Alors qu’aucun pays au monde n’échappe à la pandémie Covid-19, l’accès aux vaccins est loin d’être une réalité pour tous. Les risques de nouveaux variants venus des pays les moins développés imposent une nouvelle réflexion sur un accès universel aux vaccins. La question de la levée des brevets fait désormais pleinement débat. La récente réunion du sommet du G7 à Carbis Bay, au Royaume-Uni, le 13 juin 2021, ouvre à cet égard de nouvelles perspectives.
Les pays les plus développés, tels les Etats-Unis et le royaume-Uni ont désormais atteint des taux de couverture vaccinale de près de 50 % de leur population (1ère dose), en se dotant des moyens nécessaires pour y parvenir, notamment en finançant la recherche sur les vaccins anti-Covid-19. L’union Européenne, dont la France, vise le tiers de la population vaccinée d’ici l’été. Pour autant moins de 10 % de la population mondiale a reçu la première dose de vaccin, dont moins de 2 % en Afrique. Ainsi, les pays les mieux nantis du monde, qui représentent 1,16 milliard de personnes, ont commandé à l’avance 4,6 milliards de doses de vaccins à l’industrie pharmaceutique. Le fossé se creuse au fil des mois entre pays riches, pays en développement et pays les plus pauvres, ces derniers étant susceptibles de générer des variants (telle l’Inde) qui peuvent remettre en cause l’efficacité même des vaccins déjà mis sur le marché. « Un tel niveau d’inégalité vaccinale est un non-sens sanitaire car aucun pays ne sera à l’abri du virus et de ses différents variants tant que l’ensemble de la population mondiale ne sera pas vaccinée« , déclare l’organisation Oxfam, qui a souhaité démêler le vrai du faux dans le débat qui se poursuit autour de la levée des brevets sur les vaccins anti-COVID19.
Les USA ouvrent la voie
Le 5 mai 2021, le président américain Joe Biden s’est officiellement déclaré favorable à une levée des brevets des vaccins anti-Covid-19. L’Union Européenne s’est également montrée prête à en discuter. Emmanuel Macron a emboîté le pas, toujours en mai, en se déclarant, par deux fois, favorable à une « ouverture » de la propriété intellectuelle sur les vaccins. Le débat sur la question d’un vaccin comme « bien universel » remonte au mois d’octobre 2020, date à laquelle l’Inde et l’Afrique du Sud ont demandé une suspension temporaire des brevets pendant la pandémie, afin d’augmenter la production de vaccins et d’autres technologies de santé nécessaires pour lutter contre la Covid-19. 350 députés nationaux et eurodéputés ont déclaré leur soutien à la proposition. Le patron de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), Tedros Adhanom Ghebreyesus, a salué la décision de Washington. « Je félicite les États-Unis pour cette décision historique en faveur de l’équité vaccinale, donnant la priorité au bien-être de tous, partout, en cette période cruciale. Maintenant, avançons tous ensemble rapidement, solidairement, pour bâtir sur l’ingéniosité et l’engagement des scientifiques qui ont produit les vaccins Covid-19 qui sauvent des vies« , a-t-il fait savoir. Le 11 mars dernier, date à laquelle l’OMS marquait les un an de la déclaration de la pandémie, un collectif de scientifiques, de médecins, d’économistes, de syndicalistes et de responsables d’Organisations non Gouvernementales (ONG) ont uni leurs voix pour présenter « l’Appel de Paris » et exiger la levée des brevets sur les vaccins anti-COVID19 dans le but d’accroître de toute urgence la production mondiale.
