La visite médicale aux Assises du Médicament : le bal des hyprocrites, sans Hippocrate

La visite médicale aux Assises du Médicament : le bal des hyprocrites, sans Hippocrate
avril 14 18:07 2011 Imprimer l'article

Les Assises du médicament, lancées en mars dernier dans la foulée du rapport de l’Inspection générale des affaires sociales sur le Mediator, paru en janvier dernier, donnent lieu depuis quelques semaines à une large concertation sur la refonte du système de sécurité sanitaire des produits de santé. Sous la présidence d’Alain Michel Ceretti (1) (photo), le Groupe 4 s’est plus particulièrement consacré à la question du développement de la formation et de l’information sur les produits de santé. Les réseaux de la visite médicale des laboratoires ont été l’objet d’une séance particulière, le 1er avril dernier, à laquelle ont participé quelque 46 personnes. Si la suppression pure et simple de la visite n’a pas été envisagée, une nouvelle fois l’activité des VM a fait l’objet d’une stigmatisation très ciblée, en tentant de ramener cette dernière à la seule dimension commerciale. Une vision réductrice de la visite qu’a récusé Hervé Gisserot, pdg de GSK France (photo), tandis que l’UFC-Que Choisir a une nouvelle fois tenté de « désarmer » les laboratoires en plaidant pour la création d’un corps de VM « public ».

« Le délégué médical est un salarié dont les fonctions comportent, de façon exclusive et en dehors de toute activité commerciale, la présentation ou le rappel d’une ou plusieurs spécialités pharmaceutiques ». La définition de son activité est inscrite dans la convention collective du 1er juillet 2005 relative aux délégués médicaux. Ces derniers, faut-il encore le rappeler, ne sont pas des VRP du secteur commercial, mais des personnes dûment diplômées (DEUST ou DU) et dotées d’une formation complémentaire. « La visite médicale apparaît comme l’une des sources principales d’information sur le médicament pour la pratique quotidienne de l’ensemble des médecins », rappelle à cet égard la Haute Autorité de Santé qui a fait réaliser des enquêtes IPSOS en 2007 et 2009 sur la réception des VM par les Médecins. Ces dernières sont claires sur un point :  » Lorsqu’il s’agit de citer les trois principales sources d’information sur le médicament, la presse professionnelle est la plus citée, juste avant la visite médicale et avant le Vidal. Les réponses des médecins généralistes et des médecins spécialistes sont assez proches », note encore la HAS. Selon les enquêtes menées, environ 20 % des généralistes et 30 % des spécialistes, pour des raisons diverses, ne reçoivent pas les visiteurs médicaux.

Une visite médicale publique ?

