Le 30 novembre dernier, les employés de la filiale californienne du 4ème groupe pharmaceutique mondial, sanofi-aventis ont reçu un courriel de leur employeur leur souhaitant, comme il est de coutume outre-Atlantique, un joyeux Thanksgiving. Le même e-mail leur demandait d’être attentif à leur boîte à lettre électronique pour le 2 décembre au matin. En ouvrant cette dernière le jour dit, à partir de 5 heures du matin, 1 700 salariés du groupe ont été invités à appeler une boîte vocale pour y apprendre, par une voix enregistrée au préalable, qu’ils étaient licenciés. Avec effet immédiat et sans explication.
Le groupe français connaît les lois sociales en vigueur dans notre pays, celui où est installé son siège social. Mais il sait que de l’autre côté de l’Atlantique peuvent s’appliquer des méthodes aussi inhumaines qu’expéditives. Souvenons-nous des conséquences du 28 octobre 2008, jour où une certaine finance s’est effondrée. Aussi pourquoi Chris Viehbacher, l’actuel CEO, s’embarrasserait-il d’un carcan social qui l’oblige à informer les salariés au préalable, à discuter avec des partenaires sociaux des solutions alternatives aux licenciements secs programmés, voire à négocier avec les représentants du personnel des reclassements ou autres modes d’indemnisation. Ce qui se nomme de ce côté-ci de l’Atlantique, dans notre vieille France « plan de sauvegarde de l’emploi », n’a pas d’équivalent dans l’Amérique d’Obama. Alors pourquoi « sauvegarder ». Mieux vaut une bonne méthode expéditive qui transforme la direction du groupe comme de sa filiale américaine en parangon contemporain d’un Orwell relooké à la sauce du néocapitalisme financier. Car cette affaire commence à faire grand bruit et n’est certes pas pour rehausser l’image d’un pharma qui égrène à son tour les emplois comme d’autres branches ont pu le faire dans le passé. « Chaque salarié est affecté d’un numéro, quand on commence à travailler là-bas […], témoigne une salariée américaine (1). C’est ce que j’ai ressenti ce jour-là. J’étais un numéro, pas un être humain avec des sentiments« . Un « numéro » que le directeur local de la communication, Jack Cox, n’a pas hésité à effacer de sa liste par une méthode qu’il ne considère certes pas comme idéale, mais qui offre à ses yeux les avantages « de partager ces nouvelles rapidement et de manière cohérente« . Un nouveau cynisme d’entreprise est né et il n’a pas fini de générer ses monstres.
Jean-Jacques Cristofari
(1) HuffPost Social News du 17 décembre 2010
Les plans de sauvegarde de l’emploi de Sanofi-aventis
Chris Viehbacher, transfuge du laboratoire britannique GlaxoSmithKline, prend la place de Gérard Le Fur le 1er décembre 2007, après que les autorités américaines refusent d’homologuer, en juin 2007, l’Acomplia, la pilule anti-obésité que sanofi-aventis destinait au marché américain. En mars 2008, le groupe pharmaceutique français supprime 471 emplois sur son site de Vitry-sur-Seine. Le bénéfice net de la société s’élève en 2007 à 7,110 milliards d’euros. En octobre 2008, le champion français supprime 927 emplois dans les rangs de la visite médicale. Un tiers de leur effectif total, soit 817 emplois sur 2 481, est condamné à disparaître, fait savoir la presse. Le métier de visiteur est « mis en danger », affirme de son côté le directeur des ressources humaines du groupe, Pierre Chastagnier. En quatre ans, les forces de vente du groupe ont fondu de 30 %.
En 2009, Sanofi-aventis réalise 5,6 milliards d’euros de bénéfices. L’effet grippe H1N1 est passé par là. 2010 devrait se présenter aussi bien : le géant pharmaceutique a distribué 3,1 milliards de dividendes à ses actionnaires et en prévoit 3,5 pour 2012. En décembre 2010, le même groupe annonce vouloir procéder à 575 suppressions d’emplois dans sa branche commerciale. C’est son troisième plan de ce type en quatre ans dans le même secteur. 497 postes de visiteurs seront supprimés d’ici au printemps prochain, et 78 autres postes dans la filiale commerciale du groupe en France. « La principale raison » de cette réorganisation, « ce sont les changements assez profonds de notre métier », fait valoir auprès de l’AFP Nicolas Cartier, directeur général de sanofi-aventis en France. Les visiteurs médicaux de sanofi, qui étaient encore près de 2500 en octobre 2008, ne sont plus que 1860 fin 2010. Ils ne seront plus qu’environ 1.300 après ces nouvelles suppressions de postes. La méthode Viehbacher a clairement été affichée dès son arrivée il y a deux ans : le groupe a été engagé dans un vaste plan destiné à lui faire économiser 2 milliards d’euros en 2013 par rapport à 2008. Faute de nouvelles molécules, qui ne sortiront pas de sa recherche, le champion français produit de la valeur selon une méthode éprouvée.
Journaliste spécialisé en économie de la santé En savoir plus ...