[singlepic id=108 w=320 h=240 float=left]Ce qui est désormais devenu « l’Affaire Servier » autour du scandale du Mediator révélé par le livre d’Irène Frachon, « Mediator, combien de morts ? », et très largement relayé depuis deux mois par l’ensemble de la presse nationale, agite fortement les rangs de la pharma et en particulier ceux du LEEM, présidé par Christian Lajoux (photo). Le syndicat des industriels du médicament a poliment mais fermement demandé au Dr Jacques Servier de retirer son laboratoire de la liste de ses membres. Le LEEM s’attelle désormais à redresser l’image d’un secteur en prise à une crise dont il n’a pas fini de mesurer les conséquences et fait des propositions à cet effet. Au premier rang desquelles, le président du syndicat place une plus grande transparence de la part des industriels sur leurs activités.
Aimablement mais énergiquement « suspendu » des instances du LEEM en janvier dernier par un conseil d’administration quasi-unanime et par là-même également exclu des travaux et groupes de travail de l’Alliance pour la recherche et l’innovation des industries de santé (Ariis), le laboratoire Servier ne figure plus non plus à la tête des membres du G5, groupe restreint de laboratoires d’origine française (1) au sein duquel le Dr Servier faisait de longue date la pluie et le beau temps. Autant dire que les représentants de la branche s’efforcent avec détermination de gommer de leur feuille de route pour 2011 tout ce qui serait susceptible de porter davantage atteinte à leur image comme à leur réputation. Car l’une comme l’autre ont, au fil des semaines et des révélations du rapport de l’IGAS, été largement atteintes et le récent buzz fait autour d’une vidéo à usage très interne de la visite médicale du laboratoire américain Lilly (2) n’aura pas été pour améliorer les choses.
Téléscopage et défraglation
« Depuis plusieurs mois l’affaire du Mediator créé beaucoup de questions, légitimes, a souligné le patron du LEEM lors de ses voeux à la presse, en rappelant une évidence : « Le médicament n’est pas fait pour tuer, mais pour guérir ». Christian Lajoux, embarrassé par le tsunami médiatique née de l’affaire précitée, confie qu’il y a bien eu « un télescopage, une déflagration dans notre environnement ». Surtout quand il est précisé que les médicaments que prennent les malades « peuvent faire courir plus de danger qu’ils n’apportent de bénéfices ». Un sentiment qui vient d’être malencontreusement entretenu par l’Afssaps qui a décidé, il y a quelques semaines au nom même du principe de précaution – qu’elle a oublié de mettre en oeuvre pour le Mediator !- de mettre à l’index quelque 75 médicaments au motif qu’ils nécessiteraient une « surveillance renforcée ». Une décision d’autant plus malencontreuse qu’elle a été prise sans information préalable des médecins – qui l’ont apprise par leur journal de 20 heures, comme le souligne Michel Chassang, président de la CSMF – ni concertation avec les associations de patients – qui y ont vu un recul de la « démocratie sanitaire » prônée par le ministre de la Santé.
Un mea culpa sans concessions
Pour autant, Christian Lajoux n’estime pas que le rapport de l’IGAS – rapport qui sera suivi d’autres, dont ceux des deux chambres du Parlement qui, pour l’heure, poursuivent les auditions sur le sujet – soit à porter au passif du fonctionnement de l’industrie pharmaceutique. « Le rapport de l’IGAS n’est pas un rapport emblématique de ce qui se passe dans l’industrie du médicament, fait savoir ce dernier. Il n’a pas valeur de mauvais exemple, mais pour autant, ce rapport nous interpelle sur ce que pouvait être un certain nombre de dysfonctionnements et sur ce que nous devons mettre en œuvre pour éviter précisément que des situations semblables ne se reproduisent pas. » Difficile en la matière de plaider responsable sans avouer sa culpabilité. L’industrie du médicament a pourtant avec les années balayé devant sa porte et nettoyé dans ses arrières cours quelques écuries. » Nul ne peut nier que des progrès importants ont été réalisés », poursuit le président du LEEM en citant notamment : la mise en place des plans de gestion des risques (imposée par l’Europe du médicament en 2005), les études post-AMM (bien faibles au regard de spécialités médicales qui mériteraient que l’on s’intéresse à leur « vraie vie »), la notification directe par les patients des effets indésirables (cependant insuffisante faute de relais adaptés), la transparence des essais cliniques (qui gagnerait à l’être davantage, malgré le site internet grand public ouvert en avril 2010), la publication des dons faits par les industriels aux associations (imposée par la Haute Autorité de Santé et qui clarifie grandement les choses), la loi anti-cadeaux (aux effets positifs soulignés par le rapport de novembre 2009 de l’HAS sur la certification de la VM), la Charte de la visite médicale (qui a moralisé et amélioré les relations entre laboratoires et prescripteurs), la certification de la visite médicale (qui a imposé de vrais règles à cette dernière) ou encore l’amélioration de la formation des visiteurs médicaux (qui demeurent à ce jour les seuls vecteurs de l’information sur le médicament et qui sortent tous d’écoles agréées).
