En 2016, les ventes de médicaments ont connu en France une nouvelle décroissance, qui a fortement impacté les résultats des pharmaciens d’officine. L’emploi de la branche reste en berne et les plans dit de « sauvegarde de l’emploi » se sont succédés avec leur lot de suppressions d’emplois. Le secteur de la visite médicale, qui a perdu 11 500 postes entre 2004 et 2015, est plus que jamais mis sous pression et les visiteurs médicaux s’inquiètent pour leur avenir. L’Observatoire national de l’information promotionnelle (ONIP), installé en 2015, devrait prochainement préciser les évolutions observées par les médecins sur la qualité de la visite médicale des laboratoires pharmaceutiques.
Le secteur du médicament a connu 13 plans sociaux en 2016, touchant 1700 postes dans les rangs des laboratoires pharmaceutiques opérant en France (contre 20 en 2015 sur 1 600 emplois), a souligné Patrick Errard, président du LEEM, fin janvier lors de ses voeux à la presse. « On ne peut pas rester indifférent à cela », a ajouté ce dernier, jugeant que « la seule façon d’apporter une réponse crédible à cette évolution est de créer de la valeur à partir d’un effet de transformation ». Cette transformation, les représentants des industriels français du médicament la situent volontiers du côté de la bioproduction, parée de toutes les vertus – une cartographie des capacités françaises va être mise en place – sous couvert d’une « french touch » qui devrait lui conférer une attractivité nouvelle, pour peu que les autorités de santé lèvent un peu le pied sur le sort fait à la pharma en France et « modernisent la fiscalité du secteur ».
Cette suppression de postes est à rapporter au 98 690 personnes recensées fin 2015 dans l’industrie française du médicament, contre 108 668 en 2007. 2016 se présente toutefois sur une note plus optimiste, si l’on s’en réfère à l’enquête emploi annuelle réalisée par le LEEM et rendue publique au mois de février. » Les premières estimations pour 2016 tendent à confirmer une légère reprise de l’emploi dans le secteur pharmaceutique et tablent sur une croissance des effectifs de l’ordre de 0,2 %, une première depuis 2007″, note l’organisation patronale. Reste que la situation de l’emploi est marquée par des situations contrastées. Ainsi, si la production demeure la famille de métiers la plus importante avec 44 % des effectifs (43 666 personnes), en augmentation de 2,3 % par rapport à 2014, les effectifs de commercialisation-diffusion (24 682 personnes, soit 25 % de l’emploi total) enregistrent la plus forte baisse (- 4,2 %). La visite médicale a ainsi subi une forte érosion de ses effectifs. « Initiée en 2004, la vaste réforme des métiers de la visite médicale a ainsi conduit à la suppression de 11 500 emplois entre 2004 et 2015 « , précise à cet égard le LEEM. Michel Ginestet, président de la Commission des Affaires sociales du Leem, ajoute que « dans un environnement économique marqué par des mécanismes de régulation particulièrement contraignants, il est de plus en plus difficile pour nos entreprises de poursuivre la nécessaire transition de leur modèle économique, scientifique et industriel, tout en préservant leurs effectifs ».
