[singlepic id=214 w=320 h=240 float=left]Réunis début juin en congrès annuel à Tallinn, en Estonie, le Groupement international de la répartition pharmaceutique (GIRP) a rappelé le rôle vital que jouent les grossistes dans la chaîne du médicament. Son étude sur le secteur, à paraître en novembre prochain (1), souligne le rôle de « pré-financeur » de la répartition gamme entière dans la distribution et l’approvisionnement des produits de santé en Europe.
« La crise est derrière nous ! » C’est implicitement le message que les opérateurs européens de la répartition pharmaceutique ont voulu ce printemps adresser à l’ensemble des parties prenantes de la chaîne du médicament – fabricants, grossistes, dépositaires et dispensateurs -. « Cette année, nous regarderons vers l’avenir et nous concentrerons sur une vision de la santé à horizon 2020, en partant d’une gamme complète de médicaments pour aller vers un portefeuille complet de services », a fait savoir le président du GIRP, René Jenny, en introduction à un congrès qui n’a pas manqué de jeter de nombreuses balises pour éclairer la route des répartiteurs et de leurs partenaires industriels. Plus question donc de céder aux sirènes du pessimisme ambiant. A Tallinn, capitale culturelle de l’Europe en ce mois de juin et chantre de la e-health déclinée à toutes les sauces, y compris médico-pharmaceutique, l’heure était plutôt au volontarisme dans les rangs d’une répartition qui subit de plein fouet une baisse sans précédent des volumes de médicaments distribués, dans la droite ligne de l’effondrement des volumes de princeps fabriqués par les big pharma. « En regardant devant nous, nous plaçons la santé sous le microscope pour examiner comment les fournisseurs de services de santé se positionnent pour affronter les défis d’un paysage sanitaire en perpétuelle transformation », poursuit René Jenny. « Dans le même temps, alors que des changements s’opèrent dans le mode de prestation des soins de santé, ce paysage entraîne de nouvelles et passionnantes opportunités pour notre secteur et pour celui de la santé dans son ensemble » a encore plaidé ce dernier, reconduit une nouvelle fois à la présidence du groupement pour une période de deux ans.
Une obligation de service public
Fort de sa trentaine de membres à part entière (associations et chambres syndicales de la répartition) qui représentent 600 grossistes/répartiteurs full liners (gamme complète) dans 31 pays européens, auxquels s’ajoute une dizaine de sociétés pan-européennes de la distribution, le GIRP, par l’ensemble de ses membres, assure sur le territoire européen l’approvisionnement de quelque 160 000 pharmacies de détail et autres dispensateurs des médicaments (médecins pro-pharmaciens, droguistes, hôpitaux et vétérinaires) en provenance de 3 500 laboratoires fabricants. Un service qui porte sur environ 100 000 produits que les sociétés du secteur sont tenus de stocker avec une obligation de service public. Une obligation qui leur impose également de vérifier que les produits qu’ils reçoivent ne sont pas des contrefaçons, comme le rappelle une récente directive européenne. « Cette nouvelle exigence a d’importantes conséquences pratiques pour les grossistes pleine gamme, avec en jeu des emballages numérisés qui présentent des défis insurmontables pour le bon fonctionnement de la chaîne de distribution », souligne à cet égard Monika Derecque-Pois, directrice générale du GIRP, qui demande à la Commission européenne, à travers l’acte délégué, de préciser en la matière et pour le proche avenir des « solutions proportionnées, pragmatiques et réalisables » (2)
4,5 milliards de transactions par an en Europe
Pour leur 52ème rencontre annuelle, la direction du GIRP a également tenu de présenter les premiers résultats de son étude sectorielle de la répartition (1), conduite sur six pays (France, Allemagne, Italie, Pays-Bas, Espagne et Royaume-Uni) et dont la parution finale devrait intervenir en novembre prochain. Menée par l’Institut for Pharmaeconomic Research (IPF), basé à Vienne (Autriche), son objectif est de mettre en évidence les fonctions vitales des grossistes/répartiteurs full liners en tant que « fournisseurs indispensables de médicaments ». L’étude replace ainsi ces derniers dans la chaîne du médicament et les compare aux autres modes de distribution, ventes directes aux pharmacies (DTP) ou modèle de répartition réduite ou sélective (RWA). Ainsi sur l’ensemble de la zone européenne concernée par l’étude, les répartiteurs gamme entière assurent pour 92,75 % de leur activité l’approvisionnement des pharmacies d’officine, pour 4,03 % celui des pharmacies hospitalières, pour 1,43 % les livraisons aux drugstores et servent pour 1,88 % les médecins dispensateurs de médicaments (pro-pharmaciens). Les mêmes grossistes effectuent quelque 4,5 milliards de transactions par an entre fabricants, répartiteurs et officines de ventes. Sans eux, ce dernier chiffre grimperait à 99,4 milliards d’opérations entre fabricants et points de ventes finaux, ce qui renchérirait considérablement les coûts de distribution des produits de santé.
