[singlepic id=780 w=320 h=240 float=left]Le Comité stratégique de filière des industries et technologies de Santé – ex Conseil stratégique des industries de santé, ou CSIS rebaptisé – s’est réuni le 5 juillet dernier. Son rapport de 125 pages, édité sous le titre « Industries et technologies de santé », propose un arsenal de « mesures stratégiques pour une industrie responsable, innovante et compétitive contribuant au progrès thérapeutique, à la sécurité sanitaire, à l’économie nationale et à l’emploi en France. » Reste qu’en marge de ces travaux décisifs à bien des égards pour l’avenir de l’industrie française du médicament, une affaire relative au sort réservé par les services de l’Etat à une classe thérapeutique, les anti-arthrosiques d’action lente, risque de mettre à mal le devenir de deux – voire plus – PME de la pharma française. L’affaire, qui est dans les mains de la Haute Autorité de Santé (HAS), met en évidence des distorsions dans les traitements administratifs réservés aux industriels de la branche.
« La France dispose d’un tissu de PME et ETI innovantes, par exemple en particulier dans les technologies de santé et de la bio-production, qu’il est important de soutenir car il est porteur d’innovations et d’emplois », explique le chapitre du rapport du CSIS consacré au développement de l’emploi et la production. Un objectif annoncé comme « prioritaire » et qui passe « par une mobilisation aux côtés des PME et ETI innovantes » (1). L’intention est louable, mais l’encouragement à soutenir nos industries semble, une fois encore, bien tardif. Deux PME française de la pharma – les laboratoires Genevrier et Expanscience – viennent d’en vivre une traduction assez particulière à travers la gestion d’un dossier sur l’une de leur spécialité par les administrations en charge du médicament.
Fin de partie
L’affaire concerne le sort qui a été réservé à deux médicaments vedettes des laboratoires précités, les Chondrosulf (de Genevrier) et Piasclédine (d’Expanscience), qui génèrent plus de 50 % du chiffre d’affaires des deux sociétés. Ces spécialités sont utilisées en rhumatologie et prescrites dans l’indication de « traitement symptomatique à effet différé de l’arthrose de la hanche et du genou ». Dans un avis publié le 8 novembre 2008 sur la Piasclédine, la Commission de la transparence de la Haute Autorité de Santé (HAS) conclut que cette dernière spécialité « peu efficace pour améliorer les symptômes de l’arthrose » »ne présente pas d’intérêt de santé publique ». Un autre avis,datée du 9 janvier, relatif cette fois au Chondrosulf, reformule à son propos les mêmes commentaires pour ces anti-arthrosiques et donne un « avis défavorable au maintien de leur inscription sur la liste des spécialités remboursables aux assurés sociaux » (2). La même commission demande aux deux laboratoires de présenter un rapport intermédiaire au mois de mars 2012, soit 24 mois après la première inclusion, et un rapport définitif au mois de novembre 2012. Mais entre les deux avis, la sentence tombe : le 4 juin 2012, le Journal officiel publie un arrêté de radiation de la liste des produits remboursables des produits précités ! Ces médicaments bénéficiant d’un service médical rendu insuffisant, leur taux de prise en charge était jusqu’à cette date arrêté à 15 %. Le solde (75 %), pour les patients bénéficiant des ces traitements, était pris en charge par les complémentaires des assurés.
Pertes d’emplois
La Haute Autorité de Santé ayant statué sur la qualité de ces médicaments, les conséquences des déremboursements vont, pour les entreprises concernées, rapidement se faire sentir : soit une baisse de chiffre d’affaires estimée par les laboratoires, pour 2013, entre 46 et 60 %, entrainant des licenciements directs de l’ordre de 160 personnes pour le laboratoire Expanscience, et de 145 personnes pour le laboratoire Genevrier. A terme, c’est la vie même des laboratoires qui est menacée. A ces emplois directs perdus, on peut encore en ajouter 75 autres, occupées dans la production des médicaments chez des façonniers pour le laboratoire Génevrier. En termes de pertes de cotisations sociales pour l’assurance-maladie, le coût total peut être estimé à 6,5 millions d’euros auquel on peut ajouter le coût supporté par la prise en charge du chômage des personnes licenciées, évalué à environ 7,5 millions d’euros. Soit un total de 14 millions d’euros pour une économie attendue de l’ordre de 26 millions d’euros. « Le déremboursement de la classe des anti-arthrosiques aura des conséquences en termes de coût pour l’assurance maladie et en termes de santé publique », plaident les laboratoires concernés. A leurs yeux, il y aura substitution vers des produits non dénués d’effets indésirables plus chers, c’est à dire vers des anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) coûteux par les effets secondaires iatrogènes qu’ils entrainent (hémorragies digestives, problèmes cardio-vasculaires et insuffisance rénale). Sauf à se cantonner, comme le suggère la HAS, à de simples « mesures d’ordre hygiéno-diététique ou non pharmacologique ».
