[singlepic id=485 w=320 h=240 float=left]Annoncée il y a quelques semaines et largement inscrite dans les tendances exprimées en 2011, la pharma est désormais bel et bien en récession. Les ventes de médicaments prescrits se situent sur un an en fin mars, en prix fabricant HT, à 20 milliards d’euros selon IMS, soit une baisse de 0,1 %, tandis que les médicaments en vente libre accusent également un recul de 1,3 %, à 5,212 milliards d’euros, sur la même période. Pour le seul mois de mars, la baisse est encore plus sensible, à -2 %. Pour l’année en cours, IMS Health prévoit une évolution négative à -2 % environ. Pour autant, la branche pharmaceutique, qui poursuit ses mouvements de restructuration, inscrit son avenir sur les marchés extérieurs des pays émergents.
Pour l’industrie du médicament, qui vient de plonger dans la plus mauvaise époque de son histoire, le pire pourrait encore être devant nous, explique l’économiste de la santé Claude Le Pen, par ailleurs conseil chez IMS. « Le monde de la santé n’échappera pas à la logique du « menu » d’économies destinées à ramener une croissance spontanée de l’ordre de 3,5%/4% aux taux cibles de 3% (de Hollande) », écrit ce dernier la veille du résultat des élections présidentielles. Une santé qui devrait ainsi connaître un nouveau plan d’économie de l’ordre de 2 à 3 milliards d’euros, sachant que la croissance économique ne sera pas au rendez-vous cette année et qu’il faudra payer la note, « soit sous forme de déficit accru, soit sous celle de prélèvements obligatoires majorés ! », probablement même des deux. L’exercice auquel devra se livrer la nouvelle majorité, soit « gratter un petit milliard », devrait la conduire à présenter au Parlement pour la prochaine rentrée, un projet de loi de financement de la Sécu où le médicament pourrait une nouvelle fois être de la fête. Nos voisins allemands, fervents défenseurs de l’économie libérale, fut-elle de marché, n’ont pas hésité à dégager ces dernières années de nouvelles recettes sur le médicament, en imposant aux producteurs des ristournes allant jusqu’à 16 %, aux officines des taxes sur chaque boîte vendue et aux assurés sociaux des tickets modérateurs accrus pour ceux qui n’entendaient pas se plier aux exigences de leur caisse maladie. Le tout assorti d’un moratoire sur les prix et de quelques tracasseries administratives supplémentaires pour mettre une spécialité pharmaceutique sur le marché allemand. L’euphorie ne sera donc pas de mise non plus de ce côté ci de la frontière du Rhin dans les rangs des industriels du médicament, qui maintiennent cependant des taux de rentabilité importants comparés à d’autres branches d’activité.
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[singlepic id=482 w=220 h=140 float=left]Nouveaux équilibres mondiaux
Car si à l’horizon 2015, la tendance du marché du médicament restera en France orientée à la baisse, de – 1 à – 2 % selon IMS, il n’en sera pas de même pour le marché mondial, qui devrait dépasser les 1000 milliards de dollars dans 3 ans, avec une hausse très nette pour les pays dits émergents, qui noueront avec des taux de croissance à deux chiffres que les pays développés ont connu il y a plus d’une décennie (+ 13-14 %). Toujours selon IMS, les nouveaux équilibres mondiaux de la pharma se déplaceront vers l’Asie et plus largement vers ce que la société d’études et de données qualifie de « pharmergings », soit une zone rassemblant des pays comme le Brésil, le Mexique, la Chine, la Russie, l’Inde, voire encore la Turquie. Une zone qui devrait en 2015 contribuer pour 63,4 % à la croissance mondiale du marché de la pharma, contre 37 % entre 2006 et 2010, et qui représentera près d’un tiers de ce marché mondial du médicament. Déjà vaccinée contre les récents soubresauts de la crise économique de 2008-2009, comme le souligne la société d’analyse Euler Hermes dans une récente étude (1), « la pharmacie fait de la résistance » et bénéficie largement d’une demande alimentée par un effet démographique certain. Ainsi en Amérique du Nord comme en Europe, 3 personnes sur quatre âgées de 65 ou plus souffrent d’une affection chronique susceptible d’être soigné par un traitement médicamenteux. Cette population qui concerne 45 millions d’Américains et 119 millions d’Européens en 2010, devrait voir ses effectifs grimper respectivement à 97 et 194 millions en 2015. Dans le monde entier, les plus de 65 ans représenteront, avec 1,511 milliard d’individus, quelque 16 % de la population mondiale. C’est dire que l’effet démographique jouera largement en faveur de la pharma, dont la dynamique s’appuiera par ailleurs sur une demande de plus en plus solvabilisée par des dépenses publiques de santé, en hausse constante depuis 40 ans : de 7 % du PiB en 2010, ces dernières devraient passer à 8,5 % en 2020 dans les pays développés et de 2,7 % à 3,2 % dans les pays émergents sur la décennie en cours.
