Médiator : Servier nie, le LEEM s’explique

Médiator : Servier nie, le LEEM s’explique
mars 04 01:20 2011 Imprimer l'article

[singlepic id=133 w=320 h=240 float=left]Alors que le pdg fondateur de Servier s’enferme dans une position de déni face aux conséquences du Mediator, le LEEM était cette semaine auditionné à son tour par la mission d’information parlementaire (1), présidée par Gérard Bapt (député SRC de Haute-Garonne) et consacrée au Mediator et à la pharmacovigilance. Morceaux choisis.

Jacques Servier n’aime pas la presse. L’homme n’aime qu’une certaine presse. Celle qui peut le servir, surtout à mieux promouvoir ses spécialités. Aussi a -t-il estimé cette semaine que face à une mission d’information parlementaire, il n’avait pas à répondre en présence de journalistes qu’il estime sur le fond responsables du tsunami médiatique dont est l’objet un médicament qu’il a vendu des années et aura défendu jusqu’au bout, entendu devant les parlementaires, mais hors champs des caméras. Tout ou presque a été écrit sur les conséquences du Mediator et le Dr Irène Frachon, à l’origine de l’affaire, continue inlassablement à défendre la cause des malades, celle là même qu’un homme, médecin et pharmacien, peine à comprendre, voire même à entrevoir, préférant sur le sujet s’enfermer, comme le souligne la pneumologue brestoise, dans un « délire procédurier qui veut écraser la volonté de réagir des malades par tous les moyens ». Pourtant, Xavier Bertrand, excédé par cette sorte d’autisme dans lequel se mure le laboratoire, a prévenu son dirigeant : «  Je le dis au groupe Servier : il faut aujourd’hui changer d’attitude ». En réponse, le Pdg a expliqué aux parlementaires, en huis clos, que le Mediator constituait bien pour lui « une préoccupation majeure », que ses laboratoires « assumeront leur responsabilité » à l’égard des patients, qu’ils « apporteront tous les éléments pour faire la lumière sur cette affaire ». Devant la mission, le Dr Servier a souligné que le Mediator, « était un médicament indiqué dans le traitement du diabète et ne peut être considéré comme une spécialité anorexigène ». Le rapport de l’IGAS s’est largement étendu sur les mésusages du Mediator, mais le patron du laboratoire incriminé estime qu’il n’y en a pas eu. « Les laboratoires Servier ont été attentifs à ce que son usage ne soit pas dévoyé dans les indications qui n’étaient pas les siennes, notamment l’obésité et les surcharges pondérales », a poursuivi Jacques Servier. Des courriers adressés par la firme aux médecins peuvent même en attester. On croit rêver ! Le Dr Servier a du être tenu à l’écart des multiples informations produites par le récent rapport de l’IGAS et ses annexes ! Ou sans doute n’en a-t-il pas la même lecture que nos parlementaires. Il n’a sans doute pas davantage lu des dizaines d’avis émis par de nombreux experts sur le sujet depuis des semaines dans la presse. Car il va même plus loin, l’esprit constructif se disant « prêt à participer pleinement à la réflexion engagée sur le système de pharmacovigilance » afin que « la sécurité des patients puisse être améliorée » (sic). Le député Jean-Pierre Door en a conclu que « les laboratoires ne reconnaissent toujours pas le caractère anxiogène du Médiator », ces derniers estimant même que « les agences sanitaires ont toujours donné leur feu vert », et opposant enfin « un rejet total d’éventuelles pressions qu’ils auraient exercé sur certaines personnalités ». Solidement campé comme à la première heure sur la ligne de défense du déni, le Dr Servier n’aura concédé qu’une chose : « la volonté d’assumer ses responsabilités » et réitéré que le groupe « ferait une première dotation de 20 millions d’euros ».

