Dépenses de santé : la révolution du financement prédictif

Dépenses de santé : la révolution du financement prédictif
mai 13 13:07 2015 Imprimer l'article

MoneyPour 99 dollars, la filiale médicale de Google propose un séquençage basique et low cost du génome. La révolution de la médecine génétique, prédictive et personnalisée est en marche et va rapidement imposer de profonds bouleversements du financement des dépenses de santé. Deux scénarii alternatifs vont se présenter. Un scénario libéral-social dans lequel le financement sera majoritairement assurantiel et faiblement solidaire et un scénario social-libéral composé majoritairement d’un système de solidarité entièrement revisité et une part assurantielle minoritaire. Décryptage….

Le Dr Watson a encore frappé et a pris une longueur d’avance sur ses confrères « humains « . Car ce docteur Waston n’est pas un « médecin » comme les autres. C’est le super ordinateur développé par IBM, capable de traiter des milliards et des milliards de données issues du séquençage génomique et de trouver des réponses en quelques minutes, là où une armée de chercheurs en chair et en os mettraient des années. 14 équipes de chercheurs humains issues d’instituts de recherches spécialisés dans le cancer ont rendu les armes face à Watson en lui confiant le traitement de leurs données, ce qui leur permettra d’avoir une longueur d’avance considérable sur leurs homologues – et néanmoins concurrents – européens…

Séquençage low-cost

Au mois d’avril, la société 23andME – la fameuse filiale médicale de Google – annonçait que 90 000 personnes avaient fait appel à ses tests de génotypage qui – moyennant 99 dollars – permettent une analyse des données de leur génome. Il ne s’agit pas du séquençage intégral du génome, mais d’une vue générale indiquant les grandes tendances génétiques du demandeur. Le génotypage est une sorte de séquençage low-cost. Pour un service plus complet, c’est-à-dire le séquençage intégral indiquant les prédispositions aux pathologies les plus lourdes – cancer, Parkinson, diabète, etc…- il faut compter 999 dollars.

C’est un pas de plus vers cette médecine d’avenir qui sera génétique, prédictive et personnalisée. Ce monde nouveau est – non pas à inventer parce qu’il s’imposera de lui-même – mais à anticiper parce qu’il est porteur d’horreurs éthiques et de folies médico-économiques. Depuis 2013, se déroule aux Etats-Unis un programme de recherche de médecine prédictive qui en dit long sur cette révolution. Financé à hauteur de 25 millions de dollars par le gouvernement fédéral, ce programme consiste à séquencer le génome d’une « cohorte » de nouveau-nés et de suivre pendant 5 ans leur évolution pour vérifier si l’analyse génétique correspond à la réalité. Selon de nombreux experts, ce type de séquençage prédictif pourrait être généralisé d’ici à 2020.

Gestion du risque sans risqueSet of DNA symbols

Ainsi, moins de 20 ans après l’aboutissement du Human Genetics Project qui avait permis d’établir la première cartographie du génome humain pour un coût de 3 milliards de dollars, le séquençage du génome est banalisé. On mesure facilement les conséquences d’une généralisation du séquençage génomique du point de vue humain, mais aussi assurantiel. Pour l’individu, la maladie et la vie même ne seront plus aléatoires, mais prévisibles. Pour un assureur santé, c’est le rêve d’une gestion du risque… sans risque. En effet, il y a fort à parier, qu’à terme, le séquençage du génome sera généralisé, obligatoire et opposable. Le dossier médical personnel (DMP) de demain n’indiquera plus les antécédents médicaux, mais les événements pathologiques et les maladies à venir. Comment penser qu’une telle connaissance à priori du risque maladie n’aura pas d’effet sur le financement et l’organisation de la santé ?

La politique de santé sera grandement facilitée par la connaissance, à moyen et long terme, des besoins de santé et donc des moyens à mettre en place. Sur le plan du financement et de la protection maladie, deux scénarii sont possibles en réponse à cette révolution.