La fin de l’âge d’or[singlepic id=484 w=200 h=150 float=right]
Dans ce paysage contrasté, les grands laboratoires pharmaceutiques sont fortement touchés par la concurrence effrénée que leur livrent les fabricants de génériques – les grandes molécules concernées par les pertes de brevet sont estimées à 125 milliards de dollars d’ici 2015 – sans que les premiers puissent compenser leurs pertes par de nouvelles molécules issues de leur propre recherche. « Faute d’une R&D efficace, les grands laboratoires sont devenus moins innovants », note à cet égard Euler-Hermes en soulignant que « l’effet ciseau entre la croissance du budget R&D pharmaceutique – multiplié par 4 en 15 ans – et le rythme de lancement de nouveaux médicaments – à la baisse, de 36 homologations accordées par la FDA en moyenne entre 1996 et 2004, à 22 homologations entre 2005 et 2010 – qu’elle génère s’est amplifié sur la période 2010-2011 ». Aussi, si l’âge d’or des rentabilités élevées des big pharma semble révolu – de 20,5 % en 2012 (2), le taux de marge a baissé de 4 % depuis 2006 -, les sociétés européennes résistent cependant mieux que leurs homologues américaines, avec un écart de 5 points du taux de marge entre les unes et les autres. Un écart dû, selon la société d’étude précitée, au prix fort payé par les restructurations des grands groupes US (68 milliards de dollars pour l’achat de Wyeth par Pfizer, 41 milliards pour celui de Schering Plough par Merck, contre 23 milliards pour l’acquisition de Genzyme par Sanofi ou 40 milliards de dollars pour celle d’Alcon par Novartis).
Ainsi, entre 2009 et 2011, la filière aura supprimé plus de 100 000 emplois, dont 3 sur 4 l’ont été aux Etats-Unis qui devraient encore en perdre 20 000 en 2012. L’objectif est ici pour les big pharma d’anticiper les baisses de ventes sur leurs marchés historiques, dits matures, et de tenter de limiter la baisse de leur rentabilité, prévue par les analystes pour 2012-2013. « Malgré les vents contraires qui demeurent soutenus en 2012, le secteur mondial des produits pharmaceutiques devrait rester l’un des mieux notés parmi les branches d’industries », avance de son côté Fitch Ratings à Londres début mai. La pharma qui a changé son business modèle – externalisation de sa recherche, intégration des biotech, diversification de activités et de ses portefeuilles de produits -a également devant elle de nouveaux challenges à affronter. Pour ce qui est de ses « nouvelles frontières », c’est déjà fait !
Jean-Jacques Cristofari
(1) « Une nouvelle feuille de route pour la pharmacie » Paris, mars 2012.
(2) Selon Euler Hermes, pour un échantillon de Big Pharma : soit les onze premiers laboratoires mondiaux, qui représentent 56 % du marché pharmaceutique global
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Journaliste spécialisé en économie de la santé En savoir plus ...