Sanofi perd sa tête : Chris Viehbacher licencié

Sanofi perd sa tête : Chris Viehbacher licencié
octobre 29 19:52 2014 Imprimer l'article

[singlepic id=995 w=280 h=180 float=left]Un jour à peine après la présentation de ses résultats pour le 3ème trimestre 2014, le conseil d’administration du groupe Sanofi a annoncé « à l’unanimité » l’éviction de son directeur général, Christopher Viehbacher, nommé en 2008. La nouvelle a fait l’effet d’une bombe dans les rangs d’un groupe que ce germano-canadien voulait plus fortement ancrer de l’autre côté de l’Atlantique. Un objectif que les membres du CA et son Pdg exécutif ne partageaient apparemment pas.

« Il n’y a aucun changement de stratégie, affirme un proche du conseil dans l’édition du Monde de mercredi 29 octobre. Chris a fait du bon boulot, mais il n’était plus l’homme de la situation ». Le propos sonne comme une condamnation. Chris Viehbacher n’aura pas réussi à convaincre l’équipe dirigeante de Sanofi que le champion français de la pharma, numéro 3 au plan mondial, devait pour l’avenir assoir sa domination de l’autre côté de l’Atlantique. « « Il avait un management trop personnel, a expliqué son Pdg, Serge Weinberg (photo) au Monde[singlepic id=994 w=220 h=140 float=right]. Il y avait aussi un problème d’exécution de la stratégie, que nous avions déjà identifié l’an dernier avec les problèmes au Brésil et en Chine ». Visiblement, en coulisse, le divorce entre les deux hommes était déjà prononcé de longue date et dans la lutte des « chefs », c’est le plus haut gradé qui l’aura emporté.

Âgé de 54 ans et bénéficiant d’une double nationalité, allemande et canadienne, Chris Viehbacher dirigeait Sanofi depuis le 1er décembre 2008. C’est discrètement que l’ancien dirigeant de la filiale française de GlaxoSmithKline (en 1995), arrive à Paris à l’automne 2008. Il y sera reçu par Daniel Vial, ancien dirigeant de PR International et ami de longue date de Chris, auquel il aura rendu de nombreux services entre son arrivée en France et son départ pour le Royaume-Uni, où il sera chez GSK responsable des opérations pharmaceutiques pour l’Amérique du Nord, membre du Conseil d’Administration et Vice-Président du Portfolio Management Board qui prend les décisions stratégiques en R&D pour le groupe anglais. L’avenue d’Eylau, dans le 16ème arrondissement, verra ainsi des semaines durant débarquer tout ce que le monde du conseil des entreprises mondiales compte comme experts, IMS en tête, accompagnés de quelques éminents professeurs de médecine et autres spécialistes du médicament. Car jusqu’à sa prise de fonction, en décembre 2008, c’est la feuille de route à venir du groupe français que le futur DG – il ne sera pas nommé CEO ou Pdg – entend préparer dans les moindres détails.

Changer de modèle

A son arrivée, Chris Viehbacher trouve dans la corbeille du groupe français une recherche déclinante – qu’il mettra en cause rapidement -, des blockbusters qui perdront leur brevet entre 2009 et 2012 ((Taxotere, Lovenox, Aprovel, Plavix, Ambien CR et Eloxatine) et entraîner un effondrement de leur chiffre d’affaires de l’ordre de 40 %. Pressé par le temps et contraint par les bourses mondiales, il va opérer une diversification du groupe vers les génériques, les médicaments en vente libre, les biotechnologies, et réorienter la R&D vers les partenariats universitaires extérieurs. Il lancera sur ce dernier registre un vaste plan de restructuration qui s’appuiera sur le recentrage opéré vers les biotechnologies avec le rachat de Genzyme en 2011. Son plan d’adaptation lui vaudra un conflit social sans précédent avec les chercheurs des centres français de R&D du group. En décembre 2012, devant la représentation parlementaire qui s’inquiète du plan social de Sanofi, Christian Lajoux, patron de Sanofi France, avancera qu’aucun médicament significatif n’avait été mis au point en 10 ans dans les centres de R&D de sa maison, et précisera que sur les 10 produits en développement avancé chez Sanofi, seulement 3 étaient sortis de la recherche interne. Les 7 autres résultent de la stratégie conduite par le directeur général, Chris Viehbacher, d’acquisition de produits ou de sociétés porteuses de ces produits, telle Genzyme et son traitement contre la sclérose en plaques, le Lemtrada, explique encore Christian Lajoux, en ajoutant lors de la séance publique du 5 décembre : « Notre organisation ne permet pas de transformer notre recherche en succès ».

