Tiers payant : officines et médecins généralistes se rebiffent

Tiers payant : officines et médecins généralistes se rebiffent
février 08 17:47 2017 Imprimer l'article

Vertrag Stiftbergabe ablehnenAlors qu’ils ont enregistré l’an passé une nouvelle baisse de leur vente, les représentants des pharmacies d’officine veulent signer un contrat pluriannuel avec l’Etat et l’Assurance-maladie. A la veille de leur négociation en vue d’une nouvelle convention, ils égratignent au passage la gestion du tiers payant. Si les complémentaires affichent une proposition de « contrat unique » en direction des professionnels de santé pour qu’ils initient le tiers payant sur la part complémentaire, les syndicats de médecins rejettent une fois encore un dispositif qu’ils jugent intenable et trop contraignant.

Depuis deux années déjà, le chiffre d’affaires des médicaments remboursables vendus par les officines ne progresse plus. Cette « croissance zéro » de ce qui constitue le cœur de l’activité du monde officinal a entrainé une baisse de 2,5 % de leur rémunération – de leur marge – en 2015 et de 1,5 % en 2016, selon les calculs faits par l’Union des Syndicats de Pharmaciens d’officine (USPO). Face à la dégradation de leur modèle économique, les représentants syndicaux s’interrogent sur leur avenir. Ce d’autant que le Comité économique des produits de santé (CEPS) a récemment présenté un plan d’économies sur les génériques, qui pèserait pour plus de 50 % sur les officines et leur ferait perdre 152 millions d’euros supplémentaires, alors même que le gouvernement présente dans les médias une campagne d’information active en faveur de ces mêmes génériques. « Ces nouvelles dispositions réduiraient à néant l’investissement des pharmacies sur le développement du générique et le plan gouvernemental de communication en cours« , commente à cet égard l’USPO.

Négociations cadrées

Plus récemment, les syndicats ont reçu la lettre de cadrage de la ministre de la Santé, fixant les grandes lignes de sa politique sur le plan du médicament. Madame Touraine y annonce la poursuite des baisses de prix des médicaments de ville – princeps et génériques – en vue de financer les médicaments innovants dispensés à l’hôpital. Elle propose également de subventionner des pharmacies dans des zones sensibles pour les empêcher de fermer, suite aux difficultés économiques engendrées par les baisses de marge. De plus, elle annonce la mise en place d’un observatoire pour analyser la rémunération des pharmacies. Enfin, la ministre se dit  favorable à un financement pluriannuel soutenant la convention pharmaceutique pour réformer la profession. Cette lettre de cadrage pose au total les bases de la renégociation de la convention pharmaceutique pour la période 2017-2022 et pour laquelle quatre séances sont fixées à compter du 22 février prochain. « La lettre de cadrage est classique et précise un nombre d’éléments portés à la discussion conventionnelle, souligne de son côté Philippe Gaertner, président de la Fédération des Syndicats Pharmaceutiques de France (FSPF), pour qui il manque encore une « quantification en euros ». « Nous ne voulons plus être considérés comme un « coût de distribution », résultat d’une politique industrielle que nous ne maîtrisons pas, résume Gilles Bonnefond, président de l’USPO. Nous devons être reconnus et rémunérés comme des professionnels de santé« .

Simplifier le tiers payant

Pour l’heure, l’USPO a invité les officinaux à se mobiliser en janvier en affichant dans leur vitrine : « L’accès aux soins en danger ». Il a également invité les pharmaciens à participer à un mouvement de grève des gardes du 23 au 29 janvier pour protester face à un projet d’ordonnance relatif au maillage officinal qui déstabiliserait le réseau pharmaceutique.

Enfin, le syndicat a réalisé une enquête sur « les coûts cachés de la gestion du tiers payant ». Ses résultats font ressortir que le temps passé à gérer ce tiers payant est supérieur à un mi-temps, en augmentation depuis 10 ans. Son coût a également été estimé : il serait compris entre 13 246 euros et 28 601 euros par officine, selon la valorisation du temps passé (préparateur ou pharmacien). Le syndicat déplore également « perte de temps face aux patients par la complexité et les changements croissants des droits notamment de complémentaires santé et depuis l’arrivée de l’ACS ».