  • Un scénario libéral-social
  • Un scénario social-libéral

Le scénario libéral-social

Dans ce scénario, l’assurance-maladie collective et solidaire, financée par les cotisations sociales ou/et l’impôt n’a plus de sens. Avec le séquençage obligatoire et opposable, on connait à l’avance le parcours biologique et médical de chaque individu, ce qui permet d’évaluer les coûts de santé qu’il va engendrer.

Le système est fondé sur une assurance individuelle, dont le coût est réel parce que calculé sur des événements médicaux prévisibles. Chaque individu est doté d’une sorte de Compte social de vie (CSV) qui indique d’un côté ses coûts médicaux et de l’autre les cotisations qu’il doit payer pour parvenir à équilibrer son compte à la fin de sa vie. Fin de vie qui est, elle-même, connue d’avance, ce qui signifie que le financement de sa retraite est intégré à son compte social de vie.

Dans les coûts de santé individuels, la prévention est prise en compte. Une des pistes de recherche de Calico, la filiale de Google qui œuvre dans le champ du transhumanisme – ce courant de pensée qui vise à « augmenter » l’Homme pour le rendre immortel –, consiste à créer une empreinte biologique des individus en bonne santé et, grâce aux variations biologiques, d’anticiper l’apparition des premiers symptômes d’une maladie. Ce super programme de prévention permettra, à terme, de soigner un Parkinson, un diabète ou un cancer avant même que les premiers signes cliniques se manifestent. Les assurés qui accepteront de suivre ce programme bénéficieront d’une baisse de leur cotisation maladie.

Ce scénario ultra libéral a l’inconvénient d’exclure du champ assurantiel les personnes socialement défavorisées. Surtout si elles sont dotées d’un génome les prédisposant à un parcours médical jonché de pathologies lourdes. L’Etat pourrait mettre en place des dispositifs d’aide fiscale à l’acquisition d’une assurance ou créer des programmes spécifiques comme le Medicare américain qui couvre les populations refusées par les assureurs santé.

Le scénario social-libéral

Ce scénario maintient le principe d’un financement collectif de la santé, mais une profonde rénovation des principes et des modalités de ce financement s’impose, parce que le risque est que la solidarité ne résiste pas à cette connaissance du risque santé et à la fin du caractère aléatoire de la maladie.

Ceux dont le séquençage révèlera un génome « nickel » sans prédisposition à de graves pathologies accepteront-ils de payer pour ceux dont le génome les prédispose à un parcours de vie très accidenté ? La question de savoir s’il faut laisser vivre « ces êtres génomiquement déficients » se posera un jour, ouvrant la voie à l’eugénisme.

Il ne faut pas croire que notre niveau de développement et de démocratie empêchera ce genre d’horreur. Dans les années 1920, un pays européen avait créé un Institut de biologie raciale pour déterminer les individus qui ne correspondaient pas aux critères ethniques dudit pays et souffraient de déviance sociale et de vices héréditaires au nombre desquels se trouvaient la propension au viol, l’incapacité d’épargner, la tendance à une vie dissolue, la masturbation ou le vagabondage afin qu’ils soient stérilisés. La loi créant cet institut expliquait que : « Le soin des faibles et des laissés pour compte de la société se met en place. A partir de cette politique sociale, il est logique de prendre des mesures pour prévenir la naissance d’individus qui ne peuvent que devenir une charge pour eux-mêmes et pour les autres ».

Vers une solidarité désintéressée

Ce pays qui a voté – et appliqué – cette loi terrifiante n’était pas l’Allemagne pré-nazi, mais la Suède, la douce et gentille Suède, connue aujourd’hui pour ses meubles en kit, ses allumettes et ses allumeuses. Stockholm a d’ailleurs été imitée par une autre capitale également au-dessus de tout soupçon : Copenhague, qui a ainsi cédé au chant de la petite sirène de l’eugénisme.

