Distribution du médicament en Europe : les répartiteurs défendent leur pré-carré

Distribution du médicament en Europe : les répartiteurs défendent leur pré-carré
avril 23 00:17 2012 Imprimer l'article

[singlepic id=454 w=200 h=160 float=left]Les grossistes répartiteurs européens, fédérés par le GIRP, s’inquiètent depuis plusieurs années de la montée en puissance des modèles alternatifs de distribution des médicaments sur le continent européen, et en particulier des ventes directes effectuées par les big pharma auprès des officines. Ils viennent de publier une étude par laquelle ils entendent démontrer l’efficacité de la répartition gamme entière, ainsi que l’importance des services apportés par les répartiteurs. Ils veulent surtout mettre l’accent sur les coûts économiques supplémentaires qu’entraînent les pratiques de ventes directes aux officines.

Les répartiteurs ont des obligations de service public par lesquelles ils sont tenus d’acheter aux industriels du médicament la gamme complète des produits mis à disposition des patients et dispensés en aval par les pharmacies d’officine. Le temps mis à distribuer les spécialités pharmaceutiques sur cette chaîne de la répartition est en moyenne de 2,66 heures dans les 6 pays analysés par l’étude du GIRP (1) dont les membres, au nombre de 772, jouent, à l’égard des 172 700 officines recensées sur cette zone, un rôle d’entrepôt externe à même de stocker jusqu’à 100 000 produits différents. « Pas moins de 700 millions de transactions de marchandises sont réalisées par an entre les répartiteurs, les fabricants et les officines des 6 pays européens clés (2) » commente à cet égard le GIRP. « Sans l’intervention des mêmes grossistes répartiteurs de gamme entière, le nombre des transactions passerait à quelque 97,9 milliards par an », ajoute l’organisation présidée par René Jenny. C’est dire l’importance stratégique de cette branche de la pharma européenne, sans laquelle les médicaments n’arriveraient pas dans les délais que nous connaissons à ce jour à leur destinataire final, le patient, sauf à augmenter notablement les coûts de leur distribution.

« En 2010, le chiffre d’affaires des répartiteurs installés sur les 25 pays de l’UE, ajouté à celui des grossistes de Suisse et de Norvège, s’est élevé au total à 136 milliards d’euros, dont 91 milliards ont été réalisés sur les 6 marchés clés de l’Union. Contraints d’acheter les stocks de médicaments aux laboratoires pharmaceutiques, les répartiteurs ont, pour les 6 pays considérés, pré-financé le marché des mêmes médicaments à hauteur de 10,2 milliards d’euros pour des périodes de 41 jours en moyenne, explique le GIRP, qui considère par ailleurs que les grossistes sécurisent les flux de trésorerie des assureurs sociaux et fait valoir que un euro investi dans leur secteur génère des économies de 2,02 euros sur les 6 pays considérés.

Alternatives à la répartition classique[singlepic id=456 w=180 h=140 float=right]