Des ventes directes fortement critiquées
Selon les pays analysés par l’étude du GIRP, les modes de distribution ont évolué au fil des années. Ainsi, si la part du commerce des répartiteurs reste prédominante sur l’ensemble des modes de distribution (voir graphique ci-dessous) et évolue peu entre 2007 et 2010, les ventes directes ont pris des parts de marché croissantes en France (21 % en 2010), aux Pays-Bas (17 %) ou encore en Allemagne (16 %). Ces dernières restent faibles au Royaume-Uni (2 %) où le DTP et la répartition sélective se sont envolés (de 13 à 56 % entre 2007 et 2010) suite au modèle de distribution DTP imposé par quelques big pharma au premier rang desquels s’est inscrit Pfizer. Dans ce dernier pays, la part des grossistes/répartiteurs n’est plus que de 17,30 % dans la distribution des médicaments de marque, contre 40,40 % pour les ventes directes et 40,50 % pour leur distribution sélective (par un ou plusieurs répartiteurs sous contrat). Reste que ces récents modes de distribution ne font pas le bonheur des pharmaciens européens : ces derniers plébiscitent la distribution par la répartition (85 % de satisfaits contre 6 % d’insatisfaits), et jugent sévèrement la distribution » en direct » (85 % d’insatisfaits) et davantage encore les modèles sélectifs (90,40 % d’insatisfaits). A l’origine de ce mécontentement, les officinaux interrogés font valoir pèle-mêle : des charges de travail supplémentaire et de paperasserie, les goulots d’étranglement, la faible fréquence des livraison, le dumping, le manque de transparence de facturation ou encore les obstacles logistiques. De même, si les officinaux sont pleinement satisfaits des délais de livraison des répartiteurs (96,5 % de satisfaits), ils le sont moins de ceux des fabricants (21,36 %) et sont totalement mécontents des délais imposés par le système des ventes directes (72 % d’insatisfaits) ou par le modèle sélectif de distribution (57 % d’insatisfaits). L’étude du GIRP avance ainsi que les répartiteurs ont des délais de livraison de 4,66 heures, contre 66,83 pour les fabricants. Les premiers assurent 14,08 livraisons par semaine, contre seulement 3,8 en moyenne pour les seconds.
Chiffre d’affaires par canal de distribution – marché de détail, 2007 & 2010
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(cliquer sur le tableau pour l’agrandir)
11,5 milliards d’euros de préfinancements en médicaments
Au delà de cette condamnation implicite des ventes directes de médicaments des laboratoires aux officines et des modèles de distribution sélective qui ont valu au GIRP le départ de ses rangs du répartiteur européen Alliance Healthcare (3), le congrès du groupement européen a souligné la lente, mais certaine, dégradation des marges des répartiteurs (qui ont été réduites de 21,8 % depuis 2001 en moyenne en Europe), comme de celle des officines, mais dans une moindre mesure (11,1 % sur la même période). Plus largement, le GIRP a fait savoir que les répartiteurs étaient des amortisseurs de crise et d’excellents trésoriers entre fabricants et officinaux : les répartiteurs financent en moyenne 11,5 milliards d’euros de fonds de roulement sur une période de 46 jours, avance ainsi l’étude diligentée par le groupement. « Les grossistes pré-financent ainsi la totalité du marché des médicaments, garantissent l’approvisionnement continu de tous les médicaments et sécurisent également les flux de trésorerie des assureurs sociaux », note le groupement international en précisant que cette fonction financière n’est pas assurée par les autres modèles de distribution. L’étude, qui porte sur les 6 pays précités, avance que le secteur assure la gestion de flux complexes de médicaments et stocke en moyenne 52 773 produits (de 23 500 au Royaume-Uni à 100 000 en Allemagne) pour un turnover moyen de l’ordre de 24 jours.
Les répartiteurs sortent de leur rôle conventionnel
Au total, les répartiteurs de la pharma qui assurent les fonctions de stockage des produits, de financement des stocks, de délivrance et d’approvisionnement des médicaments aux officines, rappellent également les effets multiplicateurs de leurs activités sur l’emploi et la valeur ajoutée. Ainsi, un emploi créé dans la répartition en génère 2,08 dans l’économie générale et 1 euro investi dans le secteur en génère 2,02 par ailleurs. Très engagés dans les nouveaux services apportés à la pharma (logistique spécialisée dans la chaîne du froid, rapatriement d’échantillons, management de la qualité et des contrôles de toutes sortes etc), les répartiteurs entendent désormais s’installer sur de nouvelles chaînes de services, qui vont du « market access » au marketing en passant par la communication, la vente et la formation à distance ou encore l’encouragement apporté aux patients à mieux observer leur traitement jusqu’aux services à domicile pour les malades chroniques. Soit une chaîne de services intégrés, du stockage des médicaments jusqu’au lit du malade. Une manière de dire qu’il faudra compter demain dans la santé et la prise en charge des malades sur les répartiteurs de la pharma. A bon entendeur…
Jean-Jacques Cristofari
(1) « Distribution profile and efficiency of the Pharmaceutical Wholesale Industry », Institute for Pharmaeconomic research, interim report, juin 2011
(2) Le GIRP collabore activement avec le GPUE (association européenne de pharmaciens) et l’EFPIA (association européenne de l’industrie pharmaceutique). 10 principes clés ont été développés entre les associations, basés sur un contrôle des boîtes de médicaments au point de distribution, avec une interface pour les grossistes, en vue de répondre aux nouvelles exigences et de protéger les patients.
(3) Alliance Healthcare, via sa filiale Alliance Boots, a été le premier répartiteur à avoir répondu favorablement à Pfizer au Royaume-Uni et a été accusé d’avoir enfoncé une brèche dans le modèle classique de la répartition en favorisant ouvertement le DTP.
Journaliste spécialisé en économie de la santé En savoir plus ...