[singlepic id=106 w=320 h=240 float=left]Un laboratoire – Servier – qui a sciemment laissé un de ses produits – le Mediator – se vendre en décalage avec son AMM initiale, une agence – l’Afssaps – qui s’est montrée trop tolérance à l’égard d’un médicament sans efficacité thérapeutique réelle, un système de surveillance qui a été incapable d’analyser les risques graves de toxicité du produit, des autorités de santé qui sont restées accommodantes face à un médicament au service médical rendu insuffisant et sans intérêt de santé publique. Le rapport qui a été remis au ministre en charge de la Santé est un brulot sans complaisance face aux multiples dysfonctionnements du système d’autorisation, de surveillance et de suivi des médicaments dans l’Hexagone. Un rapport qui devrait avoir de lourdes conséquences sur le fonctionnement des agences en charge du médicament, pour peu que les mesures préconisées soient réellement appliquées et suivies d’effets. Le Parlement qui a diligenté une mission d’information sur le Médiator devrait donner ses conclusions sur l’affaire en juin prochain.
« Il y a urgence de redonner de la confiance dans le système de santé qui est le nôtre », a déclaré le ministre de la Santé, Xavier Bertrand, dès la parution du rapport de l’IGAS (1) qui clôture deux mois d’enquêtes et d’auditions depuis que ce qui est désormais « l’affaire Servier » a éclaté au grand jour, c’est à dire depuis la parution du livre au titre censuré du Dr Irène Franchon (2) (en photo). « C’est la transparence qui crée les conditions de la confiance », a ajouté le ministre, conscient que pour l’avenir rien ne sera plus comme avant dans le monde feutré et quelque peu fermé de cette agence qui a pour charge de veiller à la sécurité de nos produits de santé comme à leur bon usage. Une transparence qui n’est pas la pratique la plus usuelle ni la plus répandue au sein de la maison Servier où un capitaine d’industrie d’une autre époque cultive de longue date le secret, la manipulation, l’entregent avec les hommes du pouvoir et au besoin le chantage à l’emploi, quand il s’agit de défendre des médicaments dont le faible intérêt, sinon l’absence même d’intérêt de santé publique est clairement avancé par ceux qui ont en charge de l’évaluer. Tout ou presque aura été écrit sur cet homme de 88 ans, « moine patron », ascète aussi secret qu’inaccessible, qui a su habilement s’entourer des personnalités compétentes mais uniquement à son service et qui voue de longue date une haine tenace à l’administration française (3).
Une stratégie de communication bien orchestrée
« Au moment où le benfluorex va être mis sur le marché (1976), la préoccupation des laboratoires Servier est de présenter ce nouveau médicament comme ce qu’il est peut-être –un adjuvant au traitement des hyperlipidémies et du diabète de type 2-, et non comme ce qu’il est à coup sûr –un puissant anorexigène », écrit l’IGAS au sujet du médicament de Servier en expliquant comment la firme va tenter d’effacer une trace très visible : le nom même de la substance. Au terme d’une analyse détaillée du mode de communication conduit par le laboratoire sur sa molécule et par lequel ce dernier entend démontrer que « le Mediator ne serait pas un anorexigène », le rapport de l’IGAS démonte les multiples manipulations auxquelles s’est livré la firme pour une nous livrer une conclusion sans équivoque : « Pendant 33 ans (1976-2009), tous les patients traités par le Mediator® ont en réalité absorbé de la norfenfluramine à des doses efficaces. ». Et d’ajouter, avant d’entrer plus en avant dans les détails de la démarche, que « cette stratégie de communication va permettre au Mediator®, en dépit d’alertes nombreuses et répétées, de franchir sans encombres les divers barrages qu’auraient dû être les commissions d’AMM, les comités techniques, les commissions nationales de pharmacovigilance, les commissions de la transparence, les vagues successives de déremboursements. » Ainsi 14 années durant, selon les inspecteurs, le benfluorex va poursuivre son chemin de spécialité pharmaceutique et échapper à la mise à l’écart des anorexigènes et des fenfluramines en 1995. La 2ème vie du produit, durant laquelle son sort sera lié à d’autres (Ponderal et Isomeride), fera apparaître ses liens avec l’apparition de cas d’HTPA (hypertensions artérielles pulmonaires) qui ont conduit Irène Frachon à mettre le dossier sur la place publique. Les changements successifs de stratégie adoptés par le laboratoire permettront à la molécule incriminée de perdurer et « de 1987 à 2001, les responsables de l’évaluation du médicament de l’Agence ont donc fait passer la promesse de nouvelles études de la firme, études dont ils connaissaient pourtant les faiblesses, avant l’application de leurs propres décisions constatant la très faible efficacité thérapeutique du Mediator®. », note encore le rapport. Ainsi au fil des années, « le débat sur les indications apparaît de plus hors de la réalité », au vu d’un mésusage du produit qui atteindra, selon l’IGAS, environ 20 % des prescriptions. Soit une boîte sur 5 vendue par le laboratoire et prescrite par les médecins !