Enfin, il pointe un « coût supplémentaire » pour favoriser les rapprochements bancaires (concentrateurs, logiciels, sociétés d’externalisation) et une augmentation du temps passé à la gestion des réclamations. « Aucune profession de santé ne peut supporter un tel niveau de dépenses supplémentaires et un risque financier », commente Gilles Bonnefond qui appelle l’Assurance Maladie et les complémentaires santé à faire « le choix de l’efficacité ». « Le tiers payant doit désormais être simplifié avec les professionnels de santé qui le pratiquent, conclut l’USPO. Cette simplification doit être priorisée, notamment par une convention unique entre les pharmaciens et les complémentaires santé limitant l’hétérogénéité des supports de droits et des pratiques. »

Une plateforme pour le tiers payant complémentaire

Du côté des médecins, la résistance face au tiers payant a pris une nouvelle tournure. Réunies depuis juin 2015 au sein de l’Association des complémentaires santé, les sociétés du secteur – mutuelles, assureurs et institutions de prévoyance – ont tenu leurs engagements et viennent de proposer un dispositif technique qui puisse permettre aux médecins de proposer à leurs malades le tiers payant pour la part complémentaire. Depuis quelques semaines, les médecins libéraux et autres professionnels de santé (auxiliaires, sages-femmes et centres de santé médicaux) qui le souhaitent peuvent ainsi proposer à leurs patients affiliés à une assurance complémentaire de bénéficier d’un service de tiers payant complet, grâce au portail mis en place par l’association. Ils peuvent y trouver la liste des assureurs membres de l’association (AMC et OTP) auprès desquels sont inscrits leurs patients et prendre connaissance par le menu des particularités du dispositif proposé aux professionnels de santé, que l’association a voulu « simple et sécurisé ». Muni de sa carte Vitale et de son attestation de complémentaire santé, l’assuré social, une fois ses droits vérifiés, ne paiera plus d’honoraires au praticien. La facturation sera calculée, répartie et envoyée automatiquement, à la CPAM pour la part obligatoire et à la complémentaire pour la part relevant du ticket modérateur. Le professionnel bénéficiera d’une garantie de paiement sur la part complémentaire et d’une harmonisation des normes de facturation, d’information et de virement bancaire entre l’assurance maladie et les complémentaires santé. Et surtout d’un engagement sur les délais. Le professionnel aura besoin d’un logiciel agréé SESAM-Vitale (soit 95 % des logiciels commercialisés actuellement) et éventuellement un lecteur de Flashcode.*

Un contrat unique boycotté

Le médecin qui souhaite faire bénéficier ses patients de ce service devra signer un seul contrat de tiers payant auprès de l’ensemble des complémentaires santé membres de l’association Inter-AMC qui ont donné mandat à l’association. « Plus des deux-tiers des organismes complémentaires ont signé le contrat de tiers payant généralisé », explique Christophe Lapierre, directeur du département systèmes d’information santé à la Mutualité Française sur le site internet de cette dernière. « Ainsi, 90% des personnes protégées sont éligibles à ce service, à condition que leur professionnel de santé ait signé le contrat avec l’association. » Une condition qui n’est toutefois pas du goût des médecins ! Car les syndicats de médecins libéraux s’opposent pour l’heure à toute signature d’un contrat de 14 pages pour chaque mutuelle, à laquelle il leur faut de surcroit adresser un RiB. Dès la présentation du dispositif, la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF), présidée par le Dr Jean-Paul Ortiz a indiqué qu’elle déconseillait fortement aux praticiens de signer le contrat.

Le syndicat des médecins généralistes MG France vient de son côté à appeler au boycott pur et simple du contrat en faisant valoir qu’il ne s’agit aucunement d’un contrat « unique » mais bien d’un contrat avec les 130 assureurs complémentaires adhérents. Pour le syndicat, la garantie de paiement n’est pas démontrée : « Cela figure en page 10 du contrat, commente le Dr Gilles Urbejtel, membre du bureau de MG France. La première exigence est que la carte Vitale du patient ne figure pas sur la liste d’opposition. Or, aucun logiciel médecin ne gère et ne consulte la liste d’opposition. ». Pour le syndicaliste, la procédure à suivre est trop longue, trop lourde et requière un suivi comptable contraignant, celui-là même que les pharmaciens d’officine ont récemment dénoncé. Autant de raisons qui, aux yeux du syndicat des médecins généralistes, militent pour l’application d’un système qu’il estime plus simple, avec « une facture, un règlement », si possible à destination de l’assurance-maladie obligatoire et effectué par elle. Car pourquoi faire compliqué quand on peut faire simple, objecte le syndicat des généraliste.

« L’offre de tiers payant représente une simplification administrative par rapport à l’existant, avec le dispositif de contrat unique. Notre contrat unique vaut signature avec tous les acteurs de la complémentaire santé », lui répond Christophe Lapierre. « Dans un délai de cinq jours après la signature, le professionnel de santé peut proposer le tiers payant intégral à ses patients. » Pour l’heure, ce dernier fait valoir que l’association enregistre 700 demandes de contractualisation par jour de la part des professionnels de santé, sans préciser combien de médecins sont intéressés par cette offre. Si le torchon ne brûle pas encore entre médecins libéraux et complémentaires, il apparait que la route vers un tiers payant généralisé, mais éclaté en flux distincts, reste encore semée d’embûches.

Jean-Jacques Cristofari

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Jean Jacques Cristofari

Journaliste spécialisé en économie de la santé En savoir plus ...

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