Seule ombre au tableau de la distribution européenne du médicament, l’introduction, depuis 2007, d’un modèle alternatif à la répartition classique, initié outre-Manche par le laboratoire GSK, ainsi que le développement continu des ventes directes des industriels aux officines. Ainsi en se passant des services quotidiens des opérateurs anglais de la répartition, GSK – bientôt suivi par d’autres big pharma, dont Pfizer, AstraZeneca, Merck, Eli Lilly et Takeda – entend gagner quelques points de marge sur ses coûts de distribution et consolider la position de ses propres produits sous ordonnance auprès des dispensateurs que sont les officines, mais également les pharmacies hospitalières et les médecins propharmaciens anglais. « En sécurisant la chaîne d’approvisionnement de Pfizer, les pharmaciens d’officine et les patients seront en mesure d’être assurés qu’ils reçoivent des médicaments originaux de Pfizer », fait alors valoir la filiale anglaise du laboratoire pour justifier son modèle de « direct to pharmacy » ou DTP. Le nouveau système initié par cette dernière s’appuiera sur les services d’un seul prestataire logistique, Unichem (3), chargé de livrer en direct officines publiques et privées, centres hospitaliers et praticiens du NHS. Un plan qui signe la mort programmée du traditionnel recours aux grossistes répartiteurs, qui ne l’entendent cependant pas de cette oreille et mèneront une guerre de tranchée contre ce modèle alternatif. Au-delà des motivations qui ont pu pousser les big pharma à réorganiser outre-Manche leur filière aval (4), se profile cependant leur volonté de serrer les coûts sur des marchés du médicament passablement déprimés, où quelques points de gagnés peuvent faire la différence. Car la pression sur les prix industriels n’a cessé de croître sur l’ensemble des marchés leaders du « Vieux Continent » et les acteurs de la distribution, déjà mis à mal par leurs autorités de tutelle, en France comme en Allemagne, se sont vus, de leur côté, sacrifiés sur l’autel d’une croissance désormais fortement ralentie. En France, une seule tentative de distribution sélective aura été menée, initié en 2010 par le laboratoire suisse Roche pour certains produits de son portefeuille de spécialités de ville (2,7 % des volumes distribués par le labo), tentative aussitôt condamnée tant par la Chambre syndicale de la répartition (CSRP), présidée par Claude Castells, que par les syndicats d’officine et l’Ordre des pharmaciens. « Cette initiative remet en cause un élément essentiel du statut des grossistes répartiteurs : la neutralité des répartiteurs vis-à-vis des laboratoires, qui garantit au médecin sa liberté de prescription », note à cet égard la CSRP dans son rapport 2011.

Des manques à gagner pour les répartiteurs

L’étude du GIRP met en évidence l’évolution du marché de la répartition depuis l’arrivée des modèles alternatifs anglais de distribution sélective, qui combinent le DTP et le choix d’un nombre restreint de répartiteurs par les laboratoires anglais. Ainsi en 2007, les full liners de la répartition assurait au Royaume-Uni 91 % du chiffre d’affaire total, contre 3 % pour le modèle de choix restrictif (RWA), 4 % pour le DTP et 3 % pour les ventes directes. Trois ans plus tard, la part des full-liners a est tombée à 73 %, contre 15 % pour le DTP, 10 % pour le RWA (ou Reduced Wholesaler Agreements) et 2 % pour les ventes directes. De l’autre côté de la Manche, la part des full-liners est de 84 % en 2010 (+ 3 % depuis 2007) en Allemagne, contre 96 % en Espagne, 88 % en Italie ou encore 92 % aux Pays-Bas (cf. tableau ci-dessous). En France, cette part a chuté à 63 %, baisse due pour l’essentiel à l’explosion des ventes directes des laboratoires aux officines, ventes qui pèsent pour 37 % du CA total de la répartition, contre 16 % en Allemagne ou encore 12 % en Italie. Cette situation française pose à l’évidence des problèmes aux opérateurs de la répartition sur le territoire français où 4 grands groupes (O.C.P, Alliance Healthcare, le réseau C.E.R.P et Phœnix Pharma) mettent à disposition 98 % des références auprès des officines. Récemment accusés d’être les boucs émissaires de la pénurie en médicament, ces mêmes répartiteurs qui  assurent dans l’Hexagone 63 % des ventes de médicaments des laboratoires aux officines, craignent de ne plus pouvoir remplir à terme leur mission de service public. Car les ventes directes qui leur échappent concernent des produits de marque à forte rotation sur lesquels ils ne touchent désormais plus un seul centime d’euro et les produits qu’ils ne gèrent plus – qui représentent par ailleurs 17 % du chiffre d’affaires des laboratoires et 30 % de leurs volumes vendus – sont autant de manques à gagner pour leurs investissements logistiques de demain.

