Affaire Mediator et gestion du médicament : le LEEM s’explique au Sénat

Affaire Mediator et gestion du médicament : le LEEM s’explique au Sénat
mai 04 14:08 2011 Imprimer l'article

[singlepic id=160 w=320 h=240 float=left]François Autain (photo), président de la commission commune d’information sur le Mediator, recevait le 28 avril dernier les responsables du Leem pour une audition au Sénat. Christian Lajoux, son président, Philippe Lamoureux, son directeur général et Catherine Lassale, directeur des affaires scientifiques, ont précisé le rôle de l’industrie du médicament autour d’une affaire qui défraie la chronique depuis janvier dernier et devrait donner lieu cet été à une loi portant réforme du système d’autorisation, de contrôle et de surveillance du médicament et au-delà à la naissance d’une « super agence » du médicament. Etudes post-AMM, dépenses consacrées à la promotion du médicament, conflits d’intérêt, visite médicale, autant de sujets évoqués lors de cette audition. Morceaux choisis.

M. Christian Lajoux. « Le Mediator est une histoire des années 70 qui s’est mal terminée en 2009. Depuis, les méthodes de recherche et de travail des industriels du médicament ainsi que les modes d’évaluation des agences sanitaires ont significativement évolué, particulièrement durant la dernière décennie. (…) Conscients de la nécessité d’une vigilance renforcée à la mesure de la complexité grandissante des réponses thérapeutiques, nous sommes convaincus que le système français, s’il reste l’un des meilleurs en Europe, comporte des marges de progrès qui doivent s’inscrire dans un cadre européen. Pour nous, industriels de santé, la priorité est la sécurité sanitaire ; rien ne saurait nous en détourner.

« Notre devoir est de tout mettre en oeuvre pour un système garantissant une sécurité sanitaire maximale »

La semaine prochaine, nous remettrons probablement une synthèse sur les améliorations à apporter au système d’évaluation et à la gouvernance du médicament. Pour nous, l’essentiel est d’agir dans le cadre européen.

Un nouveau Mediator ? Notre souhait le plus cher, en tant qu’industriel, est que cette situation ne se reproduise pas. Peut-on parvenir au risque zéro ? Je ne le garantis pas. Notre devoir est de tout mettre en oeuvre pour un système garantissant une sécurité sanitaire maximale. Un médicament n’est jamais anodin ; plus il est complexe, plus l’évaluation du rapport entre bénéfices et risques est nécessaire. Si je ne peux pas m’engager sur le résultat, je m’engage, en tant qu’industriel, sur les moyens.

Ces dernières années, on note d’importantes évolutions dans le système européen d’évaluation du médicament. Tout d’abord, depuis 2002-2003, les études post-AMM…

François Autain D’après la Haute autorité de santé (la HAS), plus de la moitié de ces études post-AMM n’auraient pas reçu un début de commencement de réalisation. C’est d’autant plus inquiétant qu’elles ont débuté, avez-vous dit, en 2002, et non en 2004 comme je le pensais. Le président de la Commission de la transparence nous a indiqué, hier, qu’il peinait à obtenir la mise en place de ces protocoles.

M. Christian Lajoux. – La position du Leem est constante : lorsqu’une étude est demandée, les industriels doivent la réaliser. Quelques problèmes techniques, en particulier de méthodologie, subsistent ; d’où des difficultés, parfois, à trouver un accord entre industriels et investigateurs.

L’important, pour notre système d’évaluation du médicament, est l’existence de ces études post-AMM, de même que la transparence des essais cliniques, la publication des dons aux associations depuis 2009 – quatre-vingts de nos entreprises s’y plient déjà -, l’application de la « loi anti-cadeaux » et la charte de la visite médicale. Le Leem soutient ces initiatives.

Marie-Thérèse Hermange, rapporteur – Le Leem peut-il s’engager à inviter ses membres à donner suite aux demandes d’études post-AMM ? Ensuite, concernant le post-AMM, faut-il privilégier les études comparatives contre médicament ou l’observationnel ?

M. Christian Lajoux – Toute entreprise adhérant au Leem s’engage à respecter la législation. Ces études post-AMM, je le répète, posent essentiellement un problème méthodologique.

Catherine Lassale – Nous travaillons avec les industriels et la HAS pour améliorer la faisabilité de ces études. Le protocole, la formation des investigateurs et la valorisation des résultats pourraient être améliorés. (..) Le Leem, avec la volonté de favoriser ces études, participe aux réflexions sur une nouvelle méthodologie. Ces études sont variées : elles portent sur le suivi de prescription, l’impact sur la santé publique ou encore l’impact sur le système de soins. L’idéal est de comparer l’usage quotidien du médicament par rapport aux stratégies thérapeutiques en général. C’est donc un problème de méthodologie, et peut-être de coût. Les industriels doivent-ils prendre en charge cette comparaison des stratégies thérapeutiques ? Dans les années à venir, peut-être en viendrons-nous au système anglo-saxon de l’évaluation des technologies de santé. Ce serait une bonne chose.

