Europe-Covid-19 : la faillite et l’électrochoc

Europe-Covid-19 : la faillite et l’électrochoc
mars 29 17:51 2021 Imprimer l'article

Les débuts chaotiques de la vaccination en Europe sont le révélateur de la désindustrialisation européenne. Ce lourd prix à payer était-il nécessaire à la prise de conscience des erreurs stratégiques de l’Europe et à son réveil ? Décryptage.

L’Union Européenne est passée à deux doigts de la catastrophe – et peut-être de l’effondrement – avec la crise du Covid pour avoir fait la triste démonstration au début (janvier-février 2020) de sa vacuité et de son impuissance tant sur le plan sanitaire que sur le plan économique.

Dans le champ économique, l’affaire avait été mal engagée avec des déclarations maladroites de Christine Lagarde expliquant qu’il appartenait aux Etats de la zone Euro de se débrouiller avec la crise économique et financière consécutive à la pandémie.

Mais rapidement, l’UE opère un changement de cap. Non seulement – reprenant la doctrine de son prédécesseur au moment de la crise financière de 2008 -, la présidente de la Banque centrale européenne annonce qu’elle soutiendra les Etats, notamment en rachetant leur dette. Mais en plus, la Commission européenne décide de suspendre les critères de Maastricht. Ainsi, les 3 % de déficit et le plafond de 60 % de dette par rapport au PIB – qui étaient l’alpha et l’omega de la politique monétaire européenne et au nom desquels l’UE a consciencieusement ruiné la Grèce en 2013 – sont rangés au placard. C’est donc open bar pour les mesures de soutien à l’économie et aux déficits dans lesquels, tous les Etats de la zone Euro – Allemagne comprise – vont s’enfoncer.

Si on ajoute à cela, le plan de relance de 750 milliards d’euros qui sera entièrement financé par un emprunt communautaire – ce qui constitue une révolution copernicienne –, on peut constater que l’Europe a démontré, sur le plan économique et financier, son caractère incontournable.

En effet, qui peut imaginer que la France – et les autres pays – pourrait faire exploser sa dette à 120, 130 % et plus si affinités, que le ministre de l’Economie pourrait sortir de sa poche (plus exactement de la nôtre) chaque jour des centaines de millions pour soutenir tel ou tel secteur, telle ou telle entreprise, financer le chômage partiel avec une monnaie nationale et en empruntant à taux zéro et même négatifs pour des prêts à long terme ? Le Franc aurait été dévalué au moins 3 fois depuis un an et il n’est pas certain que les marchés financiers auraient engagé un kopek sur la France, l’Italie, l’Espagne, voire l’Allemagne.

Ce moment de vérité modifie profondément le débat politique. Il devient difficile d’être anti-Europe et anti-euro comme le montrent certaines conversions les plus inattendues. En Italie, le populiste Matteo Salvini, le contempteur de l’Europe et des élites mondialisées n’a rien trouvé de mieux que de rallier Mario Draghi, nommé Président du Conseil italien. Or, celui-ci, en sa qualité d’ancien Président de la BCE, symbolise ces « européistes » honnis. Et, en France, que dire de Marine Le Pen dont le projet économique en 2017 était articulé autour de la sortie de l’Euro ? En février 2021, elle a publié une tribune remarquée dans le quotidien L’Opinion, où elle explique que non seulement, la dette Covid devra être remboursée mais que, de manière générale, il faut saluer le rôle de la BCE. On attend avec impatience son programme pour l’élection présidentielle de 2022….

Vaccins, la mécanique s’enraye

Sur le plan sanitaire, l’Union européenne est restée longtemps – trop longtemps – aux abonnés absents. Dès le début de la pandémie, les questions sur la coordination des politiques sanitaires, la fermeture des frontières internes, la suspension de Schengen sont posées. En retour, c’est silence radio du coté de Bruxelles. Chaque pays s’arrange avec ses voisins dans la plus grande confusion.
L’épisode des masques a été le révélateur de cette faillite.
Les pays européens ont découvert qu’ils étaient dépourvus de ces précieux bouts de tissus, seule parade à la circulation du virus. Ils se sont lancés – avec plus ou moins de bonheur – dans une course désordonnée aux masques auprès des fournisseurs, principalement chinois. Un vrai western où tous les coups et les coûts étaient permis, jusqu’au détournement de stocks destinés à un pays par un autre ou une surenchère sur une commande, payée sur le tarmac d’un aéroport.

