’hôpital dans son rôle de sanctuaire du service public.

Une poudrière prête à exploser

Les ressorts de cette orientation sont très politiques. L’obsession du gouvernement est d’éviter une crise sociale qui s’ajouterait à la crise économique. Et, dans cette obsession, l’hôpital public tient une place de choix. Avec ses 800 000 agents, ses contraintes budgétaires, ses personnels sous tensions, ses urgences débordées, l’hôpital est une poudrière prête à exploser à la moindre étincelle. Or, un conflit à l’hôpital est un véritable cauchemar pour tout gouvernement, surtout de gauche. L’histoire sociale de ces 25 ou 30 dernières années montrent que les mouvements sociaux – les grèves – à l’hôpital ont trois caractéristiques :

–        Leur durée interminable,
–        Le soutien de l’opinion, émue par la vie infernale des personnels hospitaliers,
–        Le coût élevé de la sortie du conflit, soit parce qu’il faut « acheter » la reprise du travail, soit parce qu’il faut abandonner le projet à l’origine du conflit.

Ce n’est pas un hasard si, au moment de la publication du rapport Couty, la Ministre de la santé a annoncé des mesures visant à améliorer le triste sort des internes. Le cauchemar des cauchemars, c’est lorsque un conflit à l’hôpital démarre par un mouvement des jeunes. C’est le syndrome du dentifrice : il est facile de faire sortir la pâte du tube mais pour la faire rentrer…Dans le contexte économique et politique actuel, le président de la République ne peut pas lâcher prise sur la réduction du déficit et de la dette. Sous la surveillance des marchés et de Bruxelles, la France joue une partie difficile.

Le prix de la paix sociale à l’hôpital

La paix sociale dans les hôpitaux est donc un impératif politique majeur. D’où ce rapport et cette politique de l’édredon, d’autant plus nécessaire que le gouvernement a pris une mesure importante qui est passée relativement inaperçue : le gel du point d’indice dans la fonction publique. Ce jargon technique signifie tout simplement que les salaires de la fonction publique sont gelés cette année et peut-être l’année prochaine. Le traitement des fonctionnaires – y compris dans les hôpitaux – ne progressera que par le jeu de l’ancienneté ou de la progression dans les échelons. La droite s’en prend souvent à la masse salariale de la fonction publique – dont le poids est un facteur important des dépenses publiques – et annonce des mesures spectaculaires comme le non remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite.

Mais il revient souvent à la gauche de prendre des mesures structurelles pour contenir la masse salariale publique. Le gel de cette année en est une. En effet, elle stabilise la base salariale et même, à terme et à périmètre constant, elle la diminue puisque les futures hausses s’appliqueront sur la base gelée.. En 1983, au moment du tournant de la rigueur, le gouvernement de Pierre Mauroy avait décidé la désindexation prix/salaire dans la fonction publique. A une époque où l’inflation était forte (7-8, voire 10%), la remise en cause de cette garantie de pouvoir d’achat avait eu un effet massif sur les finances publiques et… sur l’impopularité du gouvernement. Le rapport Couty, ce n’est rien d’autre que le prix de la paix sociale à l’hôpital.

Mais, les maux qui rongent l’hôpital – engorgement des urgences, inadaptation de la carte hospitalière, structure des coûts, pertinence ou plutôt non pertinence des actes, déficit des systèmes d’information, etc..- demeurent. Pour éviter une crise non plus sociale mais organisationnelle et systémique, il faut mettre sur les rails une réflexion sur une réforme structurelle. Regarder le futur dans un rétroviseur n’a jamais été une bonne politique. Pour paraphraser Pierre Dac, « l’hôpital a son avenir devant lui mais il l’aura derrière à chaque fois qu’il se retournera ».

Philippe Rollandin

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