[singlepic id=816 w=300 h=220 float=left]La ministre de la Santé, en présentant cette semaine sa « stratégie nationale de santé » place résolument le médecin traitant et en particulier le généraliste au centre de la « révolution du premier recours » qu’elle appelle de ses voeux. Le gouvernement se donne quatre ans pour mener à bien sa grande réforme du système de santé. Les généralistes réunis au sein de MG France y ont lu un discours très clairement centré sur la modernisation de leur exercice de médecin traitant. Cette « refondation de la santé » passera par une reprise en main du dossier de la santé par une ministre plus décidée que jamais d’organiser un système de soins qui risquait de partir à la dérive.
Roselyne Bachelot, ministre de la Santé du gouvernement Fillon, avait en son temps souhaité réformer en profondeur la gouvernance administrative du système de santé. La loi dite Hôpitaux, Patients, Santé, Territoire (HPST), votée en juillet 2009, a remis de l’ordre dans la pléthore des administrations françaises en charge de questions sociales et de santé et déconcentré la gestion de l’Etat en confiant à des Agences Régionales de Santé le soin d’organiser les relations entre les acteurs de la santé sur leur territoire de proximité. L’objectif donné de ce nouveau pilotage régionalisé, dont on mesure mal encore à ce jour le rendu, était alors de rendre le système de santé « plus efficient ». Et sans doute aussi de lui permettre de générer quelques économies d’échelle, face à une dérive grandissante des comptes sociaux. Mais cet objectif ne pouvait en soi être atteint sans redéfinir les rôles respectifs des uns et des autres : à l’hôpital de prendre en charge les soins lourds, innovants et nécessairement coûteux; aux médecins traitants, en première ligne de la prise en charge de soins curatifs et de malades chroniques d’assurer le service ambulatoire au meilleur coût; à l’Etat de coordonner les relations entre les uns et les autres. Si la loi HPST a bien défini les missions du médecin généraliste – ainsi que celles du pharmacien d’officine – elle n’a pas clairement précisé comment ce même généraliste du premier recours pouvait assurer un pilotage efficient du parcours de soins des malades qui frappent à sa porte. La question semble désormais tranchée avec la stratégie que Marisol Touraine entend mettre en oeuvre.
Refondation
Dans un système de santé vieillissant, les malades ont changé et leurs pathologies avec, nous explique la ministre de la Santé. « Le vieillissement de la population appelle un autre regard sur l’organisation des soins et fait de la qualité de l’accompagnement une exigence nouvelle. » Les professionnels de santé ont, eux aussi changé : « ils aspirent à exercer différemment, et ils rencontrent des patients toujours mieux informés, qui veulent être mieux impliqués. » Face aux nouveaux défis que doit affronter notre système de soins – vieillissement de la population, explosion des maladies chroniques, inégalités croissantes de santé – et à ses défaillances – trop de cloisonnement, trop d’hétérogénéité dans la qualité des soins, dans les conditions d’accès au système -, face à « un financement devenu trop rigide » et à « une organisation mal régulée », une réforme de fond s’imposait, nous explique la ministre.
Pour répondre à ces défis, Marisol Touraine propose une « refondation » dans la durée du système de santé. Avec pour ambition » d’éviter l’effritement de notre système sous les contraintes économiques » et « de réduire les inégalités de santé dans les 10 ans qui viennent « . Une ambition qui de surcroit « appelle la coordination de toutes les politiques publiques. » Car la santé traverse tous les pans de la société et interpelle tous les ministères : Santé, Enseignement supérieur, Recherche, Education nationale, Famille, Environnement, Travail etc. Les questions de santé publique ne pourront plus être conduites uniquement dans le seul registre sanitaire et la future loi de Santé publique devra répondre à cette exigence des temps modernes.
New Deal de la santé[singlepic id=815 w=260 h=180 float=right]
Au delà des déclarations de bonnes intentions, la ministre de la santé entend reprendre la main. En particulier sur une politique de santé où l’assurance-maladie, gestionnaire des risques et des finances, s’est trop souvent imposée comme le pilote, voire l’arbitre, de la santé des Français.Il n’y aura donc « qu’une politique de santé, celle que je conduis dans le cadre de la stratégie nationale dont j’énonce aujourd’hui les principes et les objectifs qui seront inscrits dans une loi présentée en 2014 « , insiste la ministre. Ce New Deal de la santé reposera sur trois piliers, avec : une politique ancrée autour d’objectifs de santé publique identifiés et partagés ; une structuration de la médecine de parcours à partir des soins de premier recours ; et enfin le développement des droits des patients.
