Médicaments : Il faut sauver le soldat « Innovation »

Médicaments : Il faut sauver le soldat « Innovation »
juin 19 14:00 2011 Imprimer l'article

[singlepic id=117 w=320 h=240 float=left]Les dernières données américaines, européennes et françaises confirment une panne durable de l’innovation. Les résultats ne sont plus au rendez-vous. Aux Etats-Unis, où le secteur public fait mieux que le privé, la FDA n’a autorisé que 21 nouvelles entités moléculaires. L’Europe ne fait guère mieux, avec 15 nouvelles NCE. La France dénombre de son côté 35 ASMR pour des solutions thérapeutiques nouvelles. Alors que viennent d’être convoquées les Assises du médicament, faudra-t-il aussi leur adjoindre un Comité de salut public de l’innovation ?

Moteurs de l’innovation sévèrement grippés, mécanismes pathologiques d’une complexité insuffisamment connue, contraintes réglementaires de plus en plus strictes… S’il est difficile de discerner avec précision les raisons majeures de la chute continue du nombre de nouveaux médicaments autorisés chaque année, force est de constater que les résultats ne sont plus au rendez-vous depuis déjà trop longtemps… Ce recul continu qui s’observe depuis le milieu des années 90 est encore une fois confirmé par les dernières données des agences du médicament américaine et européenne, la FDA et l’EMA, comme par la 10ème édition du bilan des avancées thérapeutiques du LEEM.

Le plus bas niveau depuis 15 ans…

Outre-Atlantique, la FDA n’a autorisé que 21 nouvelles entités moléculaires (New Molecular Entities – NME) en 2010 (voir tableau ci-après). Mais plus grave encore, l’agence américaine n’a reçu que 23 dossiers de demandes d’autorisation pour de nouveaux médicaments, ainsi que l’indique son dernier bilan. Ce qui correspond au plus bas niveau observé depuis 15 ans aux Etats-Unis… En Europe, les résultats ne sont pas plus brillants. puisque seuls 15 nouveaux médicaments (dont deux vaccins contre la grippe H5N1) ont été autorisés en 2010, contre 14 en 2009.

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(Pour mieux lire le tableau cliquer dessus)

En France, si le bilan des avancées thérapeutiques dressé chaque année par le LEEM, ne décompte pas les nouvelles AMM, il ne s’en penche pas moins sur un autre paramètre fondamental pour refléter le progrès médical et l’innovation pharmaceutique, l’amélioration du service médical rendu (ASMR) (1). Trois domaines, l’oncologie, les maladies rares et l’infectiologie, concentrent ainsi l’essentiel des avancées en 2010. L’inventaire réalisé pour l’année 2010 dénombre 35 ASMR pour des solutions thérapeutiques nouvelles, dont huit « situations de progrès » en oncologie, cinq nouveaux produits pour des maladies rares et huit indications pédiatriques. Certes, ces chiffres peuvent a priori paraître flatteurs… Pourtant 2010 s’avère être une des plus mauvaises années de la décennie écoulée… Seule l’année 2008 avait été pire avec 31 ASMR, le pic ayant été atteint en 2006 avec 58 ASMR. Au total, seuls six produits ont été jugés comme apportant une ASMR majeure ou importante, les 29 autres ASMR étant soit modeste (7) ou mineure (22) (voir tableau ci-dessous).

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(Pour mieux lire le tableau cliquer dessus)

Retour sur dix ans d’ASMR

Au-delà des résultats de cette année 2010, qui ne devrait pas rester gravée dans les annales de l’innovation, le bilan des ASMR délivrées au cours des dix dernières années s’avère particulièrement révélateur. On remarque que six axes (cancérologie, infectiologie, maladies rares, cardiologie, neurologie, rhumatologie) ont concentré 75 % des 455 ASMR obtenues sur les dix dernières années, ce qui constitue un reflet assez précis des priorités thérapeutiques de l’industrie pharmaceutique. Autre résultat parlant, le pourcentage des ASMR I, et donc des améliorations majeures du service médical rendu, n’est même pas de 1 % (0,09 %, soit un total de 41 ASMR I).

Si les ASMR II (amélioration importante) représentent 21,5 % du total, les améliorations modestes ou mineures (III ou IV) constituent l’essentiel de l’inventaire, avec un total de 69,4 % des ASMR délivrées depuis le début de la décennie. Face à ces piètres résultats, surgit inévitablement la question de la capacité d’innovation de l’industrie pharmaceutique… Question bien évidemment anticipée par le Leem qui s’interroge : « Est-ce à dire que Les Entreprises du Médicament n’innovent plus ? ». On pourrait certes être tenté de dire oui… même si cette réponse est évidemment trop simpliste et injustement simplificatrice…

Un taux de succès en chute

Certes, il devient de plus en plus difficile de découvrir et d’amener jusqu’au marché de nouveaux médicaments apportant des bénéfices clairement supérieurs aux produits déjà existants. De plus, les exigences des agences réglementaires s’accroissent au fil des ans.

