[singlepic id=145 w=320 h=240 float=left]Le rapport de la mission sur la refonte du système français de contrôle de l’efficacité et de la sécurité des médicaments vient d’être remis au chef de l’Etat et au ministre de la Santé par les Pr. Bernard Debré et Philippe Even (photo). Ces derniers chargent tout particulièrement l’Agence française de Sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) et la Haute Autorité de Santé (HAS), deux instances qui ont vu partir récemment leur président respectif. Mais les « experts », qui se sentent violemment mis en cause par un rapport qui fait suite à celui de l‘IGAS sur le Mediator et précède sur la même affaire les conclusions des auditions des deux chambres du Parlement, n’entendent pas se laisser faire et ripostent.
Commandé par le chef de l’Etat en ce début d’année alors que l’affaire du Mediator battait son plein sur la scène médiatique, le rapport rédigé par les Prs. Even, président de l’Institut Necker, et Debré, député UMP, a été déposé cette semaine, avec quelques jours d’avance, sur les bureaux de l’Elysée et du ministère de la Santé. Une quinzaine d’auditions de personnalités d’horizons divers auront donc suffit à nos deux rapporteurs pour dresser un réquisitoire sans complaisance ni nuances sur l’état des lieux de notre système de production, d’autorisation et de surveillance du médicament. Si Noël Renaudin, ancien président du Comité économique des produits de santé (CEPS) – remplacé depuis peu par Gilles Johanet – a pu être entendu, tel n’a pas été le cas de l’ancien patron de l’Afsapps – Jean Marimbert, prié de partir début février et remplacé depuis par le Pr. Dominique Maraninchi, président de l’Institut national du cancer depuis 2006 – et pas davantage celui de la HAS – le Pr. Laurent Degos, parvenu au terme de son mandat et remplacé par le Pr Jean-Luc Harousseau. A lire les propos peu flatteurs, pour ne pas dire offensants, adressé aux ex-présidents de ces deux institutions sur la gouvernance et le fonctionnement de ces dernières, on comprendra aisément leur absence de la table des auditions. Car déjà dans leurs propos liminaires, les rapporteurs ne mâchent pas leur mot. Ainsi l’Afssaps, qui mettra « sous surveillance renforcée » 77 médicaments voit-elle son attitude ramenée à une « inaptitude générale à gérer la sécurité sanitaire », « incapable de communiquer avec les personnels de santé et les patients » et plus grave encore se trouve accusée d’être « une agence sans pilotes expérimentés encore aujourd’hui à cent lieux de mesurer son échec ».
Décisions opaques et mal expliquées
Quant à la HAS, on y trouve, selon nos rapporteurs « tous les défauts des grandes administrations, aggravés par la difficulté des contacts et les rivalités internes entre des professionnels de culture très différente, médecins cliniciens, professionnels de Santé Publique, loin des réalités de la médecine de soins, et haute administration, inclinée par formation à croire qu’elle peut juger toutes les questions, fussent-elles, comme ici, les plus techniques, ce qui ne contribue pas à cimenter, coordonner et rendre efficace l’action des uns et des autres. » Fermez le banc ! Les Pr. Debré et Even ont si bien pratiqué cette dernière institution qu’ils en connaissent déjà tous les rouages, les ficelles, les combines et les subtilités : « Multiplicité et cloisonnement des commissions, diversité des objectifs, tantôt contradictoires, tantôt similaires et alors plus souvent source de rivalités que de communauté d’action, n’avaient guère de chance de répondre aux espoirs, aux attentes et aux enjeux d’une gestion plus sûre, plus efficace, plus économe du système de santé et c’est bien ce qui s’est passé. » Depuis sa mise en place, la HAS a régulièrement produit des rapports sur son activité annuelle, qui résument son développement et les actions de ses commissions. Aucun des professeurs ne leur trouvent de vertu, bien au contraire : la HAS resterait, comme l’a déjà souligné un pré-rapport de la Cour des Comptes d’octobre 2010, « d’une grande incapacité à définir des choix lisibles et à « prioriser » ses actions, et génératrice de « décisions opaques et mal expliquées, avec beaucoup de mal à se démarquer de l’AFSSAPS ».