Le groupe se trouve alors face à la nécessité de « changer de modèle », car il ne possède plus de produits vedettes – les blockbusters au chiffre d’affaires mondiaux supérieurs au milliard d’euros -. Chris Viehbacher va opérer le virage, en développant notamment de nouvelles activités dans les BRIC, en Asie, en particulier en Chine, où le groupe se fera cependant pincer pour corruption, à l’instar de quelques autres big pharma, dont GSK. Pour s’assurer de nouveaux revenus, le directeur général fera flèche de tout bois et se lancera dans toute une série d’acquisitions et de partenariats avec d’autres laboratoires concurrents. Il assoira surtout le développement du groupe sur ses plateformes de croissance ( diabète, vaccins, santé grand public, Genzime, santé animale et autres produits innovants) auxquelles s’ajoutent les marchés émergents. Peu de temps après son arrivée à la tête de Sanofi, il sera nommé président du PhRMA, qui représente aux Etats-Unis les principales compagnies pharmaceutiques orientées recherche et les sociétés de biotechnologies, puis président de l’EFPIA,qui rassemble 33 associations nationales et 37 compagnies leaders dans la branche pharmaceutique, représentant 1 300 sociétés réparties dans toute l’Europe. Ambiteux, parfois jusqu’à l’arrogance (il nous confiera l’avoir été dans ses fonctions chez GSK), le dirigeant entend être présent dans tous les cercles de pouvoir qui comptent dans la pharma mondiale.

Fin septembre, le chiffre d’affaires de l’activité pharmaceutique a atteint 6 815 millions d’euros sur les neuf premiers mois de l’année, soit une progression de 3,4 %. Sur les marchés émergents, où Chris Viehbacher comptait mener son groupe le plus loin possible, toujours sur la même période, le chiffre d’affaires du champion français atteignait 2,776 milliards d’euros, en progression de 7,6 %. Pas de quoi réellement licencier un directeur général qui n’aura pas réellement démérité. « Le conseil d’administration tient à remercier Christopher A. Viehbacher pour le travail accompli ces six dernières années, qui a permis au Groupe de passer une phase de transition sensible et importante. » Ces quelques mots pour résumer une trajectoire de 6 années à la tête de Sanofi traduisent une certaine « ambiance » au sein du CA.

Be Roman in Rome

Le « smilling killer », selon un surnom qui lui a été donné dès son arrivée à la tête du groupe, n’aura pas réussi à conduire sa big pharma là où il souhaitait la mener ces derniers mois, c’est à dire sur les rives de l’Atlantique, aux Etats-Unis où se font ou se défont les grandes compagnies pharmaceutiques. Peut-être caressait-il le rêve d’une nouvelle fusion avec une autre big pharma ? Ou plus simplement de donner à la firme française un ancrage plus fort sur le premier marché mondial du médicament, le seul qui valait à ses yeux, depuis Boston où siège le groupe. « Be Roman in Rome » – soit Romain à Rome – y est la règle. Les sociétés de l’aéronautique (militaire) françaises le savent  plus que toutes autres. Pour créer cette valeur indispensable au maintien de l’actionnariat, Chris Viehbacher voulait y positionner plus fortement son siège mondial. Il aura trouvé sur sa route un président exécutif qui n’a pas partagé cet objectif. Et sans doute d’autres, qui font partie de ces secrets d’états-majors où la lutte pour le pouvoir prime parfois sur toute autre considération économique. Gageons que le dirigeant déchu ne tardera pas à rebondir. Aux Etats-Unis ?

Jean-Jacques Cristofari

  Article tagué comme :
  Catégories :
Afficher plus d'articles

A propos de l'auteur

Jean Jacques Cristofari
Jean Jacques Cristofari

Journaliste spécialisé en économie de la santé En savoir plus ...

Afficher Plus d'Articles