Un monopole injustifiable
Cet appel stipule que « pour défendre le bien commun, il faut libérer la production des vaccins ». « Les vaccins sont là, nous savons les produire, mais ils ne sont toujours pas accessibles au plus grand nombre, ont fait savoir les membres du collectif 2021. Une plus large et plus rapide distribution de ces vaccins en France et dans le monde se trouve aujourd’hui empêchée. Les intérêts privés, les considérations marchandes et les tractations opaques instaurent une intolérable pénurie mondiale de vaccins. Cette privation est injuste pour les uns et dangereuse pour tous. » Aux entreprises du médicament, ils ont adressé un message fort : « Face au désastre mondial que nous traversons, rien ne saurait justifier votre monopole, votre défense acharnée des brevets, ni la spéculation financière sur notre santé. L’opportunisme avide devant ce fléau est une insulte à notre humanité. »A situation sanitaire exceptionnelle, mesure exceptionnelle. Une initiative citoyenne a, dans la foulée, été lancée au plan européen. Sous le mot d’ordre « Face au Covid-19 tout le monde mérite protection » un appel à signer une pétition a été mis en ligne, en exigeant la plus grande transparence sur les contrats conclus par les autorités avec les entreprises pharmaceutiques. « Les coûts de production, les financements publics, tout comme l’efficacité et la sécurité des vaccins et des médicaments doivent être publics », explique l’Initiative, qui précise encore : « La recherche et le développement de vaccins et de traitements a souvent été financé par des fonds publics, l’argent du contribuable. Ce qui a été payé par les citoyens doit appartenir aux citoyens ».
Les appels se multiplient
Au-delà, il a été demandé à la Commission européenne de proposer une législation pour « veiller à ce que les droits de propriété intellectuelle, brevets compris, n’entravent pas l’accessibilité ou la disponibilité de tout vaccin ou traitement futur contre la COVID-19 ». D’autres organisations, telle l’ONG Oxfam ou Médecins du Monde ont également engagé le pas en faveur d’une levée des brevets. « En laissant le contrôle des technologies sur les vaccins et autres technologies de santé aux détenteurs des brevets, les pays à revenus élevés confient la réponse à la crise Covid-19 à une poignée d’acteurs du secteur privé qui décident quand, où et à qui distribuer le vaccin » note le Pr. Philippe de Botton, président de Médecins du Monde. Une autre initiative, mise en place par l’OMS et dénommée l’initiative Covax [qui vise à garantir une distribution équitable des vaccins à travers le monde] a montré ses limites. Cette initiative doit permettre la distribution gratuite de 2 milliards de doses d’ici fin 2021, ciblant principalement les 92 pays les plus pauvres parmi les moins nantis. Faute de donateurs et de moyens financiers, le programme peine toutefois à atteindre ses objectifs : fin mai 2021, seulement 65 millions de doses avaient pu être administrées.
« Apartheid vaccinal »
« Il faut absolument lever tout blocage potentiel à la production massive de vaccins, c’est un tout, souligne Dre Joanne Liu, Professeure à l’École de santé des populations et de santé mondiale de l’Université McGill, au Canada, et copanéliste du panel indépendant pour la préparation et la réponse aux pandémies. En temps de pandémie, nous avons besoin d’une levée des brevets, d’un partage du savoir-faire et du transfert des technologies, d’un accès aux ingrédients, aux chaînes de production jusqu’à l’étape de la mise en flacons et de la distribution.« . Pascal Lamy, ex-patron de l’OMC parle « d’apartheid vaccinal » et dénonce l’accaparement des doses par les pays développés.Stratégie de vaccination contre le Sars-Cov-2. L’épidémiologiste suisse Didier Pittet, médecin-chef du service de prévention et contrôle de l’infection aux Hôpitaux universitaires de Genève, qui a récemment rendu son rapport sur la gestion de la crise sanitaire en France, dénonce de son côté les profondes inégalités d’accès aux vaccins contre le Covid-19 dans le monde, invitant à une levée des brevets, un transfert de technologie et une réforme de l’OMS. » Si on ne gagne pas tous ensemble, on va finir par ne pas gagner du tout « , a indiqué ce dernier pour qui la levée des brevets, essentielle dans le futur, devra nécessairement s’accompagner d’un transfert de technologie. Le laboratoire Teva, un des plus grands fabricants de génériques, a proposé aux multinationales de sous-traiter une partie de la production des vaccins. En vain, les laboratoires ont refusé. Le débat est pleinement ouvert. Les appels se sont multipliés depuis des mois. La pandémie est mondiale et pourrait rebondir à l’avenir si elle n’est pas traitée efficacement dans tous les pays. Les Etats et la communauté internationale devront choisir leur camp.