La loi de 2014, qui ne sera donc présentée aux parlementaires qu’au printemps prochain, affichera des objectifs chiffrés d’amélioration de la santé des Français et sera assortie de programmes d’action précis autour de cinq priorités : la jeunesse, la lutte contre les addictions, la lutte contre le cancer, la santé mentale et le vieillissement. Le Haut conseil de la santé publique sera chargé de tenir un « tableau de bord » de l’état de santé de la population et les ARS seront dans la boucle. Le médecin traitant sera de plus identifié comme le pivot de la politique de prévention. Il sera surtout rémunéré pour ses actions de prévention, de coordination des parcours de soins ou de santé publique. Cette disposition fait entrer la médecine générale dans une nouvelle ère : le paiement à l’acte n’est désormais plus l’alfa et l’omega de la rémunération des médecins libéraux. Les nouveaux modes de rémunération, les rémunérations forfaitaires ainsi que sur objectifs de santé publique devraient à l’avenir tenir une place croissance dans le chiffre d’affaires des praticiens du premier recours. Au grand dam de la branche la plus libérale des médecins qui, par avance, ont crié déjà à l’étatisation du système de santé français !
Révolution du premier recours
Si cette refondation, selon les mots de la ministre ne rime pas avec étatisation, elle le fait avec un autre mot qui ne devrait pas davantage plaire aux « libéraux de santé » : car c’est plutôt à la « révolution du premier recours » qu’en appelle Marisol Touraine. Le terrain aura certes été largement préparé par Alain Cordier et son rapport, ainsi que par les généralistes du syndicat MG France qui partagent non sans bonheur les propos de la ministre : » C’est bien à partir et autour du médecin traitant que doit s’organiser l’offre de soins ambulatoire. Je veux le faire en mettant en avant l’exigence d’un service territorial de santé au public ». Certes, prend-elle le soin de souligner : la révolution du premier recours ne sera « ni la revanche de la médecine de ville sur l’hôpital, ni l’étatisation de l’offre de soins ambulatoire ». Il faudra au contraire « organiser autrement l’offre de soins primaires, en la rendant plus efficace, plus attractive, plus souple ». Encore faudra-t-il donner du sens et des concrétisations à chacun de ses concepts.
Et comme les révolutions ont aussi besoin de fantassins, la ministre a choisi de faire partir en premier à la bataille celui du tiers payant généralisé pour les assurés qui se rendront chez leur généraliste. « Le défi technique est important, le système doit être simple et sûr pour le professionnel. C’est une avancée majeure pour les patients », a tranché la ministre. Reste que ce tiers payant chez le généraliste promet de belles batailles syndicales. Les syndicats de spécialistes, qui se réclament également du premier recours, seraient bien inspirés de le réclamer également pour eux-mêmes ! Car dès lors que les patients seront dispensés de faire leur avance sur frais aux généralistes, et donc ne paieront plus rien, ils auront du mal à comprendre pourquoi les médecins spécialistes ne font pas de même. Mais il est vrai qu’un nombre non négligeable de ces derniers pratique à loisir des dépassements – parfois même en liquide, voire en dessous de table – et que la mise au pas par un tiers payant contrarierait un bel édifice qui leur rapporte 2,2 milliards d’euros, bon an mal an. Pour l’heure, « la stratégie nationale de santé, c’est une nouvelle organisation des soins, confirme Marisol Touraine. Les professionnels de santé travailleront en équipe autour du médecin traitant. Il sera le pivot du parcours de soins des personnes, en lien avec l’hôpital et les soins spécialisés. » La révolution est en marche. Elle ne devra pas seulement être celle des idées. La loi de financement de la Sécu, qui sera discutée à compter du mois d’octobre au Parlement, dira comment la refondation entrera dans le concret. Les associations de patients réunis au sein du Collectif Inter associatif sur la Santé sont clairs à cet égard : « Il y aura du pain sur la planche… »
Jean-Jacques Cristofari
Réactions à la feuille de route de la Stratégie Nationale de Santé :