Equitée non respectée
Si des impératifs de santé publique ont guidé la démarche et les décisions arrêtées par les autorités en charge des médicaments, les industriels concernés s’interrogent sur le traitement réservé à d’autres médicaments appartenant à la même classe des anti-arthrosiques symptomatiques d’action lente (AASAL). Tous les laboratoires exploitant des glucosamines étaient censées fournir un rapport intermédiaire à la HAS en mars 2012 et un rapport final en novembre de la même année, en même temps que l’ART 50 (laboratoire Negma), le Piasclédine et le Chondrosulf. Leur service médical rendu (SMR) devait être délivré en même temps que les molécules précitées et obtenir comme celles-ci un avis le 9 janvier 2013.
[singlepic id=782 w=220 h=140 float=left]Reste qu’une spécialités à base de glucosamine est toujours en évaluation et, faute d’avoir déposé un rapport intermédiaire, bénéficie d’un étrange traitement de faveur. La molécule visée est le Structoflex, un anti-arthrosique d’action lente produit par le laboratoire pharmaceutique dirigé par Pierre Fabre (photo), dont le siège social est basé à Castres où il est le premier employeur de la cité (et 5ème fortune régionale), et une des entreprises phare de la région Midi-Pyrénées. Pour respecter l’égalité de traitement par les autorités sanitaires, le Structoflex aurait dû fournir les rapports intermédiaire et final à la HAS, respectivement les 31 juillet 2012 et 5 mars 2013, et obtenir un avis de SMR le 9 mai 2013. En ce mois de juillet, cette feuille de route est loin d’être remplie.
Traitement de faveur[singlepic id=784 w=260 h=180 float=right]
Le groupe du pharmacien Pierre Fabre aurait-il bénéficié d’un traitement politique de faveur ? Faut-il y voir une relation de cause à effet le récent déplacement du président de la République à Castres où il a inauguré une usine (photo) du laboratoire (à Soual, près de Castres)) en lançant à ses salariés « «La France doit gagner […]. Ce que vous avez réussi, nous allons faire.» Le laboratoire castrais (1,978 milliard d’euros de CA en 2012 dont 47 % dans la pharmacie, 10 000 salariés, dont 6700 en France) pèse à l’évidence davantage que les sociétés Expanscience (240,5 millions d’euros, 870 salariés), Genevrier (280 salariés, 125 millions de CA en 2009) ou encore Negma (30 millions de ventes en 2011) réunies. Les officines ministérielles en charge du médicament à la HAS peuvent-elles appliquer des décisions de santé publiques aussi discriminantes sur une même classe thérapeutique, selon la taille ou la puissance de l’un ou l’autre des acteurs du médicament concernés ? On pouvait penser que cette approche datait d’une autre époque – celle notamment de Jérome Cahuzac, alors conseiller médicament du ministre de la Santé, Claude Evin, au cours de laquelle le sort d’un médicament pouvait être scellé dans les bureaux feutrés des cabinets ministériels -. « La commission de la transparence de la HAS n’a pas imposé les mêmes contraintes dans la conduite de l’étude PEGASE (3), selon qu’il s’agisse des glucosamines ou des autres AASAL (Anti-Arthrosiques d’Action Lente) », fait-on valoir dans les rangs des laboratoires victimes de cette inégalité de traitement. « Ce traitement distinct réservé aux glucosamines leur permet d’être toujours remboursées à ce jour, alors même que leur impact en terme de réduction de la consommation d’AINS n’est pas davantage prouvé aujourd’hui que celui des AASAL ». Fermez le ban ! « Aujourd’hui sur un même type de produits, des laboratoires français sont traités différemment », note-t-on dans les mêmes rangs. Autrement dit, le laboratoire Pierre Fabre prendrait un avantage décisif par rapport à ses concurrents. Avec à la clé 400 emplois supprimés dans les deux laboratoires concurrents, assortis une réelle menace de disparition de ces derniers. Cherchez l’erreur !