Pour éviter la répétition de ce scénario noir avec les vaccins – qui s’annonçaient dès l’été 2020 – la Commission européenne – en accord avec les gouvernements – a engagé une négociation en vue d’un achat groupé auprès des laboratoires pharmaceutiques. Et, c’est avec une certaine fierté, qu’Ursula von der Leyen, annonçait à la fin de l’année dernière avoir signé des contrats avec les laboratoires pour assurer la vaccination des quelques 500 millions d’Européens sur la base d’un volume de plus de 1 milliard de doses, la plupart des vaccins nécessitant 2 injections.

Ainsi, dès la validation de ces vaccins par l’Agence européenne du médicament (EMA) et les autorités nationales, les campagnes de vaccination massives pourraient commencer. Une sortie de la crise pandémique s’annonçait pour la fin du premier semestre 2021. Le retour des jours heureux, enfin !

Là, la belle mécanique s’est rapidement enrayée. Cela a commencé avec Sanofi – que la France avait imposé dans la boucle – qui annonce que son vaccin, prévu pour le premier trimestre 2021, ne sera finalement disponible qu’au 3e, voire au 4e. En bon carabinier, le laboratoire français arrivera après la bataille.

Cela se poursuit avec Pfizer et AstraZeneca qui font savoir qu’ils rencontrent des problèmes de production et ne pourront pas livrer le volume de doses promis selon l’échéancier négocié. En outre, il pèse sur le vaccin AZ un soupçon d’effets secondaires qui conduira la plupart des pays européens à suspendre sa diffusion quelques jours, le temps que l’EMA, l’agence européenne du médicament, « le disculpe ».

Résultat, alors que les Etats-Unis et le Royaume Uni ont entrepris une campagne de vaccination intense dès le mois de décembre, les pays de l’Union européenne sont, en janvier, sur le pied de guerre, attendant – tel le commandant Drogo dans le Désert des Tartares – des vaccins qui n’arrivent pas ou en petites quantités.

La polémique enfle partout. La stratégie européenne est remise en cause. On parle de fiasco et même de « Waterloo vaccinal » selon l’expression de l’incontournable Dr Laurent Alexandre, jamais à court de bons mots.

Volume, validation, responsabilité

Une analyse circonstanciée amène à nuancer ces jugements sans appel et à comprendre les ressorts profonds de ce qui est, néanmoins, une vraie faille.
Pour souligner l’échec de l’Europe, beaucoup d’observateurs citent l’exemple d’Israël qui, en quelques semaines à la fin du mois de mars, a vacciné les 2/3 de sa population. Mais, cette comparaison ne peut pas être retenue pour 3 raisons.
La première est l’effet volume. Israël, c’est 9 millions d’habitants dont 6 à 7 d’adultes, le public cible de la vaccination. Pour vacciner les 2/3 de cette population avec 2 doses, il faut donc 9 à 10 millions d’injections, c’est-à-dire qu’Israël n’a plus vacciné – en chiffre absolu – que la France à la même date…
Avec une quinzaine de millions de doses, Israël assure sa couverture vaccinale. Pour l’Europe, c’est plus d’1 milliard, ce qui n’est pas la même échelle sur le plan industriel.

Mais surtout – deuxième raison – le gouvernement israélien a accepté que les données personnelles des personnes vaccinées soient transmises aux laboratoires afin de consolider la phase 3 des essais cliniques. En d’autres termes, les Israéliens ont – à l’insu de leur plein gré – participé à un essai clinique, pour ne pas dire qu’ils ont été des cobayes.

Quand on connait la sensibilité des populations européennes à la question des données personnelles et au principe de précaution, on imagine que cela aurait été inacceptable en Europe et particulièrement en France.

