Le premier ministre, Edouard Philippe a présenté le 21 novembre son « plan d’urgence », censé « renforcer » et « accélérer » une stratégie annoncée il y a un an avec « Ma Santé 2022 ». La dette des hôpitaux sera reprise à hauteur de 10 milliards d’euros et les personnels hospitaliers vont bénéficier de toute une série de primes.
« Nous sommes prêts à y consacrer des moyens considérables parce que nous croyons en l’hôpital public et dans le dévouement de ses personnels » a martelé le Premier ministre en avançant un financement supplémentaire de 1,5 milliard d’euros sur trois ans, la reprise par l’Etat d’un tiers de la dette hospitalière (30 milliards) et une série de nouvelles primes distribuées ici et là, notamment dans la Région parisienne, qui semble mériter un traitement à part dans la gestion de la crise. Pour 2020, 300 millions d’euros sont ajoutés à la trajectoire financière déjà arrêtées dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale. Suivront 500 millions en 2021, et 700 millions en 2022.
Alors que la discussion sur le projet de loi de financement de la Sécu pour 2020 bat son plein au Parlement, Edouard Philippe prend ainsi de court les parlementaires et annonce un Objectif National d’évolution des Dépenses d’Assurance- Maladie (ONDAM) à 2,45 % (contre 2,3 % tel qu’annoncé dans le PLFSS). L’Ondam hospitalier (l’enveloppe budgétaire des hôpitaux) passera ainsi, selon les calculs de la Fédération hospitalière de France (FHF), de 2,1 % à 2,5 %. L’annonce phare du plan gouvernemental, attendue, vise à reprendre sur trois ans et dès 2020, 10 milliards d’euros de la dette des hôpitaux publics, soit un tiers de la dette totale du secteur. Ce « programme massif et ultrarapide », sera mis en place au premier semestre 2020 dans le cadre d’une loi spécifique, en parallèle de la loi de programmation des finances publiques. Ce pour le volet financier le plus lourd du dossier Hôpital !
Trois objectifs
Trois objectifs ont été avancés par le gouvernement dans le cadre de ce « plan d’urgence » : – « redonner envie de s’engager à l’hôpital public et d’y construire une carrière » ; – « lutter contre la bureaucratie dans les hôpitaux » ; – « dégager des moyens supplémentaires, immédiatement et dans la durée« .
Distributions de primesPour ce qui concerne les « carrières », une prime annuelle de 800 euros nets (soit 66 euros par mois), qui sera attribuée de manière « pérenne » à quelque 40 000 infirmiers et aides-soignants vivant à Paris et sa proche banlieue et gagnant moins de 1 950 euros net par mois. Pour E. Philippe, il s’agit là de « reconnaître la situation spécifique de Paris et de la petite couronne », comme s’il n’y avait pas de situations spécifiques par ailleurs ?Le plan s’accompagne d’autres primes : une dite « d’engagement », réservée aux médecins qui acceptent en contrepartie d’exercer dans le service public hospitalier pendant un certain nombre d’années Elle sera étendue aux métiers de soignants « sous tension » : les infirmiers spécialisés et les manipulateurs radio, par exemple, pourront ainsi toucher 10 000 ou 15 000 euros selon les cas. Une autre prime, cette fois de 100 euros net mensuels sera accordée dès 2020 aux aides-soignantes « qui exercent auprès de personnes âgées et qui ont acquis une compétence spécifique en gériatrie » Les hôpitaux auront également à leur main une enveloppe de 200 millions d’euros « pour récompenser, selon des critères qu’ils auront eux-mêmes définis, l’engagement et l’investissement des personnels ». Cela se traduira en moyenne par une prime annuelle d’environ 300 euros, qui pourrait concerner jusqu’à 600 000 personnes. Enfin, la prime d’engagement des médecins à l’hôpital sera aussi étendue à davantage de jeunes praticiens et son montant sera revalorisé de 50 %, à 15 000 euros et 30 000 euros selon les cas. La prime d’exercice territorial, encourageant le travail des médecins dans plusieurs établissements, sera également augmentée et son nombre de bénéficiaires élargi.
Aller plus loin sur la gouvernance des hôpitaux
Du côté de la gouvernance des hôpitaux, le plan avance un renforcement de la « place du médecin dans la décision […] au niveau de la commission médicale d’établissement (CME) et au niveau du service », selon Agnès Buzyn, qui remet ainsi en cause les orientations de la loi HPST de 2009, qui sera amendée. La ministre a également souhaité que tous les types de postes de chef d’établissement soient ouverts aux médecins. Pour « aller plus loin », a ajouté Edouard Philippe, une mission sur la gouvernance et la simplification des hôpitaux devra remettre des propositions « pour la fin du 1er trimestre 2020 ». Un nouveau chantier s’ouvre et il est fort à parier qu’il ne débouchera que sur des promesses de réformes tant le navire est difficile à manoeuvrer. Ce « programme massif » devra être acté par une loi, qui sera présentée au premier semestre 2020 en même temps que la loi de programmation des finances publiques, a souligné Edouard Philippe.
FHF satisfaite, hospitaliers mécontents
Frédéric Valletoux, président de la la Fédération hospitalière de France (FHF), qui représente les 1200 établissements publics, s’est dit « plutôt satisfait de ce desserrement de l’étau et de la promesse sur quatre ans de ne plus baisser les tarifs d’actes ». « Notre appel pour des mesures d’urgence en faveur de l’hôpital et des hospitaliers a été entendu. Le gouvernement nous a écoutés et je souhaite saluer ces mesures qui permettent d’accompagner et aussi d’accélérer le plan Ma Santé2022 », ajoute le président de la FHF pour qui » les 700 millions d’€ devront permettre de financer entre autres d’importantes mesures d’attractivité que la FHF appelait de ses vœux « . Pour les organisations syndicales de praticiens hospitaliers, de jeunes médecins, pharmaciens et d’internes, le compte n’y est pas ! » L’ensemble des représentations syndicales tiennent à dénoncer la méthode qui consiste à faire des annonces sans concertation ni consultation des organisations syndicales. Du jamais vu, incorrect et antidémocratique « , souligne un communiqué commun à 8 syndicats oeuvrant à l’hôpital (1). » La Cour des comptes a estimé l’évolution naturelle des dépenses de santé à 4,4 %. L’augmentation de l’ONDAM hospitalier portée à 2,4 % pour 2020 n’apporte que 300 millions d’euros supplémentaires. La montagne a accouché d’une souris ! Les hôpitaux vont continuer à se serrer la ceinture. » Fermez le ban. Dans les rangs du syndicat National des Jeunes Médecins Généralistes (SNJMG), qui a participé à la journée du 14 novembre 2019 au nom des internes (+ FFI) et des jeunes hospitaliers de médecine générale, le son de cloche est le même : » Le SNJMG, qui a placé son implication dans le mouvement dans un cadre plus général d’amélioration du système de santé, déplore que le plan du gouvernement ne s’inscrive que dans une approche purement hospitalière, voire principalement parisienne« , note sa présidente, le Dr Sayaka Oguchi.
Ceux qui se sont mobilisés au sein d’un collectif Inter-Hôpitaux ont appelé, ce vendredi, à une nouvelle « manifestation nationale » le samedi 30 novembre. Les internes entendent même battre le fer quand il est chaud en projetant une grève nationale à compter du 10 décembre prochain.
Jean-Jacques Cristofari
(1) SNAM-HP, Jeunes Médecins, CMH, AJPH, INPH, AH, APH-CPH, ISNI
Journaliste spécialisé en économie de la santé En savoir plus ...