Une inertie administrative incompréhensible
Du côté des instances chargées de la surveillance des médicaments, le fiasco est patent : « Les alertes répétées sur le mésusage du benfluorex ne seront pas prises en compte », souligne le rapport en détaillant par le menu les multiples erreurs et manquements des administrations sanitaires. Alertée par des médecins conseils nationaux, l’agence du médicament ne réagit pas. Des cas de valvulopathie aortique et d’HTPA sont signalés. Rien n’y fait. « Combien de morts » faut-il à une administration pour réagir se demandait Irène Franchon dans le titre initial de son livre. On demande par une note officielle une évaluation du dossier en soulignant les inquiétudes des cliniciens ? « Il n’est pas retrouvé de réponse à cette note », poursuit l’IGAS en indiquant plus loin : « De 1999 à 2005, le progrès dans les connaissances scientifiques et la montée des cas rendent incompréhensibles l’inertie puis les propositions inadaptées de la pharmacovigilance. » Il faudra attendre 2009 pour considérer le signal comme inacceptable, « alors que le laboratoire continue à plaider pour le maintien du Mediator®. En un mot, sur l’ensemble du cheminement de cette affaire et jusqu’à une date récente, le doute a profité au médicament et non au malade. Un comble ! Au total, les directeurs généraux successifs de l’agence n’ont pas été informés de manière correcte, pas plus qu’une information sanitaire sur le risque du médicament n’a été portée à la connaissance des ministres qui se sont succédés ces 33 dernières années. « L’éclatement entre les différents acteurs publics de la chaîne du médicament et un système de commissions foisonnant, chronophage et donnant l’illusion de la transparence des dossiers a contribué à la difficulté de cette information des ministres. » Ministres qui auraient du être plus attentifs cependant. Enfin, s’agissant de l’analyse des grandes étapes de la réévaluation du Mediator, la confusion est également de règle, avec des avis inexplicables et des décisions sans portée réelle. La réforme de 1999 sur les critères d’appréciation du service médical rendu (SMR) ajoutera à la confusion. La même année, en novembre, le médicament sera classé comme SMR insuffisant. Si son prix baissera de 23,5 % entre 2000 et 2002, la baisse de son taux de remboursement de 65 % à 35 % n’aboutira pas, « malgré des relances successives de la DSS, en 2002/2003. »
Une bureaucratie sanitaire qui a failli à sa mission
Qui protégeait ainsi les intérêts du laboratoire jusqu’à ce que l’AFSSAPS se prononce en 2007 et supprime l’indication relative aux hypertriglycéridémies ? En 2009, une étude, dite Regulate, montre l’émergence d’anomalies valvulaires fonctionnelles significatives. Le médicament va alors quitter le champ de la médecine générale pour entrer dans le pré carré des spécialistes, priés d’accompagner son traitement d’une surveillance écho-cardiographique. Le 30 novembre le produit est suspendu puis retiré définitivement du marché en juillet 2010. Sur les 35 années de son existence, il aura généré de 500 à 2000 morts. Trois seulement, de l’avis de son promoteur, le Dr Jacques Servier, qui aura prochainement des comptes à rendre à la justice. Car 35 années durant, le Pdg aura sans relâche poursuivi la commercialisation de son médicament en intervenant auprès des autorités compétentes pour en obtenir la reconnaissance en qualité de médicament anti-diabétique. Sur la période, « aucun expert de l’Agence n’a été en mesure de conduire un raisonnement pharmacologique clairvoyant », conclut l’IGAS. Une Agence qui « est apparue, dans le cas étudié, comme une structure lourde, lente, peu réactive, figée, malgré la bonne volonté et le travail acharné de la plupart de ses agents, dans une sorte de bureaucratie sanitaire ». Le rapport des inspecteurs de l’IGAS ouvre la porte à des réformes aussi importantes qu’urgentes du fait d’un « dispositif de pharmacovigilance [qui] a failli à sa mission, qui est d’identifier et d’instruire, dans un délai raisonnable, et afin