Une situation que les résultats d’études tout juste rendus publics par l’association américaine des industries des biotechnologies, BIO (Biotechnology Industry Organization) illustrent aussi parfaitement. Sur la période 2003-2010, et donc sur une période proche de celle suivie dans l’étude du LEEM, l’association s’est penchée sur le taux d’obtention d’une AMM par les médicaments en cours d’études cliniques. Cette étude a passé au crible 4275 candidats médicaments dans 7300 indications et montre une baisse sensible du taux de réussite. Sur la période 2003-2010, à peine un médicament sur dix produits en phase clinique a pu obtenir une AMM (taux de réussite de 9 %, toutes indications confondues), alors que ce résultat était d’une molécule sur cinq ou six dans les décennies précédentes. Bien sûr tout le monde n’est pas logé à la même enseigne et ces résultats pourraient bien battre en brèche quelques idées reçues. En effet, mieux vaut être une « grosse » molécule biotech qu’une petite molécule chimique classique, la première ayant deux fois plus de chances de réussite que la première. Les chances de succès sont également plus importantes dans les indications primaires (une chance sur sept) que dans les indications secondaires (une chance sur trente). Une molécule biotech dans son indication primaire a ainsi un taux de succès de 26 % contre 14 % pour une NME « classique ». Dans les indications secondaires, ces chiffres sont respectivement de 7 % et 3 %.

Un public de plus en plus professionnel…

Enfin, les travaux de chercheurs américains tout juste publiés dans le New England Journal of Medicine viennent également éclairer d’une lumière instructive les chemins et les acteurs de l’innovation. Si l’on pressentait déjà l’impact majeur des organismes de recherche publique américains sur la découverte de nouveaux médicaments, ces résultats traduisent concrètement l’évolution majeure de leur part dans les phases appliquées de la drug discovery, considérées comme le domaine de compétences majeur, voire comme le terrain de chasse exclusif de l’industrie pharmaceutique. Ainsi le rôle de la recherche publique dans la découverte de traitements innovants est-il de plus en plus direct (voir Le public en tête pour les Fast-track et les NME).

Le public en tête pour les Fast-track et les NME

Les organismes de recherche publique américains ont contribué à la découverte de 9,3 % à 21,2% de tous les médicaments impliqués dans les quelque 1541 dossiers de demandes d’AMM déposées à la FDA entre 1990 et 2007. Lorsqu’on creuse les chiffres, on s’aperçoit que le secteur public fait beaucoup mieux que le secteur privé pour l’obtention du statut d’évaluation prioritaire que la FDA confère à des produits particulièrement innovants et visant à répondre à un besoin médical insatisfait majeur (statut fast track). Sur les 348 dossiers ayant reçu un fast track, 66 d’entre eux (19 %) proviennent de la recherche publique, ce qui veut dire que près de la moitié (46 %) des candidats médicaments issus des institutions de recherche publique ont obtenu un statut d’évaluation prioritaire. Un résultat très largement supérieur à celui du privé qui n’obtient ce statut que pour 20 % seulement de ses dossiers de demandes d’AMM. Le rôle croissant du secteur public dans la découverte et l’innovation pharmaceutique se retrouve également au niveau des NME. Sur les 1541 dossiers étudiés, 483 sont des NME, dont 64 sont issus de laboratoires publics américains. Pour les auteurs, ces progrès des institutions académiques sont à mettre au crédit de l’émergence des biotechnologies au milieu des années 79 et des changements politiques mis en place dans les années 80 d’une part, pour renforcer les financements de la recherche publique, et d’autre part, pour stimuler le dépôt de brevets et la création d’entreprises par les chercheurs, notamment au travers du Bay-Dohle Act.

…qui sait investir

Non seulement ce secteur public est de plus en plus professionnel et sait percevoir les besoins thérapeutiques majeurs insatisfaits, mais il réussit aussi là où il investit… Sur les 153 médicaments issus du public et autorisés par la FDA entre 1970 et 2009, les aires thérapeutiques ayant enregistré le plus d’AMM sont l’oncologie (49 produits) et les maladies infectieuses (36), suivies par la cardiologie (12), les maladies métaboliques (12) et les maladies du système nerveux central (12). Un classement à rapprocher des priorités thérapeutiques des instituts les mieux dotés de la plus prolifique des institutions américaines, le NIH (National Institutes of Health), à savoir le NCI (National Cancer Institute), le NIAID (National Institute of Allergy and Infectious Diseases), le National Heart, Lung and Blood Diseases et le National Institute of Diabetes and Digestive and Kidney Diseases. A titre d’exemple, en moins de quarante ans, le budget du NCI est passé de 550 millions de $ en 1973 à quelque cinq milliards de $ aujourd’hui. A l’heure où les partenariats public-privé déjà si fortement prisés par l’industrie pharmaceutique ont largement le vent en poupe, voilà de quoi conforter l’importance de la recherche académique dans l’innovation… Une innovation qui, bien sûr, ne se cantonne pas à ces seuls laboratoires publics, mais qui doit aussi beaucoup aux facilités créées aux Etats-Unis pour aider à la création d’entreprises biotech par les chercheurs académiques… Alors, essayons, en France, d’éviter des erreurs stratégiques et de réparer les dégâts majeurs, voire les traumatismes, que les changements introduits dans le statut de la Jeune Entreprise Innovante (JEI) sont en train de générer dans le tissu biotech hexagonal (voir Jeunes entreprises innovantes en péril – Les Echos du 15 février 2011). A moins que la France n’ait définitivement fait le choix de rayer les biotechnologies de sa stratégie industrielle…

Anne-Lise Berthier

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NB : La définition du niveau d’ASMR d’un médicament vise à apprécier l’amélioration qu’il apporte par rapport à ses comparateurs. On distingue cinq niveaux d’ASMR : ASMR I ou ASMR majeure, ASMR II ou ASMR importante, ASMR III ou ASMR modeste, ASMR IV ou ASMR mineure et ASMR V ou absence d’amélioration du service médical rendu.

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A propos de l'auteur

Jean Jacques Cristofari
Jean Jacques Cristofari

Journaliste spécialisé en économie de la santé En savoir plus ...

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