Remplacer l’armée des ombres
Toujours dans la même HAS, la commission de la Transparence est celle qui « a de loin le mieux rempli au moins une part de ses missions ». Mais en son sein, « une majorité d’experts scientifiques n’a pas les qualifications nécessaires pour expertiser les dossiers présentés par l’industrie ». Du côté de l’Afssaps, le bilan, qui n’est guère meilleur, se résume en un mot : « mieux vaut peu d’experts indépendants, compétents, décisionnels et responsables, qu’une armée des ombres d’experts qui n’en sont pas et ne prennent de décisions que collectives, anonymes, peu motivées, mal diffusées et parfois sous influence ». Aussi les auteurs du rapport suggèrent-ils de remplacer « l’armée des ombres » par une petite équipe d’hommes (et de femmes) soudés, soit une quarantaine d’experts scientifiques « libres de tout conflits d’intérêt et de haut niveau ». Même leur rémunération est proposée par les rapporteurs qui n’ont pas de mots assez forts pour blâmer notre système de santé. Un système, résument-ils par des propos acides, qui « n’a finalement guère servi qu’à labelliser quelques violents poisons et laissé passer à peu près tout ce que l’industrie proposait, parfois même sans oser vraiment y croire elle-même et il a presque toujours été le dernier à retirer les médicaments dangereux. Il a ainsi poussé médecins et malades à la consommation, ruiné les finances publiques, exactement comme cela était déjà le cas dans les années 60-90, avant cette floraison d’agences qui, croyant tout changer, n’ont rien changé et coûtent cher en argent et en désillusions. » Et de conclure (provisoirement) : « Aujourd’hui, l’AFSSAPS et l’HAS emploient 1.350 personnes, mais l’efficacité du système de contrôle des médicaments n’en a pas été significativement améliorée »
Le rapport, au delà d’un tir de barrage bien nourri sur toutes les composantes de la chaîne de contrôle du médicament – l’industrie n’est pas davantage épargnée, avec ses nombreux « produits sans la moindre efficacité », non plus notre champion national Sanofi-aventis qui « n’a pas un seul grand produit en portefeuille » – propose des pistes pour réformer la gouvernance générale du médicament. Des pistes qu’il faudra encore passer au crible de leur pertinence, tant les excès dans nombre d’analyses – beaucoup plus polémiques que descriptives – diminuent la portée des démonstrations du rapport. « Autant que les hommes, ce sont ici les structures, dont il faut redéfinir les missions, et le mode de fonctionnement interne qu’il faut profondément remanier. Le succès sera impossible si l’on écarte pas les cadres supérieurs de la Direction Générale et de la Direction de l’Evaluation Médicale de l’AFSSAPS, parce qu’ils continuent d’entretenir l’illusion de l’excellence de leur agence et il ne sera pas non plus au rendez-vous si l’on conserve la lourde et lente machinerie administrative multicloisonnée, incapable de décisions claires, motivées et rapides, où les dossiers tournent indéfiniment en rond. » Nos Danton et Robespierre de la nouvelle gouvernance du médicament veulent des têtes. Il n’est pas sûr que les dites têtes acceptent d’être ainsi raccourcies !
Quant à tous ceux qui, de l’extérieur des institutions remises en cause par le rapport Even/Debré, oeuvrent à la surveillance et à la sécurité du médicament, il suffit de lire leur « lettre ouverte d’experts externes de l’Afssaps » (ci-après) pour mesurer l’impact des propos de nos rapporteurs sur leur environnement institutionnel.Ils nous disent leur désarroi face à tant d’attaques politiques sur le médicament et ceux qui ont en charge son destin. Ils nous rappellent également à leur manière que « tout ce qui est excessif est insignifiant » !
Jean-Jacques Cristofari
NB : Le rapport sur la refonte du système français de contrôle de l’efficacité et de la sécurité des médicaments
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La Colère des experts externes à l’Afssaps contre le rapport Even/Debré :
« Des acteurs militants de la santé publique »
Extraits :
« Les experts externes de l’AFSSAPS, habitués à la discrétion et à la réserve, se sont tus jusqu’à présent, subissant insultes et calomnies, tout en continuant à travailler, expliquent ces derniers.Ils ont décidé de se manifester pour éclairer l’opinion. Ces experts externes, nombreux, ont été désignés dans le cadre d’appels à candidature avec un jury de sélection en raison de leurs compétences particulières et de leur expérience dans le domaine de la santé. (…) Ces experts sont médecins, pharmaciens exerçant en milieu hospitalier, enseignants chercheurs, médecins libéraux et pharmaciens d’officine. Leur travail d’expertise demande un investissement important et ne leur apporte aucun avantage direct dans leur carrière.La motivation des experts repose sur la mise à disposition de leur expérience au service des patients, et dans leur détermination à faire valoir l’avancement des connaissances pour l’amélioration de la santé publique.(…) L’opinion publique ne doit pas ignorer notre désarroi ainsi que celui des évaluateurs internes de l’AFSSAPS. Nous sommes tous montrés du doigt en cette période de crise, où les informations largement diffusées sont parfois incomplètes. L’opinion publique ne doit pas ignorer non plus que les experts continuent cependant à travailler, la démission n’étant pas acceptable pour des acteurs militants de la santé publique. Nous sommes partisans d’une amélioration sereine des procédures de l’évaluation et des outils de la pharmacovigilance. Nous souhaitons également que l’esprit de pharmacovigilance évolue autant dans l’opinion publique qu’au sein du corps médical. Pour l’instant, dans les circonstances graves actuelles, nous demandons seulement que notre travail soit pris en considération et que l’on nous accorde la sérénité et la confiance indispensables à l’exercice de notre mission. »
(Marie-Claude Bongrand, Marie-Hélène Denninger, Jean Doucet et de nombreux autres experts externes)
Pour lire tout le texte des experts en colère.