Une véritable déflagration

Cette ligne de défense aura, on le devine, embarrassé le syndicat professionnel des industriels du médicament qui a rapidement « démissionné » le laboratoire Servier de ses rangs. Au delà de la position du pdg du laboratoire indépendant, c’est surtout l’ensemble de la branche qui est affectée, sinon fortement secouée par cette affaire. « L’affaire du Médiator a ébranlé la confiance des français dans leur médicament en jetant le doute sur la manière dont le système dans son ensemble pouvait garantir l’évaluation et la surveillance des produits sur le marché », a fait savoir Christian Lajoux, président du LEEM aux parlementaires de la mission d’information. « Pour notre entreprise, cette crise constitue une véritable déflagration qui remet en cause des années d’effort de transparence, d’ouverture et de participation à l’amélioration de l’ensemble de notre système de santé ». Le patron du LEEM rappelle, comme il l’a déjà fait à maintes reprises ces derniers mois, que des avancées ont été faite par sa profession et qu’il ne faudrait pas les passer par pertes et profits : « Ces avancées datent de la dernière décennie : La mise en place de gestion des risques, des études post-AMM, la notification directe par les patients des effets indésirables – nos visiteurs médicaux sont un vecteur important de la remontée des effets indésirables vers les centres régionaux et nationaux, puisque 2/3 des effets de pharmacovigilance sont remontés par la visite médicale -, la transparence des essais cliniques, la publication des dons aux associations de patients, la loi anti-cadeaux, la charte de la visite médicale, la certification de la visite médicale, l’amélioration de la formation des visiteurs médicaux ». Et contrairement à ce qu’avance le laboratoire Servier, il estime que « le fait d’être sous le contrôle des autorités de santé ne nous exonère pas de nos responsabilités que nous entendons assurer. » Dont acte.

Messages brouillés

« Il faut rappeler que notre système était jusqu’à présent considéré comme un modèle par nos voisins européens, poursuit Christian Lajoux. Force est de constater que des éléments sont passés entre les mailles du filet. Mais il ne faut perdre de vue que notre système est considéré comme un modèle et que certains pays voisins se sont alignés sur ce modèle » ajoute encore celui qui se dit « très concernés par une politique qui mette au cœur du système l’intérêt du patient. » « Nous souhaitons une définition précise des rôles entre les différentes autorités sanitaires, et plus encore entre les commissions en charge du médicament », note encore le patron du LEEM pour qui « les rôles et les missions se sont considérablement brouillés ». Notamment depuis la mise en place de l’Afssaps en 2004, suivie de celle de la Haute Autorité de Santé, deux institutions qui se complètent sans toujours se coordonner. « Le dialogue entre les grandes commissions sanitaires n’est pas toujours optimal, tout particulièrement entre la commission d’AMM –les évènements qui nous rassemblent aujourd’hui le démontrent – et la commission de transparence, et depuis quelque temps entre la commission de transparence et la commission de pharmacovigilance « , ajoute encore Christian Lajoux. Il y aurait donc quelque chose de trouble dans le Landerneau du contrôle sur le médicament ?

Sunshine Act à la française

Infatigable défenseur d’une ligne sérieusement ébranlée par l’Affaire Mediator, mais surtout par les profondes restructurations qui affectent la branche du médicament, Christian Lajoux plaide une fois encore devant les parlementaires en faveur de ce qu’il considère comme les fondamentaux de la pharma : l’innovation et la sécurité sanitaire. « C’est le cœur de nos préoccupations, avant que n’ait éclaté l’affaire Médiator », insiste-t-il. « Nous avons souvent parlé de la possibilité de transposer des éléments du Sunshine Act, qui est en train d’être mis en place aux USA, à des modalités françaises. Nous restons dans ces dispositions ». Le Pr. Bernard Debré qui doit prochainement rendre un rapport au chef de l’Etat pour éviter la répétition du « scandale » du Mediator préconise également la publication « in extenso » des contrats entre médecins et laboratoires, sur le modèle du « Sunshine Act » américain. « Affaire des années 70 », selon les propres termes du président du LEEM, qui vient d’exploser à la figure de beaucoup de monde, industriels et institutionnels réunis, le Mediator est bien le révélateur du fonctionnement, d’un certain mode de fonctionnement et surtout des dysfonctionnements du système de contrôle, de surveillance et sans doute aussi de promotion du médicament.

