La ministre des Affaires sociales et de la santé, Marisol Touraine met en route l’engagement de François Hollande de plafonner les dépassements d’honoraires en incitant – pour ne pas dire obligeant – les médecins et les caisses d’assurance-maladie à engager une négociation sur ce sujet. Les partenaires conventionnels ont une obligation de résultat : car à défaut d’un accord, le gouvernement imposera, par la loi, les règles du jeu. Cette approche relativement martiale ne doit pas faire illusion. Cette négociation s’annonce comme une occasion manquée. Elle répond à un objectif politique alors qu’elle pourrait être le point de départ d’une modernisation médico-économique de la médecine de ville. Explications.
Les trois coups de la négociation sur le plafonnement des dépassements d’honoraires vont bientôt être frappés. Au lever du rideau, chaque acteur connait son rôle dans cette pièce rodée au final sans surprise.
Le gouvernement veut plafonner le niveau des dépassements des médecins du secteur II, qui représentent 2 milliards d’euros d’honoraires et constituent un frein à l’accès aux soins pour certaines catégories de la population. L’assurance-maladie entend profiter de la circonstance pour laver l’affront de l’échec de la négociation sur le secteur optionnel et les syndicats de médecins – qui savent ce plafonnement inévitable – font semblant de faire monter la pression en demandant en contrepartie une revalorisation des tarifs opposables impossible à obtenir. Enfin, la Mutualité – qui n’est pas invitée à la table des négociations – se tient en embuscade en soulignant qu’elle « souhaite de nouvelles relations contractuelles avec l’assurance-maladie », ce qui est une manière de rappeler qu’elle veut bien financer les dépenses de santé, à condition d’être un partenaire à part entière.
Une négocation en trompe l’oeil
Dans le scénario, il est prévu que la négociation aboutisse après ce qu’il faut de coups de gueule, de bras de fer, de ruptures définitives qui ne durent que le temps d’un entracte et de discussions qui se poursuivent jusqu’au bout de la nuit. C’est ainsi, le petit théâtre conventionnel a ses règles comme le théâtre de boulevard a les siennes avec les amants dans le placard, les portes qui claquent et les quiproquos qui s’enchaînent.
A la tombée du rideau, après un vrai-faux suspens, les honoraires des médecins du secteur II seront plafonnés – soit par un accord conventionnel, soit par un article de la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) 2013 – selon un schéma qui s’inspirera du projet avorté de secteur optionnel. Les médecins devront réaliser une partie de leurs actes en tarifs opposables et les autres seront plafonnés à un pourcentage X au dessus.
Dans le fond, cela ne changera pas grand-chose à la situation actuelle, sauf pour la minorité de médecins qui pratiquent l’art de la culbute tarifaire et qui se recrutent essentiellement parmi les médecins ayant un secteur privé à l’hôpital. Mais cela permettra au gouvernement d’afficher une victoire politique, à l’assurance-maladie de montrer qu’elle a enfin réussi à dompter l’hydre des dépassements d’honoraires et aux syndicats de médecins d’expliquer à leurs troupes que leur détermination a permis de sauver le secteur II au prix de quelques concessions. Ce spectacle devrait tenir l’affiche tout l’été et une partie de l’automne avec un certain succès. Il ne manque plus qu’à lui trouver un titre. Et si on l’appelait « Chronique d’une occasion manquée » ?
Cette négociation en trompe-l’œil dans laquelle chaque acteur cherche un effet d’affichage est en effet un grand rendez-vous raté. Pourquoi ?
La demande des syndicats de médecins d’une revalorisation des tarifs opposables en contrepartie du plafonnement des dépassements d’honoraires est impossible à satisfaire. Economiquement parce qu’elle coûterait des centaines, voire quelques milliards d’€uros et politiquement parce qu’il serait difficile de justifier les revalorisations d’honoraires en pleine austérité, hausse des impôts et baisse des dépenses.
