[singlepic id=437 w=240 h=180 float=left]Les candidats à l’élection présidentielle évitent soigneusement le thème de la santé dans leurs programmes et projets. Ils se contentent de quelques mesures populaires comme l’encadrement des dépassements d’honoraires et l’accès rapide à un médecin. Pourtant, notre système de santé est en pleine crise et pas seulement budgétaire : démographie médicale, nomenclature des actes médicaux, formation en santé, partage des tâches constituent des enjeux essentiels pour l’avenir. Les politiques occultent la santé au lieu de l’ausculter.
Le monde de la santé serait-il un territoire interdit aux politiques ? Dans la campagne pour l’élection présidentielle, l’absence ou la pauvreté des projets et des programmes santé des candidats est frappante. Alors qu’ils rivalisent d’idées pour augmenter les recettes fiscales et diminuer les dépenses de l’Etat pour en réduire le déficit, ils sont muets sur les 130 milliards d’euros de dettes sociales, dont une bonne moitié pour la seule branche maladie de la Sécurité sociale.
Le syndrome « dentifrice »
Alors que le modèle allemand est à la mode, le fait que les Caisses d’assurance-maladie d’Outre-Rhin ont enregistré 19 milliards d’euros d’excédents n’a rencontré aucun écho du coté des Q.G de campagne. Tout se passe comme si personne ne voulait prendre le risque d’affronter un secteur sensible. Confronté à une crise budgétaire, identitaire, organisationnelle, sociale et sociologique, l’hôpital est un chaudron prêt à exploser. Surbookés, accusés de forcer sur leurs honoraires, secoués par la loi HPST, les médecins ont les nerfs à vif. Pour les avoir affrontés dans le passé, les politiques ne veulent plus avoir à se coltiner les grèves et les défilés d’infirmières, d’internes, de médecins et autres blouses blanches. Ils redoutent le syndrome « dentifrice » : il est facile de faire sortir le dentifrice du tube, mais pour le faire rentrer…La preuve est la proposition de François Hollande de généraliser le tiers-payant. Un des proches du candidat confie que le seul intérêt de cette mesure est d’être « un marqueur de gauche»…
Ne pas se tromper de diagnostic
Les candidats ne s’intéressent qu’aux aspects les plus médiatiquement porteurs que sont l’égal accès aux soins – remis en cause par les dépassements d’honoraires – et la supposée pénurie de médecins et leur mauvaise répartition sur le territoire. Sur le premier point, ils s’engagent tous à encadrer les dépassements des médecins du secteur II, mais sans préciser comment, ni cibler les dépassements – les plus importants – des médecins hospitaliers publics ayant un secteur privé. Sur le deuxième point, ils pensent résoudre le problème en augmentant le numerus clausus, c’est-à-dire le nombre de médecins en formation et en créant des maisons ou pôles de santé pluridisciplinaires. Ces structures qui regroupent sous un même toit médecins – généralistes et spécialistes – infirmières, kinésithérapeutes et autres paramédicaux sont le dernier concept à la mode. Consacrés par la loi HPST, les pôles s’imposent dans le PSF, le paysage sanitaire français. Xavier Bertrand, le ministre de la santé claironne que 250 ont été créés, que 450 sont en projet avancé et que 1000 sont dans les tuyaux. Les Agences régionales de santé (ARS) se jettent sur le concept et en font l’alpha et l’oméga de leurs futurs schémas régionaux d’organisation sanitaire ambulatoires. Tous les élus locaux de France et de Navarre aiguisent leurs ciseaux dans la perspective de tous ces rubans bleu-blanc-rouge à couper les jours d’inauguration, ce qui est toujours du meilleur effet au journal régional de F3 ! La démographie médicale est un réel sujet mais il ne faut pas se tromper sur le diagnostic. Le problème n’est pas une pénurie de médecins, mais une mauvaise répartition territoriale. Avec 210 000 praticiens, il n’y a jamais eu autant de médecins dans ce pays. Mais la densité médicale varie de 239 médecins pour 100 000 habitants en Picardie à 370 en Provence-Alpes-Côte-d’Azur et grimpe même à 463 en Ile-de-France. Et, à l’intérieur des régions, les disparités varient considérablement, du simple au double, par exemple entre la Seine-Saint-Denis – le fameux 9-3 – et Paris. A quelques encablures de la Tour Eiffel, on manque de médecins !… Les déserts médicaux ne se trouvent pas seulement à la campagne ! L’augmentation du numerus clausus – actuellement fixé à 8 000 – n’est pas une bonne réponse, même si elle a été nécessaire ces dernières années. Quel est l’intérêt d’augmenter le nombre d’étudiants en médecine si les futurs médecins continuent à s’agglutiner dans les centres-villes surmédicalisés plutôt que de s’installer dans les zones périurbaines ou rurales ?
