Alors que le monde officinal peine à se trouver un nouveau modèle économique pour faire face à une récession qui mine ses activités depuis 2012, l’Ordre des Pharmaciens confirme que la tendance est à la désaffection pour leur métier dans les rangs des jeunes en formation.
L’officine ne fait plus recette ! C’est ce que vient d’expliquer le Conseil National de l’Ordre des Pharmaciens à l’issue de la présentation de son bilan annuel sur la démographie dans le secteur officinal. « En 2015, on compte 2 324 nouveaux inscrits au tableau de l’Ordre, indique le CNOP. Le nombre de pharmaciens de moins de moins de 38 ans (20 328 en 2015, contre 18 317 en 2005) est en hausse de 11 % par rapport à 2005. Le renouvellement est donc en marche ». Reste que l’officine de ville ou de campagne n’attire plus : « De nombreux diplômés ne s’inscrivent pas à l’Ordre : en 2015, ils ne sont que 766 à le faire, soit un taux jamais atteint de 32,8 % ». « On ne peut pas reprocher aux jeunes de se détourner d’une filière quand ils ne savent pas où va leur avenir », fait savoir la président du CNOP, Isabelle Adenot.
Pertes de revenus
Car l’avenir des officinaux se trouve pour l’heure dans un épais brouillard qui les prive de perspectives (1). Avec un chiffre d’affaires qui stagne, pour les produits remboursés (85 % des ventes) sous la barre des 0 % de croissance depuis 2012 et une rémunération réglementée du réseau officinal en baisse de 147 millions d’euros en 2015 (soit – 2,67 % par rapport à 2014), les officines enregistrent l’an passé une perte de 6700 euros en moyenne par enseigne. A ce bilan s’ajoute l’impact négatif de la réforme engagée en janvier 2015 autour de la nouvelle convention des pharmaciens. « Les pharmaciens ont perdu plus de 400 000 euros de marge (PFHT) en 4 ans et la nouvelle rémunération n’a rien apporté à l’officine », note l’Union Nationale Des Pharmacies De France (UNPF), qui a mené une étude sur l’évolution économique des officines sur les quatre dernières années (2012-2015). Pour le syndicat, les mesures d’économies des lois de financement de la Sécu ciblées sur le médicament ont impacté l’officine à hauteur de 10 milliards d’euros en 10 ans. « Le PLFSS 2016 prévoit encore environ 700 millions d’euros pour l’année 2016. Cela ne semble pas suffisant, puisque le CEPS a déjà annoncé de nouvelles baisses de prix – notamment des génériques – à partir du 1er juin 2016, en plus des économies liées au PLFSS ».
Fin mars, le chiffre d’affaire des officines enregistre sur un an une nouvelle baisse de ses ventes de – 0,7 % en valeur, à 20 milliards d’euros, et une chute de – 2,2 % en nombre d’unités vendues, note le GERS dans la lettre mensuelle (2). Le marché des produits remboursables (voir graphique ci-dessous) poursuit sur un an sa descente aux enfers (- 1 %), malgré un rebond enregistré sur le seul mois de mars (+ 2,1 %). A l’inverse, la hausse des ventes de produits non remboursés (+,2,3 % sur un an) subit un sérieux coup d’arrêt en mars dernier (-13,9 %) et marque ainsi le pas par rapport à une tendance haussière enregistrée en 2015. « Cette décroissance est liée à la fin de l’effet périmètre du déremboursement des anti-arthrosiques en mars 2015 », commente Philippe Tcheng, président du GIE GERS.
Vieillissement de la profession
Pour l’heure, le réseau officinal tient encore, explique l’Ordre, grâce à la présence des plus anciens : 2 347 pharmaciens ont 66 ans et plus, un chiffre qui a plus que doublé en 10 ans. Ces « plus de 60 ans » représentent 11,5 % de l’effectif total des pharmaciens, en hausse de 4,7 % en 2015. « Dans les 10 ans à venir, 20 980 pharmaciens de 56 et plus devraient partir à la retraite », ajoute le CNOP. Des départs qui pourraient faire l’affaire de l’Assurance-maladie, en quête d’économies sur le médicament. Aujourd’hui, une pharmacie ferme tous les 2 jours en France et ce mouvement général devrait faciliter les regroupements dans les zones sur-dotées en officines.
En 2015, précise encore le bilan de l’Ordre, près d’un tiers des officines a un lien avec une ou plusieurs autres pharmacies, par prises de participation des titulaires, des sociétés d’exercice libéral (SEL) et les holdings (SPFPL). Cette concentration des officines s’accompagne d’une légère diminution du nombre de pharmaciens titulaires. Ils sont désormais 27 827 en métropole et outre-mer. Au total, si le maillage officinal résiste encore bien dans l’ensemble de l’Hexagone, les pharmaciens devraient voir leur rang s’amincir progressivement. Un ancien président de l’Ordre des Pharmaciens, Jean Parrot, pronostiquait avant son départ en 2009, que 5000 officines disparaitraient des rangs du réseau. Le mouvement semble désormais bien engagé pour y parvenir.
Jean-Jacques Cristofari
(1) Cf. « L’Officine en quête d’un nouveau modèle économique », Guide Marketing Communication Santé, mai 2015
(2) « Le marché pharmaceutique France, points clés », mars 2016
Journaliste spécialisé en économie de la santé En savoir plus ...