Le secteur 2 ouvre une brèche
Mais, dans l’absolu, elle n’est pas incohérente. Elle renvoie même aux origines du secteur II en 1980. Depuis 1974, les « trente glorieuses » sont terminées et la crise frappe. Les finances de l’Etat sont dans le rouge, de même que celles de la Sécurité sociale qui ne parviennent pas à retrouver l’équilibre malgré des plans de redressement à répétition. Les dépenses de santé explosent, les recettes de l’assurance-maladie diminuent sous l’effet de l’augmentation du chômage. En 1979, la « Sécu » connait le plus important déficit de son histoire. [singlepic id=524 w=160 h=140 float=right]Le rigoureux Premier ministre Raymond Barre (photo) veut frapper un grand coup en décidant d’enfermer les dépenses de santé dans une enveloppe globale. Au lieu d’être financés grâce au prix de journée, les hôpitaux le seront sur la base d’un taux directeur défini par l’Etat, ce qui est le prélude au futur budget global. Pour la médecine de ville, il appartiendra aux médecins et aux caisses d’assurance-maladie de s’entendre pour plafonner les dépenses, soit en limitant les volumes d’activité, soit en diminuant la valeur des actes.
Tollé du coté des représentants des médecins qui s’apprêtent à négocier la 3ème convention médicale. C’est alors qu’entre les syndicats de médecins et la Caisse nationale d’assurance-maladie germe une autre idée : le découplage entre le remboursement et la valeur des actes. En d’autres termes, l’assurance-maladie prend en charge ce qu’elle peut dans le cadre de son budget et les médecins fixent librement leurs honoraires. C’est sur ce principe qu’a été créé le secteur II dans la convention médicale de 1980.
Le secteur II est une brèche dans le principe de couverture universelle de la sécurité sociale. La gauche ne s’y trompe pas et un des engagements de François Mitterrand est de le supprimer. Mais, une fois élu, il devra renoncer à son projet parce qu’entre-temps, le piège s’est refermé. Le déficit de la Sécurité sociale s’est amplifié, les tarifs opposables ont été bloqués ou peu revalorisés, les médecins sont de plus en plus nombreux à avoir opté pour le secteur à honoraires libres. Sa suppression supposerait une remise à niveau des honoraires conventionnels, ce qui est – déjà – impossible dans le cadre du « tournant de la rigueur » de 1983.
L’impossible maîtrise des volumes
Les médecins seront de plus en plus nombreux à venir grossir les rangs du secteur II, à tel point que le gouvernement est confronté à un problème social et politique. L’assurance-maladie met au point une cartographie qui tend à démontrer que, dans certaines régions, il est difficile, voire impossible de trouver un médecin exerçant en secteur I, c’est-à-dire en tarifs opposables. Du coup, en 1989, l’accès au secteur II sera fermé aux généralistes. Ceux qui sont inscrits en secteur II pourront le rester, mais aucun autre médecin généraliste ne pourra venir les rejoindre.
Ce fut une décision politique dont aucune conséquence médico-économique n’a été tirée. La consultation et l’ensemble des actes cliniques n’ont fait l’objet d’aucune réévaluation alors que les actes techniques ont été ajustés dans le cadre de la nouvelle nomenclature dans les années 2000 qui a eu pour objectif de redéfinir le contenu des actes et de valoriser les plus modernes et efficients au détriment des plus obsolètes.
C’est ainsi que pour les actes cliniques, on est toujours dans l’inextricable dialectique prix/volume. L’assurance-maladie ne veut pas revaloriser les actes tant que les volumes ne sont pas maitrisés. Mais, les volumes peuvent-ils être maitrisés tant que la valeur des actes n’est pas remise à niveau ? C’est l’œuf et la poule.
La négociation sur les dépassements d’honoraires devrait être l’occasion de resituer le problème dans son contexte et d’aborder l’ensemble du dossier dans l’objectif d’une véritable modernisation de la médecine de ville. Dans cette perspective, il faudrait mettre sur la table les sujets suivants :
Après les élections législatives du 10 et 17 juin, François Hollande a les moyens politiques de l’audace économique. Mais, les objectifs de cette négociation affichés par Marisol Touraine semblent indiquer que le gouvernement ne souhaite pas être audacieux sur ce terrain. C’est en ce sens que la représentation conventionnelle qui va s’engager sera une occasion manquée.
Philippe Rollandin