Pour le président de MG France, Claude Leicher, « le point essentiel est que le médecin généraliste traitant est au centre de toute la stratégie de santé présentée par la ministre de la Santé : à la fois dans le champ de la prévention, dans celui du parcours de soins et enfin dans celui de l’organisation des équipes de soins de premier recours. Très clairement, le médecin traitant est placé au centre de cette stratégie. Il y a donc à la fois continuité avec la loi de 2004 instaurant le médecin traitant, avec un discours très clairement centré sur la modernisation de notre exercice de médecin traitant, notamment à travers le rôle joué par le travail en équipe, qui sera assorti d’une allocation de moyens centrée sur les nouveaux modes de rémunération ainsi que sur une extension des rémunérations sur objectifs de santé publique à partir des stratégies préventives. Sur la question du tiers-payant chez le généraliste, on ne considère désormais plus que le paiement des franchises constitue un obstacle infranchissable. Aujourd’hui la messe est dite. »
La Confédération des syndicat médicaux français (CSMF) » estime que la « révolution du premier recours » sans la médecine spécialisée est une aberration. La CSMF rejette cette vision rétrécie du premier recours. Les médecins spécialistes de ville contribuent à la fois au premier et au deuxième recours, ce sont avant tout des spécialistes de proximité incontournables dans les futures équipes de professionnels de santé. Pour la CSMF, le médecin libéral doit rester au centre de l’organisation des soins, c’est lui qui doit initier et suivre le parcours de soins des patients, et non des opérateurs institutionnels non médicaux, notamment, ceux des « plateformes » d’appui des ARS dont la seule vocation serait d’orienter les parcours et de remplacer la décision médicale par une décision étatique. L’organisation des parcours ne doit pas être le prétexte à placer les médecins de ville sous la coupe des ARS.
Pour le Syndicat des médicins libéraux (SML); « Certains éléments, comme la généralisation du tiers payant, sont de nature inquiétante. Aussi inutile que contreproductive pour favoriser un accès aux soins. La définition d’une médecine de parcours, centrée sur le seul médecin traitant de premier recours, fait abstraction des spécialistes et des autres professionnels de santé de proximité et souffre d’absence de réalisme. Le modèle organisationnel projeté qui place l’hôpital public au centre du dispositif avec des médecins territoriaux satellisés en accueil du premier recours, constitue une erreur stratégique. »
L’UNOF, branche généraliste de la CSMF, ne voit » rien de bien enthousiasmant dans l’annonce de la stratégie nationale de santé. L’hôpital est épargné de toute réelle réforme. On s’occupe des libéraux et surtout des généralistes. Bon point, on les charge de la santé publique et de la prévention en s’appuyant sur ce qui existe : la rémunération sur objectif de santé publique. Peu de plans de santé publique, excellente initiative, permettront plus d’efficacité et d’évaluation de la pertinence. Le tiers payant généralisé est annoncé pour 2017. Le Dossier Médical Personnel saison 2 (la première a coûté 500 millions d’EUR sans beaucoup d’acteurs) est sommé d’apparaitre sur les écrans. On attendra un peu pour s’enthousiasmer à la déclaration d’intention concernant la filière de formation de la médecine générale, tant on a souvent entendu cette rengaine ».
La Mutualité Française (FNMF) « accueille avec satisfaction la présentation de la stratégie nationale de santé par la Ministre des affaires sociales et de la santé. La Mutualité Française partage la volonté de mettre en place le tiers payant dans les soins de premiers recours qui permettra d’améliorer l’accès à des soins de qualité. La Mutualité participera activement aux travaux permettant d’y parvenir rapidement en respectant le rôle et la place de chacun : Assurance-maladie obligatoire, Assurance-maladie complémentaire et professionnels de santé. La Mutualité Française accueille également avec satisfaction et impatience la généralisation de la complémentaire santé ainsi que la réorientation des aides publiques accordées aux garanties complémentaires vers les plus démunis. Elle réaffirme qu’une fiscalité volontariste est seule à même de permettre de développer des garanties solidaires et responsables. »
Pour le CISS, cette stratégie « présente trois axes cohérents qui nécessitent des évolutions puissantes ». « Le prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale doit permettre d’entrer dès maintenant dans le concret : nouvelle tarification des parcours de soin, réglementation du tiers payant, garanties légales pour les contrats des complémentaires santé, fonds dédié pour les associations d’usagers.(…). « La généralisation du tiers payant en médecine de premier recours, disposition pratique évidente pour faciliter l’accès aux soins pour tous, ne sera pleinement efficace pour lutter contre le renoncement aux soins que si elle est précédée d’une réelle généralisation de la complémentaire santé et si elle s’accompagne de la réduction des dépassements d’honoraires. »
Journaliste spécialisé en économie de la santé En savoir plus ...