[singlepic id=285 w=320 h=240 float=left]Le projet de loi sur la modernisation du système des produits de santé sera présenté au Parlement en septembre prochain.Mais le texte que le gouvernement veut voir aboutir rapidement laisse encore assez ouverte la question du sort des 17 300 visiteurs médicaux (VM) employés par les industriels du médicament et leurs prestataires dans l’Hexagone. Le LEEM considère que la réforme à venir de la visite médicale stigmatise inutilement cette dernière et « menace directement l’emploi de milliers de personnes ». Retour sur un dossier qui défraie la chronique parlementaire et médiatique depuis des mois.
L’avenir promet d’être difficile pour les visiteurs médicaux. Sur l’ensemble des pays dits « matures » – disposant historiquement d’une couverture maladie sur la majeure partie de la population et d’une large gamme de médicaments – leur nombre est désormais en recul : de 100 000 en 2006, il est passé à 80 000 au 1er trimestre 2011 aux Etats-Unis, premier marché mondial du médicament. L’Europe connaît la même tendance, avec un recul de 10 % des effectifs sur les cinq marchés majeurs de l’UE, employant désormais 90 000 VM (1). La France n’a pas échappé à la règle et de 24 000 en 2003, les effectifs ont été réduits à 17 300 cette année selon les dernières données disponibles. De plans sociaux en opérations de restructuration, les big pharma ont allégé leur force de vente, faute de produits nouveaux et suffisants pour assurer une large promotion auprès des médecins généralistes. Désormais la tendance est inverse dans les pays émergents, en particulier dans les BRIC : la Chine est ainsi devenue le 2ème pays employeurs de VM, avec 60 000 visiteurs, un nombre multiplié par 2 en 5 ans (2). Au Brésil, leur croissance est de 25 % depuis 2006 pour atteindre 18 000 VM. En Russie, leurs rangs s’étoffent également, avec 15 000 visiteurs, en croissance de 10 % depuis 2009. Ce mouvement en faveur des « pharma merging » suit celui du développement que connaissent les big pharma sur ces derniers pays qui lui assurent les plus forts relais de croissance pour l’avenir immédiat (3).
[singlepic id=284 w=320 h=240 float=left]La visite sur la sellette
La France réduira-t-elle à l’avenir davantage encore ses effectifs de visiteurs médicaux ? Depuis des mois, à travers les Assises du Médicament comme lors des auditions menées par le Sénat et l’Assemblée nationale sur l’affaire Mediator, la visite médicale, accusée de tous les maux – et en particulier de placer délibérément les médecins « sous influence » des laboratoires – est sur la sellette. L’affaire n’est pas nouvelle et la stigmatisation de la visite a soigneusement été orchestrée avec et après la parution d’un rapport de l’IGAS sur le sujet (4). Une stigmatisation régulièrement relayée au fil des années par l’association UFC-Que Choisir, qui revient avec une constance quasi obsessionnelle sur le sujet, et enfin par les pourfendeurs nationaux du médicament réunis au sein et autour de la revue Prescrire. Ce front a vu ses rangs s’élargir avec la participation de l’association de médecins FormIndep, qui comme son nom l’indique entend libérer la formation des médecins de toute forme de pression commerciale émanant des laboratoires. Plus récemment, cette même visite médicale a été l’objet d’une attention toute particulière au sein du Parlement, les deux chambres n’ayant cependant pas émis les mêmes conclusions quant à son avenir.
[singlepic id=281 w=320 h=240 float=right]Représailles massives
Du côté du Sénat, la mission d’information sur le Mediator, présidée par le sénateur communiste François Autain (photo), délivre, au terme d’une longue analyse, une condamnation sans appel : « La mission commune d’information considère donc que le temps de la riposte graduée est passé et que le temps est venu des représailles massives ». Le ton, très guerrier, est donné ! Au fil des pages d’un rapport qui reprend point par point les arguments des détracteurs de la visite promotionnelle des laboratoires, le rapporteur, Marie-Thérèse Hermange, – « après une analyse détaillée des « effets indésirables » de la visite médicale, et au vu d’une balance bénéfices-risques clairement en sa défaveur, quelles que soient les limitations mises en place et les indications proposées » – tranche pour une « seule alternative » : celle d’interdire totalement le démarchage des médecins par les laboratoires. Le rapport du Sénat, qui sera remis au ministre de la Santé 4 jours après que ce dernier ait lui même présenté ses propres pistes pour une réforme du médicament – mais ce n’est sans doute pas le fruit du hasard -, propose ainsi de « mettre un terme à la profession de visiteur médical » par une extinction progressive du corps des visiteurs médicaux. La proposition, qui finalement n’a pas été retenue par le ministre de la Santé, suggère par ailleurs de mettre en place un réseau de visiteurs médicaux publics, rattachés à la Haute Autorité de Santé (HAS), structure qui est « la mieux à même de diffuser une information indépendante sur le bon usage du médicament ». L’idée, émise en son temps par UFC-Que Choisir de créer un corps de 1 700 VM « publics » (10 % des effectifs actuels de la visite médicale), aurait pour conséquence de créer un tsunami social sans précédent dans les rangs de la pharma et surtout d’affranchir le médicament de toute emprise promotionnelle. Avec à moyen terme pour conséquence de stopper net, sinon de tuer, la dynamique interne d’un secteur économique qui a, comme tout secteur, des règles de fonctionnement qui participent de son développement.