[singlepic id=438 w=240 h=180 float=left]Un nouveau contrat pour les médecins
Quand aux pôles de santé pluridisciplinaires qui poussent comme des champignons, ils risquent fort de se transformer en éléphants blancs ou en abattoirs de la Villette. Il faut arrêter cette folie bétonnière avant qu’il ne soit trop tard ! Pour obtenir un rééquilibrage de l’offre ambulatoire de soins, il faut réfléchir à une autre approche passant par la mise en place de mesures relativement coercitives comme un Contrat d’exercice d’intérêt public (CEIP) selon lequel au terme de leurs études, les nouveaux médecins devront s’engager à exercer, pendant 5 ans, soit dans une structure médicale prédéterminée soit dans plusieurs sites en optant pour un statut de salarié, de vacataire, ou d’honoraires en capitation. Mais le véritable enjeu est le temps médical disponible. Une récente enquête a établi qu’en moyenne les généralistes travaillent 57 heures par semaine (avec une pointe pour certains de 71 h), réalisent 5 100 actes par an, soit 25 actes par jour au rythme de 4,5 jours de consultation par semaine et s’octroient 5,3 semaines de vacances par an. Et pourtant, malgré ce surbooking, ils n’arrivent pas à répondre à la demande de leur patientèle. Résultat : tout le monde est mécontent, y compris l’assurance-maladie qui trouve leur nombre d’actes excessifs, alors qu’elle leur demande de plus en plus de prise en charge au titre de leur rôle de médecin traitant.
Faire du volume pour faire du chiffre[singlepic id=436 w=160 h=120 float=right] Une des raisons de cette situation souvent mise en avant est la lourdeur des tâches administratives. Peut-être, mais la vraie raison est l’inadaptation du système de soins et du statut économique du médecin. Tout le problème tourne autour du paiement à l’acte, non pas dans son principe – encore que d’autres formes de rémunérations sont possibles – mais dans ses modalités. C’est un tabou mais tout le monde sait que les actes médicaux sont à des niveaux ridiculement bas. Ainsi, la consultation est à 23 euros. Un tarif unique qui rémunère un examen clinique complet autant qu’un simple renouvellement d’ordonnance. A ce tarif là, les médecins sont tentés de faire du volume pour faire du chiffre en provoquant « des revoyures » de patients sous prétexte de contrôle d’évolution de l’état de santé, de pratiquer des vaccinations ou de signer à tour de bras des certificats d’aptitude à une pratique sportive. Bref, selon le mot d’un responsable syndical : « ils font des passes » !
Hiérarchiser et valoriser les actes cliniques
Le dégagement de temps médical se trouve là, dans une remise en cause de ces pratiques par deux moyens. Le premier est la création d’une nomenclature des actes cliniques. L’objectif est de définir plusieurs niveaux de consultation en fonction de leur contenu et leur valeur ajoutée médicale. Depuis une dizaine d’années, un projet de cette nature est sur la table. Le principe en est même inscrit dans la Convention médicale. Mais sa réalisation se heurte à plusieurs obstacles. Les syndicats de médecins souhaitent que cette hiérarchisation s’accompagne d’un investissement de la part des caisses. En clair, ils demandent que l’enveloppe de la médecine clinique soit largement abondée. De leur coté, les caisses maladie sont réticentes non seulement en raison de la situation budgétaire de l’assurance-maladie mais en plus de l’opacité du système. Définir 3 ou 4 niveaux de consultation en fonction d’un contenu et d’une durée et de définir des valeurs correspondantes n’est pas compliqué, mais il leur est impossible de faire des projections en volume et donc de connaitre les implications financières. Pourquoi ? Pour la simple raison que personne ne sait, dans l’activité d’un médecin clinicien, la part de consultations de niveau haut, moyen et routinier. En refusant – au nom de leur indépendance – il y a quelques années, le codage des actes cliniques qui aurait permis de connaitre la réalité de leur activité et justement le partage entre consultations de haute et de basse valeur ajoutée, les médecins se sont tirés une balle dans le pied. Sans cette connaissance et cette transparence, il est impossible d’avancer sur la voie d’une hiérarchisation des actes cliniques et d’une valorisante pertinente.