Enfin – troisième raison – le contrat fait porter la responsabilité en cas d’effets secondaires non pas sur le fabricant, mais sur l’acheteur, c’est-à-dire l’Etat d’Israël. Là encore, avec la judiciarisation qui règne en Europe, cette disposition est inimaginable.

Ces 3 facteurs – volume, validation et responsabilité – ont retardé la signature des contrats entre l’UE et les laboratoires.
Ces contrats étaient-ils pour autant bien ficelés ? Certains observateurs dénoncent l’incompétence de la Commission qui s’est focalisée sur le prix et a négligé les clauses contraignantes pour les laboratoires sur la production et la livraison.

Pour le prix, c’est une réalité, la présidente de la Commission s’étant flattée d’avoir obtenu les meilleurs prix possibles, grâce justement aux volumes de commandes. Pour le reste, on ne peut pas être aussi affirmatif, les contrats étant confidentiels.
On ne peut que constater la lenteur des livraisons et l’impuissance de la Commission européenne à contraindre les laboratoires.
La stratégie européenne d’achat groupé était-elle une erreur ? Chaque Etat aurait-il dû négocier individuellement ? Cette hypothèse ne résiste pas une seconde à l’analyse. D’abord, il y a le précédent des masques. Ensuite et surtout, comment imaginer que si le Luxembourg, Malte, la Belgique et même la France ou l’Allemagne avaient toqué à la porte des laboratoires chacun de leur côté, ils auraient obtenu une garantie de calendrier et de volume ? Au contraire, les laboratoires auraient joué l’émulation, la concurrence entre eux et la pagaille aurait été totale et le résultat désastreux.

Les Américains plus ambitieux que les Européens

En réalité, dans cette affaire des vaccins, la négociation incertaine n’est que la partie émergée de l’iceberg, l’arbre qui cache la déforestation ou plus précisément la désindustrialisation de l’Europe.

Dans la course aux vaccins, on a beaucoup pointé ici l’échec français avec Sanofi et plus encore Pasteur qui, pour de sombres raisons de querelles internes, n’a pas été capable de trouver une piste vaccinale. A se demander si l’Institut Pasteur mérite encore de porter ce prestigieux « blaze » comme on dit dans les films d’Audiard.

Mais, en fait, l’échec est européen. Les vaccins mis au point en moins d’un an sont américain, anglais et russe. Où est l’Europe ? BioNtech est une start-up allemande qui a développé la technologie de l’ARN messager, mais le concepteur et producteur du vaccin est l’américain Pfizer.

AstraZeneca est présenté comme un groupe anglo-suédois mais, en l’occurrence, la Suède n’a rien fait. La recherche sur le vaccin a été financée par l’Université d’Oxford.

Pendant que le gouvernement anglais allongeait des millions de livres à AZ et que Trump – peut-être la seule bonne décision de son mandat – finançait la recherche de Pfizer, que faisaient l’Europe et les Etats membres ? La start-up nantaise Valneva, qui avait une piste vaccinale, s’est fait claquer la porte au nez avenue de Ségur et s’en est allée à Londres, où elle a été accueillie à bras ouverts. Résultat, son vaccin devrait être commercialisé à l’automne, mais au Royaume-Uni.

Le Président de la République ne dit pas autre lorsque, dans une interview à une télévision grecque, le 23 mars, il déclare que « les Américains ont eu un mérite dès l’été 2020, ils ont dit, on met le paquet et on y va. Et donc ils ont plus (de vaccins). Ils ont eu plus d’ambition que nous les européens. Et le quoi qu’il en coûte qu’on a appliqué pour les mesures d’accompagnement, eux l’ont appliqué pour les vaccins et la recherche ». 

La priorité de livraison des vaccins – reconnue par les laboratoires – aux Américains et aux Britanniques constitue en effet le retour d’investissement que ces pays ont réalisé.
La Présidente de la Commission européenne peut bien taper du poing sur la table et menacer d’interdire les exportations de vaccins produits en Europe vers les pays tiers, cela ne changera rien.
A force de ne plus fabriquer les trains, il ne faut pas s’étonner qu’ils ne s’arrêtent plus en gare Europe.