LeGuepardIl est donc important de prévenir tout refus social de la solidarité en refondant les principes de la solidarité. Au fond, comme le dit le Prince de Salinas dans le Guépard, « il faut tout changer pour que rien ne change ». La solidarité actuelle est fondée sur le fait que les biens portants payent pour les malades et ils l’acceptent parce que la maladie étant aléatoire, ils se disent qu’ils pourraient avoir à bénéficier de cette solidarité. C’est une solidarité intéressée. Avec la prédictivité génétique, il faut passer à une solidarité désintéressée.

Notre système actuel est fondé sur une ambigüité. Généralisée et obligatoire, la couverture maladie n’en relève pas moins officiellement d’une « assurance ». A la création de la Sécurité sociale, seuls les travailleurs salariés bénéficiaient de la couverture, essentiellement en cas d’arrêt maladie ou d’accidents du travail. Au fil du temps, l’Assurance-maladie a étendu son domaine d’intervention et le champ de ses bénéficiaires, au point d’avoir été généralisée en 1978. La création, en 1999, de la CMU a ramené dans le cercle de la protection maladie ceux qui avaient perdu leur droit assurantiel, essentiellement à cause d’un chômage prolongé.

Aujourd’hui, il n’y a plus de lien entre statut social et couverture maladie. L’assurance-maladie obligatoire n’est plus une assurance, mais une protection universelle. La Caisse nationale d’assurance-maladie et l’Union nationale des Caisses ne sont plus que des fictions. Depuis 1996 – Ordonnance Juppé mettant fin au paritarisme et créant les lois de financement de la Sécurité sociale – et surtout depuis 2005 – loi réformant l’Assurance-maladie –, les Caisses sont, de fait, des services extérieurs de l’Etat dirigés par un tout-puissant directeur général (l’actuel est venu directement de l’Elysée) et leur conseil d’orientation – regroupant les partenaires sociaux – n’oriente rien du tout.

Fiscaliser les dépenses

La première étape de la nouvelle solidarité est de couper ce lien fictionnel entre couverture maladie et financement, assis majoritairement sur les cotisations sociales pour le transférer sur l’impôt et pas sur la CSG, mais sur les rentrées fiscales générales de l’Etat. La protection maladie doit devenir une dépense publique de l’Etat comme une autre, comme l’Education nationale ou la Défense. L’enjeu sociétal de cette fiscalisation est de casser le lien entre le financement des dépenses de santé et un retour personnel attendu, la fameuse solidarité intéressée.

Cependant, cette fiscalisation – qui n’implique pas une gratuité des soins sur le modèle du NHS anglais – ne suffira pas à financer les dépenses de santé qui sont appelées à exploser. D’ici à un demi-siècle, notre espérance de vie sera de 120, 130, voire 150 ans et les grandes maladies seront guérissables, mais il faudra les traiter. Dans quelques décennies, il y aura plus de gens de 70 ans que de jeunes de 20 ans. Notre pays et avec lui l’ensemble de l’Europe, les Etats-Unis et la Chine seront une immense maison de retraite, ce qui est lourd de conséquence pour l’équilibre financier du système.

Il faut anticiper – pour l’éviter – cette faillite de la solidarité nationale en mettant en place un système obligatoire de capitalisation s’ajoutant au financement solidaire pour assumer les coûts de santé et de retraite. Chacun sera obligé de se constituer une épargne destinée au financement complémentaire de ses dépenses de santé et de sa retraite. Le niveau de cette capitalisation dépendra non pas du dossier médical et du génome comme dans le scénario libéral social, mais du revenu. Ce financement mixte – solidaire et assurantiel – est la seule solution pour éviter à la fois la faillite du système collectif de protection sociale et le développement du scénario libéral-social fondé sur une individualisation de la protection santé.

Il faut, sans tarder, engager une réflexion en ce sens.

Philippe Rollandin

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