François Autain – Le financement de ces études par les laboratoires représenterait-il un obstacle ? Tout au moins, cette cause peut-elle expliquer le retard avec lequel les études sont réalisées ?

Christian Lajoux – Le coût de l’étude n’est pas le facteur principal de retard, quoi qu’en disent les entreprises. Il entre en jeu seulement lorsque la méthodologie et l’objectif de l’étude n’ont pas été clarifiés. Au cours de ces dernières années, on a noté une réalisation accélérée de ces études. Quarante sont déjà réalisées !

Marie-Thérèse Hermange – D’après le professeur Alexandre, un changement d’indication d’un médicament par la commission d’AMM peut s’accompagner d’une dérogation pour 18 mois, période durant laquelle notices et conditionnements devenus inexacts sont écoulés. Autrefois, une évaluation régulière tous les cinq ans était prévue. Faut-il y revenir ? Dans ce cas, nous devrions modifier la directive de 2004. Comment faudrait-il s’y prendre à Bruxelles ?

Catherine Lassale – La nouvelle législation pharmaceutique européenne, qui s’appliquera en juillet 2012, répond en partie à cette préoccupation. Certes, il n’existe plus de revue systématique des AMM. Celle-ci, pour les industriels, était fastidieuse et plutôt réglementaire. La nouvelle législation prévoit une réévaluation permanente centrée sur le rapport entre bénéfice et risque. Cette législation européenne résoudra les difficultés décrites dans Le Figaro. Souhaitons qu’elle soit transposée le plus tôt possible.

Christian Lajoux. Il existe depuis 2004 un plan européen de gestion des risques. Lors de l’autorisation de mise sur le marché, on continue donc d’évaluer le rapport entre bénéfices et risques.

Cathérine Lassale. La notion du rapport entre bénéfices et risques est indispensable. La difficulté réside dans le fait que ce rapport est aujourd’hui mal évalué. Qu’appelle-t-on bénéfice ? Il faudrait également se pencher sur l’acceptabilité sociale de ce rapport. Quant aux AMM conditionnelles, elles sont réservées à des situations particulières. Leur but est de répondre à un besoin thérapeutique spécifique. Seule l’Agence européenne les délivrera, elle réévaluera le produit tous les ans, demandera une étude en fonction de laquelle elle prendra une décision de suspension ou non. Ce système fast track fonctionne bien aux États-Unis. Pour preuve, une première décision de suspension a été prise. Il est plus sûr pour le patient que le système des autorisations temporaires d’utilisation (ATU).

« Environ 12 à 13 % des dépenses des laboratoires sont consacrée à la promotion et 15 % à la recherche »

Marie-Thérèse Hermange – Quelle part consacre l’industrie pharmaceutique française, d’une part, à la promotion, d’autre part, à la recherche ?

M. Christian Lajoux – Question difficile : le cadre français est peu pertinent ; nos entreprises travaillent toutes à l’international. Ensuite, où s’arrête la promotion ? Cela dit, on considère que ces dépenses s’équivalaient ; aujourd’hui, les investissements dans la recherche augmentent. Jadis, les dépenses de promotion étaient plus importantes, cela n’est plus le cas aujourd’hui.(…) Il faut envisager la situation de manière globale. Les investissements de recherche augmentent tandis que les dépenses de promotion baissent. Nous sommes confrontés à un phénomène de générication. Or les génériques sont proposés par les pharmaciens, non par les médecins. En France, le nombre de visiteurs médicaux est passé de 24 000 il y a trois ans à 18 000 aujourd’hui. Ce sont des chiffres tangibles, qui correspondent à des suppressions d’emplois.

François Autain – D’après les statistiques de la HAS, le nombre de produits à ASMR 1 et ASMR 2 décroît. Tout le monde s’accorde à dire que la recherche s’essouffle. Dans le même temps, les laboratoires investissent moins.

Christian Lajoux – Les investissements dans la recherche sont extrêmement lourds. Pour qu’un nouveau médicament apparaisse sur le marché, il faut huit, dix, voire douze ans. Entre-temps, les exigences des évaluateurs changent. Le ralentissement, indéniable, est lié aux efforts des industries pour trouver de nouvelles méthodologies adaptées à l’évolution des connaissances scientifiques et aux nouvelles pathologies. En moyenne, les industries de santé investissent 4 milliards d’euros par an dans la recherche. En France, recherches publique et privée collaborent davantage ; le rôle des études cliniques devient fondamental. Si la France a longtemps été un grand pays pour les études cliniques, on observe aujourd’hui un léger décrochage. Les flux se déplacent aujourd’hui vers d’autres parties du monde, notamment l’Asie qui considère l’innovation comme une priorité stratégique. (…) Pour en revenir aux autres industries, celles-ci consacrent des efforts importants pour les médicaments orphelins et les études cliniques. On a dénombré une trentaine d’innovations thérapeutiques en 2010. La recherche n’en est donc pas au point zéro. En outre, l’évaluation repose sur les avis de la commission de la transparence, lesquels ne sont pas sans poser quelques interrogations.