Le souverainisme franchouillard

Dans cette affaire, l’Europe paie les conséquences de sa désindustrialisation consciencieusement menée depuis plusieurs décennies. Pendant longtemps, la doctrine de la Commission européenne a été que, pour préserver la concurrence qui fait le bonheur du consommateur, il fallait éviter de créer des entreprises dominantes sur un marché. C’est ainsi que, pendant longtemps, la Commission a refusé le rapprochement entre grandes entreprises de plusieurs pays européens. Le dernier exemple de cette politique est le feu rouge opposé à la fusion du français Alstom et de l’allemand Siemens.

Pour avoir une idée de l’absurdité de cette politique du « small is beautifull », il faut savoir que cette stratégie aurait, dans les années 70, bloqué le rapprochement entre les avionneurs français et allemand et Airbus n’aurait jamais vu le jour.
La nouvelle commission européenne, mise en place en 2020, a compris que ce n’est pas avec des PME et des artisans que l’on tiendra tête aux Etats-Unis et à la Chine.
Sous l’impulsion de Thierry Breton, elle a successivement autorisé la fusion entre Alstom et le canadien Bombardier pour faire un leader du ferroviaire, de PSA et de Fiat pour construire un des tout premiers groupes automobiles du monde et le rachat du néerlandais Grand Vision – propriétaire de Grand Optical, Général d’option et Solaris – par le groupe franco-italien Essilor-Luxottica pour faire un géant de l’optique.

L’échec de l’UE dans la vaccination est bien la conséquence de la désindustrialisation, particulièrement flagrante dans le domaine de la santé. La pandémie Covid a révélé l’extraordinaire dépendance de l’Europe à la Chine : masques, équipements médicaux, respirateurs et plus encore 80 % des principes actifs des médicaments…
Si cette crise devait provoquer un électrochoc, elle n’aurait pas été inutile.
On peut imaginer quelques pistes pour sortir de cette situation et ne pas revivre ce psychodrame lorsque la prochaine pandémie se produira.

L’Europe doit d’abord se doter d’une Organisation européenne de la santé, chargée de la veille sanitaire et de l’anticipation des évolutions et des crises sanitaires pour échapper à l’OMS.

L’Organisation mondiale de la santé s’est totalement décrédibilisée pendant la crise du Covid, essentiellement en raison de sa dépendance à la Chine, conséquence du retrait des Etats-Unis décidé par Trump. Informations fragmentaires, retard dans les alertes et préconisations légères ont marqué l’action de cette structure et la caricature a été cette mission d’expertise envoyée à Wuhan, entièrement cornaquée par les autorités chinoises.

L’Europe ne doit plus dépendre d’une telle organisation pour définir ses priorités sanitaires et gérer les crises. Pour le reste, l’Union européenne doit créer des Airbus de la santé dans tous les domaines, industries de santé et médicaments.

Les compétences existent en Europe mais elles sont éclatées. On l’a vu avec BioNtech. Les start-up sont, en quelque sorte, des têtes chercheuses qui, pour assurer le développement industriel de leurs innovations, doivent se rapprocher d’un groupe. Or, elles ne trouvent pas assez de réponse en Europe et s’en vont outre-Atlantique ou franchissent la Muraille de Chine.

L’Europe doit créer des filières santé (et dans d’autres secteurs), un écosystème permettant le développement des innovations et leur industrialisation.

La souveraineté est devenue un thème récurrent des campagnes électorales et certains, à droite comme à gauche, s’en font les champions. Mais ce sont souvent – Dupont-Aignan, Montebourg, De Villiers – des anti-européens. C’est là, l’erreur. Pour être clair, le souverainisme franchouillard n’est pas la bonne dimension. Pour exister face à la Chine et aux Etats-Unis et ne plus être spectateur, il faut raisonner à l’échelle européenne, penser un souverainisme européen.

La crise Covid aura-t-elle permis cette prise de conscience ? Affaire à suivre.

Philippe Rollandin

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