[singlepic id=439 w=240 h=180 float=left]La voie de la délégation des tâches L’absence de cet outil médico-économique a pour conséquence que la détermination de la valeur des actes médicaux est confondante. Dans les négociations entre syndicats de médecins et caisses d’assurance-maladie, cela se passe généralement au bout de la nuit, vers 3 ou 4 heures du matin, lorsque que les acteurs sont fatigués. Entre les revendications des syndicats et le refus du directeur de l’UNCAM, l’œil rivé sur ses comptes, cela se termine par un compromis à l’issue d’une discussion de marchands de tapis. C’est un vrai gâchis, parce qu’une hiérarchisation des actes cliniques pousserait les médecins à s’investir dans leur cœur de métier – la réflexion clinique et la stratégie thérapeutique – et ouvrirait la voie à l’autre piste permettant de dégager du temps médical : la délégation de tâches. Est-il normal qu’après 10 ans d’études, un médecin généraliste pratique des vaccinations anti-grippales ou renouvelle sans examen des ordonnances ? Est-il normal qu’un ophtalmologiste consacre l’essentiel de son temps à des examens de vue en l’absence de pathologie, alors que les maladies oculaires se multiplient avec le vieillissement de la population ? Ce sont deux exemples de taches pouvant être déléguées à d’autres professionnels de santé. Ces délégations généralisées permettraient de libérer du temps médical, propre à résoudre une partie du problème de l’offre de soins. Pour aboutir à ce résultat, il faut deux conditions. D’une part, que des protocoles précis encadrent ces délégations de taches. D’autre part que les professionnels de santé soient correctement formés. La Haute autorité de santé travaille à ces protocoles.
Des chantiers clés occultés Mais il faut aller plus loin et intégrer cette notion de délégation de tâches dès la formation initiale en constituant un socle commun de connaissances à l’ensemble des professionnels de santé (médecin, pharmacien, infirmier, para-médicaux). Cela devrait se faire avec la création d’un vrai LMD entre toutes les filières santé au cours des 3 premières années, avec intégration des écoles d’infirmières. A l’issue de ces trois années, des étudiants sortiraient avec une licence, tandis que les autres s’engageraient sur la voie du master et du doctorat. Il est évident que ces connaissances communes faciliteraient, par la suite, le transfert de taches. En 2010, la première année d’études de médecine – qui se conclue par le couperet du numérus clausus sur lequel se fracassent 85 % des étudiants – a été remplacée par la PACES (Première année commune des études en santé). Cette année commune avait pour but de créer un socle commun de connaissances permettant aux étudiants ne franchissant pas le cap du numerus clausus de s’orienter vers les autres métiers de la santé. En fait, elle s’est transformée en sélection par l’échec. Ceux qui ne peuvent pas intégrer le cursus médical, à l’issue de cette épreuve de bachotage qu’est le numérus clausus, choisissent à regret les autres filières quand ils ne tentent pas leur chance une nouvelle fois ou n’abandonnent pas l’orientation médicale. On est loin du socle commun de connaissances et de l’objectif d’un vrai premier cycle d’études en santé. Un chantier à reprendre. Démographie médicale, hiérarchisation des actes, délégation de tâches, formation médicale : ce sont quelques uns des chantiers clés pour le système de santé, mais sans doute trop pointus pour une campagne électorale dans laquelle les candidats ont occulté la santé, plutôt que de l’ausculter.
Philippe Rollandin