[singlepic id=455 w=180 h=140 float=left]Les répartiteurs « trésoriers » de l’assurance maladie

Face à ce mouvement qui fragilise le secteur de la répartition pharmaceutique, ses représentants entendent expliquer aux responsables politiques des pays de l’Union Européenne leur rôle et les services qu’ils rendent dans la distribution des médicaments. « La disponibilité immédiate de médicaments économise des coûts significatifs en évitant des admissions hospitalières », note à cet égard le GIRP en rappelant la rapidité des services assurés par les grossistes. Ainsi ces derniers assurent environ 16 livraisons par semaine – 2,66 par jour – en direction des officines, contre seulement 8,3 pour le modèle de distribution sélective, 8 pour le DTP ou encore 5,5 pour les opérateurs short-liners. Quant aux livraisons des laboratoires qui vendent en direct,  elles ne dépassent pas 3 par semaine. A cet atout s’ajoute le fait que les répartiteurs de gamme entière pré-financent la quasi totalité du marché des produits pharmaceutiques et offrent la garantie d’un approvisionnement continu des officines dans tous les médicaments. Ainsi entre l’achat des médicaments au fabricant et le règlement des produits par les assureurs publics ou privés, la répartition avance, sur les 6 pays étudiés, quelque 10,2 milliards d’euros sur une durée moyenne de 41 jours. Un rôle de « trésorier » de l’assurance-maladie que le secteur de la répartition revendique, même s’il n’entend pas le faire payer. L’étude du GIRP chiffre cette « avance » à 1,3 milliards d’euros pour la France. De plus, en mettant en commun la distribution des produits des différents laboratoires, les répartiteurs génèrent des économies que l’étude du GIRP chiffre à 199 euros par regroupement de marchandises distribuées. « Sans ce regroupement des commandes, les coûts de distribution passeraient de 6 587 euros à 42 877 euros par pharmacie et par an si seulement 25 % des livraisons des grossistes étaient remplacées par des ventes directes des fabricants aux officines ». Et si la part des ventes directes devait passer à 50 %, alors la note augmenterait à 79 176 euros par officine et par an. « Sans les répartiteurs et à la même fréquence de livraison assurée par les autres opérateurs, les coûts par pharmacie passeraient à 164 922 euros », ajoute la même étude. Par cette dernière, menée à l’échelle de l’Europe, les acteurs de la répartition pharmaceutique souhaitent rappeler, aux laboratoires comme aux pouvoirs publics, le rôle qu’ils peuvent jouer et les économies qu’ils peuvent générer sur le circuit du médicament. Les fragiliser à l’avenir reviendrait à augmenter les coûts de la santé. Le message est on ne peut plus clair.

Jean-Jacques Cristofari

(1) « Distribution, profil et efficacité de l’industrie européenne de la répartition », IPF Research, avril 2012, pour le Groupement international de la répartition pharmaceutique ou GIRP

(2) La zone étudiée concerne la France, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne, les Pays-Bas et le Royaume-Uni.

(3) Alors filiale nationale du groupe de répartition Alliance Boots, né de la fusion du n°2 européen de la répartition pharmaceutique, Alliance Unichem. En France, Alliance Healthcare est la division « répartition pharmaceutique » d’Alliance Boots, dirigé par Ornella Barra (photo)[singlepic id=453 w=160 h=120 float=right], et les deux sociétés font partie des trois plus importants répartiteurs pharmaceutiques sur la quasi-totalité des marchés où le groupe est présent en Europe occidentale.

(4) Pfizer a en son temps avancé la nécessité de barrer la route aux contrefaçons de médicaments qui auraient emprunté la route des importations parallèles par les canaux de la répartition européenne jusqu’au Royaume-Uni.

Répartition du chiffre d’affaires de la répartition en Europe, par pays, selon les canaux de distribution

[Source : Etude IPF Research, avril 2012, GIRP]

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