Mutations dans l’innovation thérapeutique
Mais si le secteur pharmaceutique de la France a perdu au fil des années de son attractivité, la cause n’est pas à rechercher uniquement du côté du traitement administratif ou politique réservé à la branche, à la régulation du médicament par les autorités de santé (dont le CEPS), promptes à y trouver un gisement d’économies pour la Sécu, ou encore du côté de la fiscalité. La chute des activités, tant du côté de la production de médicaments, pour laquelle l’Hexagone se situait il y a à peine une décennie au premier rang européen, que de la commercialisation et donc des ventes, est pour l’essentiel due au nouveau modèle économique qui s’est imposé à la branche dans son ensemble. L’ère des blockbusters, ces médicaments de grande consommation, au chiffre d’affaires supérieur au milliard d’euros, est désormais loin dernière nous. La prime va désormais à des spécialités très ciblées, mises sur le marché en moindre nombre, sur des domaines thérapeutiques précis (oncologie, maladies auto-immunes, sida, hépatites etc.) et bénéficiant de prix souvent très élevés (Cf. notre précédent article). En 2020, explique IMS (1), 28 % des dépenses totales en médicament dans le monde (1,4 milliard de dollars) relèveront de produits de spécialités. Leur part sera même de 36 % dans nos pays développés. L’oncologie bénéficiera ainsi de 27 % du nombre total de médicaments en développement en 2016, suivie des maladies du système nerveux central (12 %), des anti-infectieux et antiviraux (8 %) et des maladies cardiovasculaires (6 %). « De nombreux médicaments qui transformeront le traitement de la maladie jusqu’en 2021 utiliseront de nouveaux mécanismes d’action pour s’attaquer aux processus pathologiques sous-jacents », ajoute l’Institut IMS dans son rapport pour 2016 (2). Cette mutation dans l’innovation thérapeutique, associée à la générication croissante des médicaments princeps, qui formaient hier l’essentiel du chiffre d’affaires des laboratoire, n’aura pas été sans effet sur le marketing des laboratoires pharmaceutiques qui, désormais, n’ont plus besoin de mettre sur les rangs des bataillons de visiteurs médicaux. Ainsi de 24 000 personnes en 2004, les effectifs de VM sont passés à 18 000 en 2011. En 11 ans, leurs rangs se sont éclaircis de 11 500 personnes. Le mouvement de baisse enregistré en France se retrouve par ailleurs. Ainsi aux Etats-Unis, de 102,000 personnes en 2005, leur nombre est tombé en 2014 à quelque 63,000, selon l’AffinityMonitor report, de la société ZS Associates, soit une diminution de 38 %. « Le principal facteur dans la réduction du nombre de VM aux USA provient d’une baisse des produits dans les pipelines des sociétés », confirme dans ce registre Pratap Khedkar, associé chez ZS. Car moins de produits commercialisés signifie aussi moins de visiteurs médicaux pour le faire.
Changements dans la promotion du médicament
L’évolution des investissements promotionnels réalisés par les laboratoires pharmaceutiques opérant en France ce dernières années illustre cette tendance de fond. Si en 2012, les labos dépensaient en France 2,891 milliards d’euros pour promouvoir leurs spécialités, cette somme tombe à 2,755 milliards en 2016, soit 136 millions d’euros de moins. La baisse n’est pas importante en soi. Mais elle affecte tout particulièrement le poste « visite médicale, qui de 51,1 % des dépenses totales voit sa part s’effondrer à 38,3 %. Ainsi les sommes consacrés à la VM sont passés en 5 années de 1,477 milliard d’euros à 1,055 milliard (-28,5 %), traduction directe de la baisse précitée des effectifs de délégués médicaux. Dans le même temps le mix marketing des laboratoires s’est modifié, en particulier dans le DTC (direct to consumer), qui a vu sa part dans les dépenses totales consacrées à la promotion passer de 24 % à 34,9 %. Le marketing des industriels du médicament a ainsi fortement réduit les dépenses consacrées aux VM (-11,6 % en 2016 par rapport à 2015), ainsi que celles dédiées aux relations publiques ( -10, 3 % sur la même période), ou encore à la presse, notamment professionnelle ( -3,9 %). Des baisses de voilure (cf. graphique ci dessous) qui, au total, font suite au faible nombre de médicaments nouveaux présentés sur le marché, souvent de prescription initiale hospitalière.