» Le dispositif d’encadrement du médicament, depuis la recherche jusqu’à la commercialisation, n’a plus rien à voir avec ce qu’il était il y a vingt ans, note encore le patron du LEEM. Pour autant, l’actualité récente nous rappelle douloureusement que ce système, honorable dans ses principes fondamentaux, demeure largement perfectible dans ses applications pratiques. » Véritable avocat d’une transformation de pratiques qui ne pourront plus subsister à l’avenir, Christian Lajoux conclut sur une note positive sous forme d’un mea-culpa « sans concessions » : » Je ne dis pas qu’il ne s’est rien passé : au contraire , il faut faire une réflexion sans concession pour ce qui concerne le système dans lequel nous évoluons et d’abord sans concession pour nous, afin de faire des propositions pour que cela ne se renouvelle pas. » La transparence sera donc désormais la règle dans une branche d’industrie où l’opacité des modes de fonctionnement a trop longtemps prévalue, principalement au nom des règles de la concurrence, mais peut être aussi d’une certaine forme d’arrogance des grands majors de la pharma, dénoncée en son temps par le directeur général de notre champion national, Chris Viehbacher, dg de sanofi-aventis, pour l’époque où il présidait aux destinées de GSK. Une transparence qui, à l’évidence, n’a jamais été la tasse de thé du Dr Jacques Servier, adepte d’un népotisme d’entreprise d’une autre époque.
Restaurer la crédibilité de la pharma
Une page de l’histoire de la pharma, qui fabrique et commercialise de très nombreux médicaments utiles à bien des malades, au premier rang desquels ceux frappés de cancer, est donc en passe de se tourner. » La situation que nous vivons aujourd’hui replace cette problématique de la transparence au centre du jeu, et nous impose d’opérer des avancées rapides et concrètes », conclut encore Christian Lajoux, qui se donne pour le proche avenir un objectif on ne peut plus clair : « restaurer la crédibilité de la branche et de ses acteurs pour restaurer la confiance dans le médicament ». Car » notre crédibilité est atteinte, et il nous faut la rétablir, non pas seulement en paroles, mais en actes. » Une preuve pour ceux qui pouvaient en douter que l’une ne va pas sans l’autre.
Jean-Jacques Cristofari
(1) Le G5 regroupe cinq acteurs majeurs de l’industrie pharmaceutique française, européenne et mondiale : Ipsen, LFB, Pierre Fabre, sanofi aventis et Servier
(2) Révélée par le journal Libération, la vidéo a aussitôt été condamnée par la direction du laboratoire et son auteur avec : «C’est quelque chose qui nous a choqué à un point jamais arrivé, a fait savoir dans le même journal Jean-Baptiste Labrusse, directeur des ressources humaines de Lilly France. Le laboratoire existe depuis 130 ans et nous n’avons jamais rien connu de tel». Pour le DRH, il ne s’agit que du dérapage isolé d’ «un cadre en début de carrière qui a fait son truc dans son coin». Un clip qui aurait échappé aux contrôles internes, mais qui a cependant été montré aux visiteurs médicaux. Les industriels du médicament, dont la visite médicale a été fortement prise à partie par Martin Hirsch, ancien Haut-Commissaire aux Solidarités actives contre la pauvreté, auteur d’un livre prémonitoire (« Pour en finir avec les conflits d’intérêts« , Editions Stock, 2010), n’avaient sans doute pas besoin de cette faute de goût supplémentaire sur une visite médicale régulièrement attaquée.
——————————–
Les propositions du LEEM pour sortir de la crise actuelle
– Améliorer l’évaluation et le contrôle des produits, notamment en termes de pharmacovigilance :
– En phase amont, au stade du développement du médicament, le LEEM préconise de renforcer et affiner les moyens de détection des signaux grâce à l’utilisation de tests biologiques.
– Il souhaite également faciliter le recours à des études de cohorte, qui constituent une méthode efficace pour évaluer le risque de survenue d’un événement indésirable.
– sur la surveillance des médicaments mis sur le marché, le LEEM partage l’analyse des autorités quant à la nécessité d’améliorer le système de notification des événements de pharmacovigilance, en s’assurant de la capacité du système à traiter ces informations. « La France doit donc développer des méthodologies adaptées à la détection des signaux et à leur analyse, afin d’optimiser les travaux des Centres régionaux de pharmacovigilance (CRPV). »
– Le LEEM souhaite également œuvrer pour améliorer la transparence des relations de collaboration entre l’industrie et les experts, sur le modèle du Sunshine Act américain. « Les entreprises, qui n’ont aucune obligation à ce jour, sont prêtes à assumer leurs responsabilités dans la divulgation de ces liens. »
– Le LEEM veut également améliorer ses façons d’être en s’engageant à faire évoluer son Comité d’éthique et de médiation. « Nous devons réfléchir à de nouveaux organes d’alerte et de médiation propres à la profession, composés (et présidés) d’acteurs majoritairement extérieurs à l’industrie du médicament. Le réel pouvoir de sanction qui sera attaché à cette instance est une condition importante de son autorité future. »
– Les industriels du médicament considèrent par ailleurs qu’ils doivent être attentifs à tous les signaux qui lui sont adressés par la société. « Notre secteur doit réfléchir aux moyens de traiter les problèmes avant leur survenue, en se dotant par exemple d’un Conseil permanent de réflexion et de veille. Une sorte de « vigie » composée de personnalités multidisciplinaires extérieures au Leem, qui aurait une fonction d’alerte auprès de notre secteur.
Journaliste spécialisé en économie de la santé En savoir plus ...