Jean-Jacques Cristofari
(1) « Les industries de santé constituent un secteur stratégique dont le poids économique et le potentiel de croissance sont considérables », explique la page internet du Ministère du Redressement productif ( note datée du 03 février 2012). « Elles rassemblent autour de l’objectif commun de santé, le médicament humain et à usage vétérinaire (chiffre d’affaires de 52 milliards d’euros), le dispositif médical (chiffre d’affaires de 15,7 milliards d’euros) et le diagnostic in vitro (chiffre d’affaires de 1,7 milliard d’euros). La spécificité de la filière réside dans la diversité des entreprises qui la composent. Aux côtés de grands groupes nationaux et internationaux coexistent un nombre très important de PME et d’ETI aux grandes potentialités de recherche et d’innovation. »
(2) Il précise par ailleurs que « les premières mesures à mettre en œuvre lors d’un traitement de l’arthrose symptomatique des membres inférieurs sont d’ordre hygiéno-diététique (réduction d’un surpoids, activité physique régulière en dehors des poussées douloureuses ou congestives où la réduction de l’activité est nécessaire) et non pharmacologiques (kinésithérapie, port d’orthèses, cannes…).
(3) Réalisée à la demande de la Commission de la transparence de la HAS, l’étude PEGASE a pour objectif de démontrer que les AASAL réduisent la consommation d’AINS. Elle a inclus 4 555 patients atteint de gonarthrose ou coxarthrose, traités ou non par AASAL (diacerhéine, sulfate de chondroïtine et insaponifiable d’huile d’avocat et d’huile de soja), et suivis pendant une moyenne de 9,71 mois.
Les principaux résultats de l’étude PEGASE révèlent : – une absence de prise du traitement par AASAL, pourtant prescrit, chez près de 30 % des patients et jusqu’à 45 % pour la diacerhéine ; – l’absence de différence de consommation d’AINS entre les groupes traités ou non par AASAL.
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DROIT DE REPONSE :
A l’issue de la parution de notre article, les laboratoires Pierre Fabre ont demandé la parution d’un droit de réponse, auquel vous pouvez accéder en cliquant ici sur : droit de réponse
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Note de l’éditeur : le laboratoire Pierre Fabre fait état dans son droit de réponse d’une « inégalité de traitement au détriment de Structum », une spécialité déremboursée en 2011. L’avis de la Commission de la transparence de la HAS, précise à l’égard de cette dernière spécialité :
» Au vu des données cliniques disponibles notamment : – les résultats de trois études cliniques (Mazières 2007, Mazières 2001 et Uebelhart 1999), ne montrant pas la supériorité de STRUCTUM par rapport au placebo en termes d’amélioration des symptômes de l’arthrose (critère EVA pour la douleur et indice de Lesquesne pour la capacité fonctionnelle), – les résultats d’un essai de non-infériorité STRUCTUM versus CHONDROSULF ne permettant pas de conclure en raison de nombreuses limites méthodologiques (en particulier l’absence de bras placebo, le choix discutable du seuil de non-infériorité), la Commission de la Transparence considère que le rapport efficacité/effets indésirables de cette spécialité est insuffisant. »
La CT ajoute : « En l’absence de données démontrant un bénéfice clinique, cette spécialité n’a pas de place dans la stratégie thérapeutique.Au vu de tous ces éléments, la Commission de la Transparence confirme le service médical rendu par STRUCTUM 500 mg gélule attribué en 2008, à savoir insuffisant au regard des thérapies disponibles pour être pris en charge parla solidarité nationale. »
Elle conclut ainsi sa recommandation : « Avis défavorable au maintien de l’inscription sur la liste des spécialités remboursables aux assurés sociaux et sur la liste des médicaments agréés à l’usage des collectivités et divers services publics. »
Journaliste spécialisé en économie de la santé En savoir plus ...