Si les participants de séance du 1er avril du groupe 4 des Assises du médicament se sont bien ralliés à l’approche qui veut que « la visite médicale (VM) est aujourd’hui l’une des principales sources d’information des médecins généralistes et spécialistes, en ville comme à l’hôpital », ils ont estimé que la situation actuelle ne leur paraissait « pas satisfaisante, tant au regard du bon usage du médicament (certains prescripteurs qualifient la VM de « temps perdu » pour les médecins) que des conditions de travail des visiteurs médicaux. » Principale critique adressée à la visite médicale : « Elle est un outil de promotion ciblé en fonction d’objectifs commerciaux ». Une vision quelque peu réductrice à laquelle n’ont pas souscrit les patrons de laboratoires présents, dont Hervé Gisserot, Pdg de GSK France depuis juin 2008, qui a souligné le 8 avril lors du compte-rendu de la séance du 1er, qu’on ne pouvait réduire l’activité de la VM au seul aspect « commercial ». Pour autant, les tenants d’une diminution des effectifs de la visite médicale et du développement parallèle d’une visite « publique », au nombre desquels se situe depuis quelques années « UFC – Que Choisir » ou encore l’UNAF, ne désarment pas. Ainsi , pour ces dernières organisations, « un corps de 1700 visiteurs médicaux publics, placé sous l’égide de la Haute Autorité de Santé, à même de dispenser aux médecins une information objective sur les médicaments et les pratiques de prescription », un corps « composé pour un tiers de médecins et pour deux tiers d’infirmiers » devrait permettre d’informer les praticiens. Le coût annuel de la mesure a même été chiffré par l’association de consommateurs à quelque 200 millions d’euros. Cinq ans après avoir constitué son propre corps de délégués, l’assurance-maladie, de son côté, a recruté et formé sur l’ensemble des caisses primaires de l’Hexagone 1000 DAM, et son réseau, encadré par 300 médecins et pharmaciens conseils, a été certifié après qu’un référentiel ait été élaboré par la HAS. Mais ces « chevilles ouvrières de la réforme à l’oeuvre depuis 2004 », selon les termes Jean-Marc Aubert, chargé de l’organisation des soins à la Caisse nationale d’assurance-maladie, ont davantage pour mission de veiller au bon usage du médicament – l’ont-ils fait pour le Mediator ? -, voire à provoquer des économies sur le médicament – les statines et les antibiotiques ont été leurs cibles récentes – plutôt qu’à informer les médecins sur les produits de santé. Et comment pourraient-ils vraiment le faire quand on sait qu’il faut trois ans pour former un VM et qu’il bénéficie de surcroît dans sa vie professionnelle d’une formation continue importante sur chaque médicament et les pathologies que ce dernier peut soigner ? Quant à former un corps public de VM, comme l’avance l’UFC Que Choisir, on imaginera mal comment la HAS dont ce n’est pas le métier – et qui emploie fin 2009 430 personnes dans ses murs – recrutera, formera, encadrera et managera ces 1700 VM de santé publique (VMP) médecins et infirmiers ? Et surtout comment il sera possible dans une France qui manque déjà cruellement de professionnels de santé, de recruter ces 1700 personnes à la sortie des facultés ? Enfin, comment ce corps public pourra-t-il informer utilement 207 000 praticiens, libéraux et hospitaliers, généralistes et spécialistes (chaque VMP aura ainsi en charge 120 praticiens) que compte le pays sur les 5000 spécialités vendues en France dans les officines ? A moins qu’on ne cible ici encore que les gros prescripteurs, comme le font les DAM, et que l’on restreigne l’information aux 100 premiers médicaments. Le rêve secret de la revue Prescrire…

Réduire les effectifs de VM ou museler les laboratoires ?

En plus de normaliser la visite aux médecins, L’UFC-Que Choisir propose de surcroît de réduire l’action des laboratoires auprès des praticiens, au besoin « de façon contraignante », en diminuant les effectifs de la visite médicale. Au nombre de 18 000 à ce jour, ces derniers dont les rangs s’éclaircissent année après année sous l’emprise des plans dits de « sauvegarde de l’emploi », apprécieront. Enfin, cerise sur le gâteau de la promotion du médicament, la même association de défense des consommateurs prône « une restriction quantitative de la visite médicale privée pour les classes de médicaments jugées problématiques pour la santé publique « . Entre temps, le Mediator est passé par là et l’Afssaps vient de mettre 77 autres produits sous « surveillance renforcée ». Motif sous-jacent et souvent avoué à cette réduction de voilure, les médecins prescripteurs sont -seraient- sous haute influence des laboratoires de la pharma, prescrivent n’importe quoi et n’importe comment, et surtout trop ! En un mot, nos bac + 8 voire plus, auraient au terme de leurs études et années de pratique perdu leur faculté de raisonner, leur analyse critique et tomberaient trop facilement sous le charme des visiteuses médicales. Ainsi, au fil du temps, une équation simple s’est installée dans l’argumentation des pourfendeurs de l’industrie du médicament : la forte consommation des médicaments par les Français trouve sa source dans la forte pression exercée par la visite médicale des labos ! CQFD ! Il n’en faudra pas plus pour museler l’action promotionnelle des laboratoires. Lentement mais sûrement, le groupe des Assises consacré à l’information du médicament dévoile sa véritable intention sous la présidence d’un homme, Jean-Michel Ceretti, qui se défend de vouloir la mort du pécheur, mais sait qu’il a la partie belle en laissant parler ceux qui voudraient l’enfermer dans un long purgatoire.