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Une charte de l’information promotionnelle
En parallèle à ces changements, le cadre réglementaire de la visite médicale a lui aussi fortement évolué. Depuis 2015, les industriels du médicament sont tenus de se conformer aux règles de la nouvelle charte de l’information promotionnelle, signée le 15 octobre 2014 par le CEPS et le LEEM et par laquelle ils s’engagent à « renforcer la qualité de l’information visant à la promotion sur les médicaments pour en assurer le bon usage auprès des acteurs de santé ». Cette nouvelle charte, qui succède à celle relative à la visite médicale de 2004, doit permettre en particulier d’éviter le mésusage du médicament, de ne pas occasionner des dépenses inutiles et de participer à l’information des professionnels de santé. Elle s’applique cette fois à l’ensemble des métiers relevant de « l’information par démarchage ou prospection visant à la promotion des médicaments ». Ce n’est donc plus seulement le métier de visiteur ou de délégué médical qui est visé, mais bien une activité : la « promotion du médicament » en direction de professionnels qui prescrivent (les médecins), dispensent (les pharmaciens) ou utilisent des médicaments (les patients), ce quel qu’en soit le support. Son entrée en application a donné lieu à la création d’un « Observatoire national de l’information promotionnelle » (ONIP), destiné à mesurer la qualité des pratiques de promotion des laboratoires à partir de « critères objectifs, vérifiables et transparents » (article IV §4 de la Charte). Les laboratoires concernés par la charte ont été tenus de diligenter une enquête auprès des professionnels de santé, afin de « mesurer la qualité de leur pratiques promotionnelles sur le médicament le plus promu ». Chaque entreprise a ainsi diligenté, par l’intermédiaire ou non d’un prestataire, un questionnaire informatique auprès des professionnels de santé. Un « tiers de confiance » a été « choisi conjointement par le CEPS et le LEEM après une procédure de mise en concurrence », avec pour mission de traiter et d’analyser les données de l’enquête menée par ou pour chaque entreprise concernée. « La charte assigne ainsi au Tiers de Confiance un rôle d’alerte sur les résultats de l’ONIP qui témoignent d’un écart significatif de pratique », souligne dans le registre le CEPS. Ce tiers de confiance, la société Bon Usage Conseil (BUC), choisi à l’issue d’un appel d’offre, a également eu en charge l’élaboration d’un rapport annuel, qui devait être diffusé à un « comité de suivi de l’observatoire national de l’information promotionnelle ». Il a également pour tache « d’alerter les signataires de la Charte sur des pratiques de qualité ne répondant pas aux exigences de la présente Charte ». »Le CEPS pourra, sur cette base, sanctionner les entreprises dont les pratiques ne seraient pas conformes aux principes de la charte », note à cet égard le LEEM. Cet Observatoire ne se substituera pas pour autant au contrôle et à l’audit de certification déjà exercés par la Haute autorité de santé. Il le complètera. Une autre société, IMS Health France – devenue depuis Quintiles IMS – a été chargée, à la demande du Comité Economique des Produits de Santé (CEPS), de récupérer la collecte des données d’enquête provenant de chaque entreprise ou de son prestataire et de les transmettre au tiers de confiance.
Des garanties sur la méthode d’enquête
L’organisation de cet observatoire n’a pas été sans prêter le flan à la critique (3). Son comité, chargé de se réunir une fois par an pour examiner le rapport annuel établi par le tiers de confiance, devait produire son propre rapport annuel « dont il assure la publicité », comme le souligne le texte de la Charte. Si le comité s’est réuni en 2016 pour publier un premier rapport, qui a évalué 75 produits, selon un échantillon choisi par le CEPS, avec 54 laboratoires concernés par la démarche, sa publicité n’aura pas réellement été faite. Un premier examen des retours d’information fournis par les professionnels de santé interrogés a bien été établi, mais les résultats ont prêté à discussion, en particulier sur la méthodologie retenue par le tiers de confiance. « Les questions posées par l’ONIP ne sont pas rédigées pour être compréhensibles par rapport à la culture des médecins », note ainsi Marie-Christine Belleville, pharmacienne, membre de l’Académie de Pharmacie et associée au cabinet PharmExperts, lors de la matinale de l’Association pour la qualité de l’information médicale (AQIM) du 7 avril 2016. Pour cette dernière, les questions posées aux médecins dans le cadre de cette enquête sont trop éloignées de la pratique du médecin et leur formulation n’est pas en adéquation ni avec cette dernière ni avec son degré de connaissances des subtilités réglementaires qu’il méconnait le plus souvent. Pour Bruno Laiguillon, responsable des études au sein de l’AQIM, « le questionnaire diffusé aux médecins n’a pas été construit et implémenté par des personnes habituées à faire ce type d’étude et qui, plus est, à faire des études sur la qualité. » (4) Ce dernier estime même que la méthodologie employée par le tiers de confiance soulève des » subtilités de calcul qui sont très discutables. » Les résultats calculés sont jugés « pas satisfaisants » du fait que les choix méthodologiques, qui comportent des « biais importants », restent « opaques » pour certains acteurs. Les analyses sont donc « tronquées » et conduisent à des « conclusions erronées » souligne encore le responsable de l’AQIM. La Haute-Autorité de Santé est pourtant claire sur ces questions. Elle souligne précisément l’intérêt de disposer d’éléments publics sur la qualité de l’information promotionnelle : « L’observatoire créé par les signataires et la publication d’un rapport annuel par le comité de suivi paritaire de la charte vont dans ce sens. Pour atteindre leurs objectifs, ces outils devront présenter des garanties sur la méthode d’enquête et d’analyse retenues. » En 2016, ces garanties étaient loin de faire consensus.