Le G7 vers un accès universel aux vaccins
« Pour sortir de la pandémie, les pays du G7 ont décidé de suivre une méthode claire : partager les doses de vaccins et ouvrir les accès à la production sur tous les continents », a fait savoir l’Elysée à la sortie du sommet du G7, le 13 juin dernier. Trois objectifs ont ainsi été fixés au regard des réponses à apporter à la pandémie :
➜ Vacciner au moins 60 % de la population mondiale d’ici l’année prochaine pour atteindre l’immunité collective.➜ Partager un milliard de doses de vaccins d’ici la fin de l’année, dont 60 millions de la part de la France qui double ainsi ses engagements.➜ Redoubler d’effort pour le climat avec un engagement de 100 milliards d’euros par an.
» Nous avons demandé à l’ensemble des industries pharmaceutiques de faire la transparence sur les prix des vaccins qui sont justement délivrés à ces mécanismes de solidarité, a souligné Emmanuel Macron à l’issue du sommet. Ce prix de référence transparent étant aussi celui qui pourra être utilisé par les pays récipiendaires dans leurs achats. » Sur la question des brevets, il a indiqué que les participants du sommet ont pris « collectivement l’objectif qu’en aucun cas, la propriété intellectuelle ne bloquerait les transferts de technologies qui permettent justement de produire dans l’ensemble des régions du globe. Et à ce titre, de manière très concrète, nous avons acté l’accélération du travail et l’Organisation mondiale du commerce et l’Organisation mondiale de la santé pour obtenir un accord sur la question des brevets et de la propriété intellectuelle qui ne doit pas être un obstacle à l’accès universel. C’est la traduction très concrète de l’engagement que nous avions pris il y a un peu plus d’un an de faire justement du vaccin un bien public mondial. »
J-J Cristofari
Un business florissant pour les big pharma
Les représentants de la branche pharmaceutique au plus haut niveau ont immédiatement réagi face à la pression mondiale en faveur de la levée des brevets. Pour la fédération européenne des associations d’industries pharmaceutiques (EFPIA), la propriété intellectuelle est le principal moteur de l’innovation. Elle doit être préservée, car « Les brevets sont l’incitation fondamentale à soutenir la recherche sur de nouveaux médicaments ». Elle fait valoir « qu’en raison de la protection de la propriété intellectuelle, nous avons plus de 300 traitements et plus de 200 vaccins actuellement à l’étude pour une utilisation contre le COVID-19 ». De son côté, le Leem – syndicat français des entreprises du médicament – argumente en faisant valoir que « la levée des brevets mettrait vraisemblablement en péril non seulement la disponibilité mais également la sécurité des vaccins administrés aux populations », en risquant d’ouvrir la porte à l’entrée de vaccins contrefaits. « Cette mesure rendrait donc en réalité encore plus difficile la lutte contre le coronavirus et ferait peser une grave menace sur la recherche sur les nouveaux variants et les pandémies futures. »Pour les laboratoires pharmaceutiques, les vaccins ont déjà rapporté un pactole : 26 milliards de dollars attendus pour Pfizer en 2021 – qui partage 3,5 milliards de dollars de profits avec l’allemand BioNTech – et 18 milliards de dollars pour Moderna. La course aux vaccins a déjà vu émerger neuf nouveaux milliardaires au classement de Forbes. AstraZeneca (avec des ventes estimées à 275 millions de dollars) et Johnson & Johnson (100 millions de dollars) s’en sortent moins bien. Ici comme il est de coutume sur le marché pharmaceutique, le premier entrant rafle la mise. Autant dire qu’il ne restera que des miettes pour notre champion Sanofi quand il sortira son vaccin, en 2022, s’il aboutit !
Journaliste spécialisé en économie de la santé En savoir plus ...