d’éclairer la décision des responsables sanitaires, les cas d’effets indésirable graves liés à l’usage du médicament. » Les responsables de ce fiasco sanitaire et réglementaire, où les responsabilités sont diluées, sont clairement désignés. « La chaîne du médicament fonctionne aujourd’hui de manière à ce que le doute bénéficie non aux patients et à la santé publique mais aux firmes », avancent encore les rapporteurs. Le temps qui voulait qu’une AMM équivaut à un droit de commercialiser à vie est révolu. L’heure des révisions régulières des bénéfices/risques a sonné et avec elle celle de la prise en compte des intérêts de santé publique des produits. A défaut, d’autres Mediator pourraient surgir à l’avenir comme autant de tueurs aveugles. Mais comme le conclut à juste titre le rapport de l’IGAS, il appartient aussi aux professionnels de santé comme aux associations de patients (voir ci-après) de s’impliquer davantage. Quant à l’industrie du médicament, dont l’image va une nouvelle fois se ternir dans cette triste affaire, il faudra également qu’elle donne de solides gages de sa volonté d’oeuvrer pour le bien de la santé publique. Le LEEM qui représente les intérêts des laboratoires présents en France a aussitôt fait savoir qu' »il ne peut pas y avoir d’autre objectif que celui de mettre au point des médicaments avec le meilleur rapport efficacité / risque, dans un souci permanent de sécurité pour les patients, y compris pour les innovations les plus sophistiquées », et a réaffirmé sa « mobilisation » aux côtés des autorités de santé « pour assurer toujours mieux la santé et la sécurité des personnes ». Cette fois l »‘affaire » est trop sérieuse pour que l’organisation présidée par Christian Lajoux, patron de sanofi-aventis France fasse le dos rond. Le 18 janvier 2011, le Conseil d’administration du Leem a décidé de lâcher le laboratoire Servier en « suspendant » la participation de ce dernier aux instances du syndicat. « Le Leem entend contribuer, à la place qui est la sienne et aux côtés des autres parties prenantes, aux réflexions qui viennent d’être engagées ainsi qu’aux travaux des missions d’information parlementaires et de la seconde mission de l’IGAS », a fait savoir Christian Lajoux.
Jean-Jacques Cristofari
(1) Enquête sur le MEDIATOR®, établi par Dr Anne-Carole BENSADON, Etienne MARIE et Dr Aquilino MORELLE, membres de l’Inspection générale des affaires sociales, janvier 2011.
(2) « Médiator, combien de morts », éditions Dialogues, 2010
(3) « Le médicament et la vie », débats avec Jacques Marseille, Editions Perrin, 2007.
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[singlepic id=104 w=320 h=240 float=left]Associations de patients : pas de transactions amiables directes avec Servier.
7 structures et associations représentatives des malades (1) se prononcent pour la création d’un fonds d’indemnisation des victimes du Mediator, « seul susceptible d’apporter rapidement la compensation des dommages qu’elles ont subis ». Elles demandent que le laboratoire Servier contribue au financement du fonds et souhaitent que ce même fonds soit géré par l’Office national d’indemnisation des d’accidents médicaux et des affections iatrogènes (ONIAM) , « en associant étroitement les associations de personnes concernées dans la gouvernance de cette indemnisation, par le biais d’un conseil d’orientation auquel elles souhaitent participer. » Les associations réclament la réparation intégrale des préjudices subis par les victimes du Mediator.
(1) ce sont : l’association des victimes des accidents médicaux (AVIAM), l’association de défense des personnes victimes des effets secondaires des médicaments destinés à lutter contre le diabète et/ou la surcharge pondérale (ADVM), l’association des victimes de l’Isoméride et du Mediator (AVIM), l’association des victimes des maladies nosocomiales (LE LIEN), l’Association française des diabétiques (AFD), le Collectif interassociatif sur la santé (CISS) et l’UFC-Que Choisir.
Journaliste spécialisé en économie de la santé En savoir plus ...