[singlepic id=38 w=150 float=left]Avec les années, la facture des dépassements d’honoraires pratiqués par les médecins du secteur 2 ne cesse de croître. Associations de patients et assureurs complémentaires s’en sont émus à maintes reprises. La question, évoquée par Roseline Bachelot aux assises du CISS à Marseille, pourrait se retrouver au cœur des débats autour de la future loi de financement de la Sécu pour 2010.
La question n’est pas nouvelle et son impact est connu. Les médecins du secteur 2, faute de pouvoir bénéficier d’une hausse conventionnelle des honoraires et surtout des actes techniques associés à leur pratique, ont, année après année, augmenté leurs dépassements. Certes avec « tact et mesure », mais sans plafonnement réel, chacun facturant en son âme et conscience, mais surtout en connaissant de niveau de couverture assuré par la mutuelle de son malade/assuré social.
Ainsi en quelques années, la facture acquittée par les Français ou leur complémentaire a atteint quelque 2,5 milliards d’euros, selon les chiffres publiés lors du débat parlementaire sur la Sécu en 2009. Le montant s’élevait en 1990 à 763 millions d’euros. Il a donc plus que triplé en 20 ans. L’IGAS s’est penchée sur la question (1) pour tenter d’en mesurer l’impact sur l’accès aux soins des assurés sociaux et surtout de cerner les niveaux de prises en charge de ces dépassements. Son rapport fait ainsi ressortir que « le contrats couvrant l’intégralité des dépassements sont principalement des contrats collectifs » [c’est-à-dire d’entreprise], notant par ailleurs que « lorsque les dépassements excèdent de 50% les tarifs opposables, il est probable que la majorité de la population n’est pas couverte ». Dès lors ses restes à charges explosent, voire elle renonce aux soins, comme le souligne volontiers le CISS.
Les régions et les spécialités pratiquent des dépassements variables, avec des taux de l’ordre de 180 % pour les neurochirurgiens en région parisienne, de 99 % pour les chirurgiens, 87 % pour les ophtalmologues ou encore de 86 % pour les gynécologues, toujours selon l’IGAS. De même, au sein d’une même spécialité, les disparités sont également très élevées. Enfin, en établissement de santé, qu’ils soient publics et privés, les dépassements sont estimés à 1/6ème de la masse totale des honoraires perçus. Notons encore que l’Ile-de-France et la Région Rhône-Alpes concentrent plus de la moitié des dépassements d’honoraires dont les montants les plus élevés sont le fait des anesthésistes et des chirurgiens. Les cliniques privées font dans ce cadre valoir une rémunération moindre des actes de l’hospitalisation privée en MCO par rapport au public, avec des écarts tarifaires constatés pour une même intervention pouvant aller jusqu’à 30 % entre les deux secteurs clés de l’hospitalisation française. Des efforts de convergence tarifaires ont bel et bien été réalisés. Mais ils ne portent pour l’heure que sur 35 GHS (groupes homogènes de séjour) sur un total de 2700, souligne la Fédération de l’hospitalisation privée (FHP) qui réclame la mise en place de la convergence tarifaire, récemment reportée à 2018.
Secteur optionnel très attendu
Cette pratique des dépassements pourrait à l’avenir se maintenir, voire s’amplifier, alimentée par une démographie médicale en baisse drastique dans toutes les spécialités – ce qui confère aux médecins une position de force face aux malades -, mais aussi du fait des déficits croissants de la branche maladie (15 milliards cette année, 10 milliards en 2009) qui ne laissent que peu de possibilités aux partenaires conventionnels de procéder à une augmentation d’honoraires. Certes la création d’un secteur dit « optionnel », porté sur ses fonds baptismaux en octobre 2009, devait permettre d’ouvrir, dès 2010, aux spécialités des plateaux techniques lourds un nouvel espace de « liberté tarifaire », tout en limitant, selon les vœux de la ministre de la Santé, l’évolution de ces dépassements d’honoraires (2) « devenus un véritable problème pour certains citoyens », selon les termes de Roselyne Bachelot. Mais ici encore la montagne de promesses n’accoucha que d’une poignée de bonnes intentions et le secteur optionnel a été repoussé à des temps meilleurs, en 2011, au mieux, une fois que le règlement conventionnel minimal, présenté par Bertrand Fragonnard au printemps dernier, aura épuisé ses effets et que le président de l’UNCAM relancera les débats conventionnels. Ce report laisse ainsi une nouvelle fois entière la question des dépassements, qui, pour s’être envolés dans le secteur hospitalier privé, ont par ailleurs rendu le secteur public à nouveau compétitif, en termes tarifaires, dans certaines spécialités, dont la chirurgie. Reste que fin août la ministre de la Santé, Roselyne Bachelot a fait part de son intention d’inscrire « la lutte contre les inégalités sociales de santé » au centre de la prochaine loi de santé publique. Dans ce cadre, elle a notamment fait part d’une conviction, celle «de la nécessité d’encadrer les pratiques de dépassements d’honoraires », en s’appuyant sur le protocole d’accord signé le 15 octobre 2009 ouvrant la voie au dit « secteur optionnel ». Mais de la coupe aux lèvres, le chemin semble encore long…
Vers une charte sur les dépassements
Les prochains débats parlementaires autour du projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2011 (PLFSS) ne manqueront donc pas de faire remonter en octobre le sujet à la tribune de l’Assemblée nationale où les députés auront fort à faire pour trouver de nouveaux gisements d’économies pour combler le gouffre financier de l’assurance-maladie . Une chose est certaine : quelle que soient les mesures qui seront adoptées – ou pas – les assureurs complémentaires devront se saisir de la question et réfléchir à des solutions de régulation des dépassements. Ces dernières ne manquent pas : elles peuvent aller de la meilleure information sur les tarifs, à l’analyse de devis préalable, au système d’orientation sur Internet, en passant par la négociation d’accords tarifaires avec les syndicats de chirurgiens ou d’autres spécialités devenues « rares » dans les rangs des praticiens…
Certaines régions s’inquiètent du sujet et prennent les devants. Le Tarn s’est penché sur la question et a adopté pour sa part une «charte sur les dépassements d’honoraires», qui associe aussi la Mutualité sociale agricole (MSA), le Régime social des indépendants (RSI), l’UMT-Mutualité tarnaise et la Préfecture. Une première nationale qui pourrait avoir valeur d’exemple et être suivie d’effets.
Jean-Jacques Cristofari
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(1) « Les dépassements d’honoraires médicaux, rapport présenté par Pierre Aballea, Fabienne Bartoli, Laurence Eslous et Isabelle Yeni, membres de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS, Avril 2007) (2) Dans son schéma initial, le secteur optionnel impose aux médecins de pratiquer 30% des actes au tarif de la Sécurité sociale ; pour les 70% restant, les dépassements ne devront pas être supérieurs à 50% du tarif de la Sécurité sociale ; l’objectif fixé par l’accord est de couvrir « dans les 3 ans, 80 % de l’offre en anesthésie et 55 % pour la chirurgie »
Journaliste spécialisé en économie de la santé En savoir plus ...