Un système qui fonctionnait donc « normalement » jusqu’à décembre dernier et que le président du LEEM reconsidère à sa manière : « Ce qui me choque le plus par rapport à la situation actuelle, c’est qu’on a le sentiment que le regard que l’on porte sur notre secteur d’activité reste celui que l’on portait il y a 20 ans, 30 ans, ou même encore il y a 10 ans ! ». Il n’appartient plus qu’aux industriels de faire changer ce regard, en se souvenant du mot d’Alfred Sauvy, démographe sociologue, qui disait en son temps : « Bien informés, les hommes sont des citoyens ; mal informés, ils deviennent des sujets ». Et parfois, hélas, des victimes.

Jean-Jacques Cristofari

(1) aux côtés de la délégation du LEEM se trouvait également celle du LIR, avec son président Dominique Amory, pdg de Lilly France, et celle de l’AGIPHARM (Association des groupes internationaux pour la pharmacie de recherche), présidée par Emmanuelle Quilès, président de Pfizer France.

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[singlepic id=134 w=320 h=240 float=left]La visite médicale, vue par Christian Lajoux

« Dans le rapport de l’IGAS il n’y a pas un mot sur la visite médicale. En revanche il y a eu beaucoup de commentaires sur le rapport dans le débat médiatique légitime; on a beaucoup parlé de la visite médicale. Notre pays est très en avance sur ce qui se fait partout dans le monde en terme d’encadrement de la visite médicale. Je ne veux pas alourdir le débat, mais je peux redire que nos visiteurs médicaux sont diplômés par l’Etat, sont inscrits dans une charte avec le CEPS qui va au-delà des obligations légales en terme de qualité et de comportement; ils font l’objet d’une certification des réseaux -la non certification du réseau amène l’entreprise à ne pas pouvoir conventionner, il n’y a pas de vide dans le modus operandi. La visite médicale existe dans tous les pays. On nous reproche qu’il y a plus de visiteurs médicaux en France que dans d’autres pays. Non : il y a 18 000 visiteurs médicaux en France, il y en a 20 000 en Italie, 20 000 en Espagne; un pays où il y en a un peu moins, c’est la Grande Bretagne. On nous dit qu’il n’y a pas de visiteurs médicaux dans les pays du Nord, comme la Suède : c’est faux, il y en a. Il y a des actions d’information et des liens constants entre l’entreprise et les soignants. »

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Sur le financement de l’Afssaps : LE LEEM est pour une taxe !

« En tant que représentant du Leem, j’ai voté contre le budget de l’Afssaps, au prétexte que l’Etat souhaitait se désinvestir de ce budget, et je trouvais anormal que les ressources de l’Afssaps proviennent pour près de 80 % de la part des industriels. Voilà un mode d’expression parmi d’autres d’un représentant du collectif Leem au sein du conseil d’administration, et précisément nous avons toujours contesté la sur représentation des industries du médicament dans le mode de fonctionnement de l’Afssaps. »
« Que l’on change le mode de financement de l’Afssaps trouvera l’assentiment total des industriels du médicament, parce que nous traînons comme un boulet derrière nous la relation trop directe qui existe entre les ressources de l’Afssaps et ses missions. …. Au cours des derniers mois, pas de lien de clientélisme entre l’Afssaps et les industriels du médicament : nous sommes en faveur d’un nouveau mode de fonctionnement. Ce financement est une taxe. « 

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Jean Jacques Cristofari
Jean Jacques Cristofari

Journaliste spécialisé en économie de la santé En savoir plus ...

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