Du côté du CEPS, son vice-président en charge des médicament, le Dr Jean-Patrick Sales, minimise les critiques faites par les spécialistes du sujet sur la première enquête de l’ONIP : » Cette première occurrence de l’enquête, quasiment expérimentale, puisque c’est la première fois qu’une telle interrogation spécifique et systématisée était conduite auprès de professionnels de santé, a permis de faire évoluer le questionnaire et la méthodologie de traitement et de présentation des résultats. » Les résultats de la seconde enquête 2016-2017, qui doivent paraître prochainement, devraient permettre de dire si cette évolution s’est faite et si elle a permis de produire des résultats pertinents.
Les salariés parties prenantes
Dans cette attente, les entreprises du médicament signataire de la nouvelle charte doivent encore se conformer au nouveau référentiel de certification, pour laquelle une procédure, qui décrit les exigences en matière de promotion des médicaments, été adoptée en mars 2016 en vue d’une première mise à jour du référentiel en 2017. « Le référentiel requiert des entreprises un certain nombre de mesures pour que l’information médicale qui se veut non promotionnelle ne revête effectivement aucun caractère publicitaire », précise la Haute Autorité de Santé (5). Cette certification se veut être une certification du système de management de la qualité de l’entreprise, ajoute cette dernière. « Elle traite donc des moyens mis en oeuvre par les laboratoires pour respecter les critères qualité. » Divers organismes certificateurs accrédités par le COFRAC ont pour tache de certifier les laboratoires sur la base du référentiel. Ainsi, parmi les nouvelles obligations introduites par la Charte de 2015 figure celle de présenter lors des contacts d’information promotionnelle avec les médecins des fiches de bon usage du médicament de la HAS, qui pourront leur être remises. De plus la HAS souhaite que les salariés des entreprises du médicament soient parties prenantes du processus d’évaluation de la qualité. Ainsi, la HAS indique-t-elle son souhait « que les entreprises donnent la possibilité à leurs collaborateurs d’effectuer un signalement sur les pratiques d’information promotionnelle, en dehors de la voie hiérarchique et leur garantissant la confidentialité ». L’affaire du Mediator et plus récemment celle de la Dépakine, pour laquelle l’IGAS a récemment dénoncé « un manque de réactivité des autorités sanitaires et de celui du principal titulaire de l’autorisation de mise sur le marché », le groupe Sanofi-Aventis, n’y sont sans doute pas étrangères. Pour parvenir à effectuer un signalement en interne, la HAS suggère d’introduire lors de la mise à jour du référentiel une déclaration simplifiée pour les pratiques d’information promotionnelle.
Enfin, les « récepteurs » de l’information promotionnelle des laboratoires – professionnels et établissements de santé – se verront remis à l’avenir des outils pour, souligne la HAS, « illustrer ce qu’ils sont en droit d’attendre de l’information promotionnelle et inversement ce qu’elle ne doit pas contenir, l’impact de la promotion sur leurs prescriptions et les engager à organiser leur réception de l’information promotionnelle et à choisir leurs sources d’informations sur les produits de santé. » Très critiquée hier pour avoir manqué à ses devoirs d’information et parfois avoir été le bras armé d’un marketing débridé, la visite médicale – et avec elle, l’information dont elle est un support actif – se trouve désormais placée face à de nouvelles obligations et devoirs. De la capacité à y répondre dépendront l’image et la réputation de ceux qui la promeuvent. Les débats sur la qualité de l’information médicale auront eu le mérite de mettre en lumière les pratiques commerciales des industriels du médicament. Ils devraient aussi permettre d’apporter les corrections qui s’imposent de longue date.
Jean-Jacques Cristofari
(1) « Global Medicines Use in 2020 », IMS Intitute, nov 2015.
(2) « Outlook for Global Medicines through 2021 », Quintiles Institute, déc. 2016
(3) Cf. « Observatoire de l’information promotionnelle : le président du LEEM s’explique« , Pharmanalyses, nov.2015
(4) Lettre de l’Aqim, « Onip : parlons vrai« , juin 2016
(5) « Rapport d’élaboration du référentiel de certification de l’activité d’information par démarchage ou prospection visant à la promotion des médicaments »; HAS, mars 2016.
Journaliste spécialisé en économie de la santé En savoir plus ...