[singlepic id=286 w=320 h=240 float=left]Redonner confiance aux acteurs
L’Assemblée nationale, à l’issue des travaux de sa propre « mission sur le Mediator et la pharmacovigilance », rendu le 22 juin 2011, n’aura pas été aussi loin que ses voisins du Palais du Luxembourg. « Il n’y a pas de système de santé efficace sans confiance réciproque des médecins, des visiteurs médicaux, des patients et des journalistes de la presse médicale », déclare le député rapporteur de la mission, Jean-Pierre Door (à g. sur la photo aux côtés du député Gérard Bapt). L’heure est plutôt à l’apaisement qu’aux déclarations de guerre pour des députés qui veulent « redonner confiance aux acteurs du système de santé » et améliorer la formation comme l’information des médecins. Certes la première « ne laisse pas suffisamment de place aux questions thérapeutiques et à la pharmacologie » et la formation des futurs praticiens souffre de graves carences dans ce registre. Aussi, les facultés de médecine devront-elles revoir la copie de leurs programmes en vue de « renforcer l’enseignement de la pharmacologie ». La formation continue des médecins (FMC) devra également s’émanciper de l’industrie pharmaceutique. » Une réflexion de fond est à mener sur la manière dont les laboratoires pourraient contribuer d’une manière différente à l’organisation d’une formation continue indépendante », note le rapporteur, par exemple « par la mise en place d’un fonds, alimenté par l’industrie pharmaceutique et finançant une formation délivrée par un tiers. » Pas question donc de jeter le bébé FMC avec l’eau du bain, mais simplement de le langer différemment !
Quant à l’information des médecins sur le médicament, elle devra être « juste et équilibrée ». Ses deux canaux essentiel de diffusion, la visite médicale et la presse spécialisée devront, pour la 1ère, revoir son mode de fonctionnement, et pour la seconde, » faire une plus large place à l’information sur les effets secondaires des médicaments ». L’Assemblée Nationale, plus mesurée que le Sénat, opte ainsi pour un encadrement de la visite médicale, qu’elle sait sur le déclin, suite aux baisses successives d’effectifs qui devraient atteindre le 12 000 salariés en 2015. Et de rappeler les propos de M. Frédéric Soubeyrand, président de la commission sociale du Leem, pour qui « l’augmentation de la part des génériques » et le recentrage « sur le marché hospitalier et les médecins spécialistes » rendraient moins nécessaire le travail des visiteurs médicaux. « La question se pose donc de savoir si les exigences de la sécurité sanitaire n’imposent pas de mettre fin, purement et simplement, à la visite médicale » (5), note Jean-Pierre Door, pour qui la réponse est claire : « Tel n’est pas l’avis de la mission ». Car la visite n’est qu’un canal d’information parmi d’autres, souligne le rapporteur en rappelant qu’elle a été réglementée et est assujettie à une charte d’éthique. « Dès lors qu’elle est encadrée et contrebalancée par d’autres moyens d’information, il n’a pas paru judicieux à la mission de supprimer la visite médicale », ajoute-t-il, estimant encore qu’elle « conserve son intérêt pour éclairer les praticiens sur les nouveaux médicaments ». Parmi les pistes d’une réforme possible de son encadrement, les députés de la mission suggèrent d’emprunter celle d’une meilleure formation des VM, en un mot d’accroitre la qualité même de la visite, à l’instar de ce que propose de longue date l’Association Qualité en information médicale (AQIM), présidée par Marie-Noëlle Nayel. Visiblement les députés n’ont pas les mêmes lectures que les sénateurs !
[singlepic id=231 w=320 h=240 float=right]La visite médicale en « cadre collectif »
Face à ces différentes approches sur la visite des laboratoires, le ministre de la Santé a – provisoirement – tranché en demeurant cependant à mi-chemin. « Pour le moment, ce que je propose, c’est d’interdire la visite médicale dans un cadre individuel », déclare Xavier Bertand (photo) le 24 juin dernier. C’est donc la fin du colloque singulier VM – PH à l’hôpital qui pointe à l’horizon. La visite devra donc s’inscrire dans un « cadre collectif », à l’hôpital à titre expérimental, avant que la démarche ne soit étendue à la médecine de ville, nous dit le ministre. Plus question pour le VM de se « promener librement » de service en service à l’hôpital. Les visites se feront en un lieu unique, définit par l’établissement et en présence de tous les praticiens disponibles concernés. Autant dire qu’une usine à gaz administrative va se mettre en place, à laquelle personne n’est pour l’heure préparé ! Quant à étendre un système aussi centralisé à la ville…Reste que le récent projet de loi sur la modernisation des produits de santé, présenté en Conseil des ministres le 1er août, fixe la voie. Elle sera celle d’une « disposition expérimentale au sujet de la visite médicale exercée dans les établissements de santé. » Le terrain a de longue date été balisé par la HAS qui a produit fin 2010 un « outil d’aide aux établissement de santé en matière d’accueil de la visité médicale » (6). L’information par démarchage ou la prospection pour les produits de santé, effectuée dans les établissements de santé aura donc lieu devant plusieurs professionnels de santé, les modalités pratiques devant être définies par convention entre chaque établissement de santé et les industriels du médicament. Le nouveau système sera expérimenté et évalué avant le 1er juin 2013 – après les élections – avant de songer à « pérenniser le dispositif et à l’étendre aux professionnels de santé exerçant en ville. » On sait ce qu’il advient en général des dites « expérimentations » dans le registre de la santé ! Enfin, pour parfaire le tout, une Charte devra être signée entre le LEEM et le Comité économique des produits de santé (CEPS) « pour encadrer la pratique de la visite médicale ». « Cette charte pourra habiliter le comité à fixer des objectifs chiffrés, par année, d’évolution de la visite médicale pour certaines classes pharmaco-thérapeutiques », indique le projet de loi. Enfin, les laboratoires devront contribuer au bon usage des spécialités pharmaceutiques. Il faudra désormais attendre les décrets pour en savoir plus.