[singlepic id=157 w=320 h=240 float=left]L’impératif de la qualité

Autre question souvent évoquée à l’extérieur des Assises comme en leur sein, celle de la qualité de l’information médicale véhiculée par les VM. « Les questions sur la qualité globale de la visite et surtout sur la qualité de l’information apparaissent plus problématiques », ajoute encore la HAS qui ne dispose pourtant à ce jour d’aucun outil en propre pour analyser ces qualités. « Pour les questions sur le caractère complet et fiable de l’information reçue, si le médecin ne connaît pas l’information de référence, les réponses restent au niveau du « ressenti », ajoute la Haute Autorité en commentaire aux enquêtes IPSOS qu’elle a fait réaliser. Aussi propose-t-elle une mesure aussi simple qu’administrative : « Si on désire évaluer la qualité de l’information diffusée, les médecins devraient remplir une fiche par visite, juste après celle-ci, en connaissant le produit présenté et les références scientifiques sur ces produits, et en répondant à des questions précises ». Autant dire qu’une bureaucratie kafkaïenne, dont raffolent déjà les médecins libéraux, aura tôt fait de prendre le pas sur l’information. Pourtant des outils existent, dont celui mis en place par l’Association pour la qualité de l’information médicale (AQIM) avec son observatoire de la visite (Obsaqim) qui permet de juger de cette qualité. Mais notre pays et ses représentants institutionnels ont quelques difficultés à se saisir des innovations de structures associatives ou privées, promptement accusées de conflits d’intérêt et d’intentions commerciales déguisées. Ils préfèrent inventer de nouvelles usines à gaz, pour peu qu’elles émanent des rangs des plus hautes institutions et bénéficient de labels publics incontestables (HAS, Afssaps, DGS etc). Même si ces derniers mènent parfois à des affaires aussi regrettables que celle qui se déploie depuis des mois autour du Mediator. Ces Assises, qui ressemblent, semaines après semaines, à une belle opération de relations publiques et de communication institutionnelle, se muent par moment en un étrange bal des hypocrites qui ne disent pas leur nom. Seule fausse note dans la petite musique bien orchestrée contre la visite médicale et l’information promotionnelle des laboratoires, les représentants d’Hyppocrate sont furieusement absent des débats. Hormis quelques doctes professeurs des universités ou académiciens, médecin consultant à l’OMS, médecins ou pharmaciens hospitaliers, le groupe 4 manque cruellement de médecins tout simplement engagés dans la pratique quotidienne de leur art (2). Ceux là mêmes qui sont directement concernés par la visite médicale et l’information produite sur le médicament. Dommage.

Jean-Jacques Cristofari

PS : La séance précédente du groupe 4, portant sur la formation continue, annonçait déjà la couleur et était du même tonneau. « La visite médicale, c’est de la promotion, c’est même inscrit dans le marbre depuis 2004 – 2006 » a pu y déclarer Jean-Alain Ceretti, pour qui « la vraie promotion du médicament, on la trouve dans la visite médicale ». La séance eut ainsi beaucoup de mal pour accoucher d’un chiffre : quel montant est aujourd’hui engagé sur la FMC des médecins par l’industrie du médicament. Les fantasmes les plus fous ont ainsi couru sur la force de frappe des labos, estimé par certains à quelque 600 millions d’euros, sans que l’on sache vraiment d’où sortait ce chiffre. Le groupe devra pourtant pour l’avenir trouver le bon montant requis pour la formation médicale des praticiens français et au delà des professionnels de santé. Une seule certitude, les caisses de l’Etat et de l’assurance-maladie étant vide, personne ne pourra payer la note. A moins que…

(1) Alain-Michel Ceretti est administrateur de l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux (Oniam), de l’Observatoire d’éthique clinique, et de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS). Il est aussi Fondateur et Président honoraire de l’association Le Lien (aide aux victimes d’infections nosocomiales) et de l’association des victimes du Xénopi. Il a récemment présenté le rapport sur les « bilan et propositions de réformes de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité des soins » remis au ministre de la Santé dans le cadre du lancement de l’opération « 2011, année des patients et de leurs droits » pour laquelle il a été chargé, conjointement avec Laure Albertini, de la mission «faire vivre les droits des patients ».

(2) Les médecins syndicalistes, notamment généralistes, ont bien été invités à participer aux Assises. Ils ont fait part, du fait des négociations conventionnelles en cours, du trop fort nombre de réunions qu’ils doivent suivre en plus de leur exercice médical en cabinet.