François Autain – Autrement dit, le thermomètre est mauvais… Faut-il le casser ?

Christian Lajoux – Non, mais il peut être invalidé par l’appréciation portée dans d’autres parties du monde sur d’autres thérapeutiques, notamment chez nos voisins.

François Autain – Quel est le pourcentage exact des investissements consacrés à la promotion et à la recherche ?

Christian Lajoux – Environ 12 à 13 % pour la promotion et 15 % pour la recherche. Pour autant, ces chiffres globaux ne veulent rien dire ; il faudrait les examiner entreprise par entreprise.

« Le Leem est favorable à la mise en place d’un dispositif inspiré du Sunshine Act »

Marie-Thérèse Hermange – Les enjeux de concurrence entre pays et continents ont-ils une influence sur l’obtention des AMM ? Pour exemple, l’industrie américaine a-t-elle des velléités sur les entreprises européennes ?

Christian Lajoux – La concurrence est forte sans ce que cela n’ait d’incidence sur l’obtention ou non d’une AMM, y compris avec les pays émergents. Les processus d’autorisation de mise sur le marché se ressemblent désormais d’un pays à l’autre, ce qui diffère c’est la prise en charge collective des médicaments, par leur remboursement. Cependant, la concurrence internationale est rude sur les biotechnologies, qui sont partout perçues comme un secteur d’avenir, actuellement en phase de recherche mais qui passera prochainement dans sa phase d’industrialisation. Il y a ainsi des motifs économiques pour investir dans le secteur, du fait des emplois liés, mais aussi politiques, car la maîtrise de ces technologies nouvelles deviendra une condition de l’autonomie en matière de santé, voire un facteur stratégique dans la diplomatie.

Marie-Thérèse Hermange – Vous vous êtes prononcé pour un Sunshine Act français. Cette publication des conflits d’intérêts vous semble-t-elle suffisante, ou faut-il qu’on aille plus loin, en interdisant aux experts travaillant pour l’industrie de participer aux instances de régulation ?

Christian Lajoux Les liens d’intérêts sont un sujet important, la réglementation dont ils font l’objet est précise, mais elle n’a manifestement pas été bien appliquée. Notre position est très claire : toute personne travaillant pour l’industrie pharmaceutique ne doit pas être en position d’évaluer ni d’autoriser la mise sur le marché de ce médicament ou d’un médicament concurrent pour le compte d’une autorité de régulation. Nos règles suffisent-elles ? Nous le saurions mieux si elles étaient mieux appliquées. Lors des Assises du médicament, les industriels annonceront les mesures qu’ils entendent prendre pour améliorer la publicité des liens d’intérêts.(…) Comme industriel, je suis favorable à ce que toute la transparence soit faite sur les liens d’intérêts. Cependant, la cloison ne saurait être complètement étanche entre l’industrie du médicament et les médecins. Ce qui compte, c’est de savoir en quelle qualité on s’exprime, et de l’énoncer clairement.(…) Le Leem est favorable à la mise en place d’un dispositif inspiré du Sunshine Act, qui ne saurait s’appliquer tel quel, en raison des différences avec la situation américaine. (…) Les industriels doivent aussi déclarer à la HAS leurs liens avec les associations de patients. Cette obligation est nouvelle, les entreprises ne l’ont pas toutes appliquée, mais le Leem les y incite et nous leur demandons aussi de veiller à ce que les associations de patients ou les sociétés savantes ne dépendent pas de leurs subventions.

Marie-Thérèse Hermange – Quelle réforme pensez-vous qu’il serait utile de faire sur les visites médicales ?

Christian Lajoux Les visites médicales ont été profondément réformées depuis 2004, avec la certification, une charte et un bien meilleur encadrement. De fait, le métier de visiteur médical a considérablement changé et, s’ils ont été désignés par la vindicte populaire, ils exercent leur métier dans des conditions désormais très encadré. La mission du visiteur médical, du reste, n’est pas seulement de promotion, mais aussi d’information. Les deux tiers des effets de pharmacovigilance remontent par les visiteurs médicaux, il faut en tenir compte. Le contenu de la relation avec le médecin a profondément changé : les visiteurs informent davantage, des médecins sont devenus plus exigeants et plus sensibles qu’avant aux aspects économiques. »

[Extraits de l’audition publique parue sur le site Internet du Sénat et sur Public Sénat]

Afficher plus d'articles

A propos de l'auteur

Jean Jacques Cristofari
Jean Jacques Cristofari

Journaliste spécialisé en économie de la santé En savoir plus ...

Afficher Plus d'Articles