[singlepic id=282 w=320 h=240 float=left]Défiance injustifiée
Face à ces attaques répétées contre une partie de ses employés, au motif qu’ils assurent la promotion des produits pharmaceutiques auprès des prescripteurs, le LEEM qui représente les industriels du médicament va dénoncer les « mesures stigmatisantes » qu’il voit poindre à chaque débat sur la visite médicale. La lecture du projet de loi gouvernemental ne rassure pas ces mêmes industriels qui y voient une « réforme détournée de ses objectifs, qui menace l’accès des patients à l’innovation thérapeutique ainsi que l’emploi en France ». « Derrière une intention vertueuse – faire bénéficier le doute au patient – les pouvoirs publics tentent aujourd’hui d’imposer un plan de maîtrise des dépenses de santé qui ne dit pas son nom », fait savoir le syndicat professionnel présidé par Christian Lajoux (photo) qui déplore l’absence de concertation sur un sujet qui concerne plus de 17 000 personnes en France. « La défiance de l’Etat est d’autant moins justifiée que cette profession est entrée depuis plusieurs années dans une démarche volontariste d’amélioration de ses pratiques, note ce dernier le 1er août dernier. La France est le seul pays au monde à avoir associé les pouvoirs publics et l’industrie autour d’une charte de la visite médicale. C’est aussi le seul pays dans lequel la visite médicale fait l’objet d’une certification par les autorités. Inscrite dans une mutation profonde de son exercice, cette profession très encadrée a connu ces cinq dernières années une baisse de 24 % de ses effectifs. »
Les industriels, qui craignent un alourdissement de l’encadrement administratif et de nouvelles taxes, soulignent que le projet de loi risque surtout de « provoquer des mouvements de délocalisations ou de détourner les investissements vers d’autres régions du monde ». Mais n’est-ce pas déjà chose faite à la lecture des mouvements opérés depuis des années autour des restructurations engagées par les big pharma ? Quant aux représentants syndicaux des VM, impuissants face à ce laminage de leur métier, pour lequel certains ont engagé une existence entière, ils s’estiment déjà lâchés par leur propre maison. Car ils savent que les prochains PSE (plans de sauvegarde de l’emploi) ne sauveront pas grand chose et qu’au bout de la route, pour bon nombre d’entre-eux, ne pointera bientôt plus qu’une porte de sortie : celle qui mène à Pôle Emploi.
Jean-Jacques Cristofari
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(1) Selon Cegedim Strategic Data (CSD) « releases Sales Force », juin 2011,
(2) CSD constate que « la Chine a rejoint les principaux pays en termes de volume des forces de vente, s’alignant sur les Top 5 Europe, les Etats-Unis et le Japon. Près de 13% des forces de vente de l’industrie pharmaceutique dans le monde travaillent maintenant en Chine ». « Les entreprises qui réussiront en Chine seront celles qui auront su transposer sur ce marché les connaissances des ventes et du marketing accumulées en occident sur de nombreuses années », note encore par ailleurs CSD en décembre 2010.
(3) Cf. Pharmanalyses du 27 juin 2011
(4) « L’information des médecins généralistes sur le médicament », présenté par Pierre-Louis Bras, Pierre Ricordeau, Bernandette Roussilles et Valérie Saintoyant, septembre 2007
(5) Une position que défend Martin Hirsch, ancien Haut Commissaire aux Solidarités actives contre la pauvreté, lors de son audition du 7 avril 2011 et qu’il renouvelle régulièrement sur son blog. L’homme n’aime visiblement pas l’industrie du médicament, à l’instar du député Autain.
(6) « L’objectif de ce document, précie la HAS, est de mettre à disposition des établissements de santé, un outil d’aide proposant des exemples d’organisation dont ils pourront s’inspirer afin de mieux accueillir la visite médicale et ainsi favoriser la diffusion d’une information de qualité lors de la promotion au sein de leurs structures internes. »
Journaliste spécialisé en économie de la santé En savoir plus ...