Les organismes d’assurance complémentaires sont confrontés à de nouveaux enjeux et défis. L’universalisation de la couverture maladie les place face à de nouvelles responsabilités. Pour autant, le cadre réglementaire actuel de leur activité les contraint à demeurer des payeurs aveugles. La fondation Terra Nova, proche du PS, propose à cet égard une autre régulation du secteur et formule ses propositions.
Les organismes d’assurance-maladie complémentaires (OCAM) seraient-ils synonymes d’injustice et d’inégalités et favoriseraient-ils une privatisation rampante de notre modèle de protection sociale ? Les critiques adressées aux assureurs complémentaires sont nombreuses et ont traversé ces dernières décennies. Certains considèrent même qu’ils pervertiraient notre système solidaire et nuiraient aux efforts déjà réalisés, en ayant des coûts de gestion élevés et une absence de maîtrise de leurs tarifs. Le think tank Terra Nova, sans reprendre à son compte ces critiques, analyse dans un récent rapport le rôle des complémentaires qui, rappelons-le, regroupent, toutes catégories confondues (mutuelles, assureurs privés et organismes de prévoyance), 600 organismes, plus de 100 000 collaborateurs et collectent annuellement près de 34 milliards d’euros de cotisations. Avec en leur sein, des mutuelles qui constituent le premier réseau sanitaire et social de France, en gérant 2 500 services de soins et d’accompagnement mutualistes. Selon les auteurs du rapport, « le statu quo n’est pas pour autant admissible. La couverture de la population doit être améliorée. L’égal accès à la santé doit passer du droit aux faits. » Si l’ambition des pouvoirs publics d’universaliser l’accès à une complémentaire santé apparaît louable et pleinement justifiée, ajoutent ces derniers, pourquoi séparer les réflexions sur l’accès à une couverture assurantielle de celles sur la qualité des couvertures offertes, leur impact économique et social, ce qu’elles financent réellement et les solidarités qu’elles organisent entre les assurés ? » Pour Terra Nova, la régulation des organismes complémentaire doit être repensée et des réflexions alternatives paraissent devoir être proposées.
Ainsi de la « généralisation » de la couverture maladie, que la fondation estime paradoxale : « En institutionnalisant pour chaque catégorie de la population une couverture spécifique, les pouvoirs publics ne neutralisent pas la tendance à la segmentation des risques qui s’est progressivement imposée à l’ensemble des Ocam sous l’influence des mécanismes de marché. » Pour Terra Nova, une couverture performante reposerait sur une véritable solidarité entre les populations couvertes et devrait permettre de lutter contre les inégalités de santé. Car cette segmentation des risques produit sa contradiction : de plus en plus de personnes sont équipées en complémentaire santé, mais rien n’incite à ce qu’elles le soient aux meilleures conditions. Etienne Caniard, qui vient de quitter la présidence de la FNMF, l’a récemment souligné lors d’une rencontre matinale chez Nile en juin dernier : » Les plus fragiles se tournent vers le secteur mutualiste, mais ce dernier ne pourra plus vivre avec les plus mauvais risques. La stratégie de niche poursuivie par les complémentaires conduit à fabriquer une véritable exclusion et à détruire l’équilibre du système de protection sociale français ».
Payeur aveugle
Autre paradoxe de ce marché : pour beaucoup d’opérateurs, il n’est qu’une porte d’entrée vers d’autres débouchés, avec des offres et des services sans rapport avec la santé. A l’inverse, le secteur mutualiste consacre 3,5 milliards d’euros à ses offres de soins sur un chiffre d’affaires de 25 milliards d’euros, rappelle volontiers Etienne Caniard. . Sur l’impact médico-économique des récents contrats dits responsables, Terra Nova reprend une critique maintes fois formulées : « Les actuels contrats responsables participent de la banalisation des dépassements d’honoraires, au lieu d’ouvrir la voie vers de nouveaux modes de rémunération. » Ces dépassements ont explosé entre 2012 et 2014 pour atteindre 2,8 milliards d’euros, supportés par les ménages et leur complémentaire santé. Le contrat d’accès aux soins (CAS) signé par une partie des médecins en honoraires libres n’y a rien fait, déplore le think tank : « Pire, ils n’ont abouti en fin de compte qu’à légitimer les Ocam dans le seul rôle qui leur est aujourd’hui dévolu : celui de payeur aveugle. »
Le rapport de Terra Nova revient également sur la question de la fiscalité des complémentaires santé, qu’il qualifie de « sibylline ». Il rappelle ainsi que cette fiscalité a connu une progression exponentielle (+ 658 % sur les 15 dernières années) et qu’elle s’appuie sur une équation pour le moins paradoxale : chaque année, les pouvoirs publics prélèvent 4,2 milliards d’euros sur les souscripteurs d’une complémentaire santé et délivrent en même temps des aides publiques pour l’acquisition d’une telle couverture à hauteur de 4,7 milliards d’euros par an. De plus, seule la moitié de ces aides est versée à des publics précaires. Les auteurs du rapport qualifient au total cette fiscalité d’élevée, « d’inéquitable et d’absconse ». Enfin, sur la question des réseaux de soins, régis désormais par la loi Le Roux de janvier 2014, la fondation considère que la trop forte restriction portée sur les capacités de contractualisation des Ocam en limite la portée et prive les pouvoirs publics de « toute possibilité d’expérimenter des idées neuves sur le terrain, là où les besoins se font sentir. »
Répondre aux défis Fort de ce constat, Terra Nova propose de « changer de modèle », en « libérant l’impact social ». Outre la définition de nouveaux principes directeurs dans leurs contrats (sur les conditions de souscription, sur les garanties, sur le financement ou encore sur les engagements de service), la fondation suggère d’engager les Ocam à adopter une démarche globalement responsable en considérant celles-ci à travers leurs investissements. « La solution la plus simple consisterait à tenir compte des investissements réalisés dans le système de santé en général, notent les auteurs du rapport. Le financement d’un centre de santé, d’un établissement sanitaire, social ou médico-social, voire de la recherche en santé pourrait ainsi être pris en compte. » L’exemple des « social impact bonds » (SIB) nés aux Royaume-Uni, pourrait servir de levier à de nouvelles expérimentations. Ces contrats consistent à lever des fonds privés pour financer des actions sociales. Les objectifs atteints, l’autorité publique rembourse les capitaux engagés, plus un taux d’intérêt dépendant pour partie des économies réalisées. « Le développement des SIB dans l’assurance santé serait en outre un excellent moyen de défricher de nouvelles activités pour les Ocam, de renouveler leurs modes d’intervention dans le système de santé, tout en apportant des solutions innovantes aux besoins de la population. »
Enfin, la fondation propose de relancer les réseaux de soins sur des « zones franches » délimitées « pour expérimenter de nouvelles solutions sans pouvoir se voir opposer des restrictions réglementaires ». Les actions pourraient viser la réduction des inégalités sociales et territoriales de santé, la mise en place de programmes spécifiques de prévention, de promotion de la santé ou d’éducation thérapeutique, ou encore l’aide à la coordination entre professionnels, établissements ou services de santé. « Les zones franches seraient l’occasion de laisser libre cours à l’entrepreneuriat et à l’innovation des acteurs publics et privés au profit d’un meilleur système de santé. » « Comme l’ensemble des acteurs, les Ocam pourraient y développer et tester des actions ciblées avant d’en envisager la généralisation sur l’ensemble du territoire. » Il reste désormais aux acteurs d’analyser et de s’emparer de cette somme de propositions qui se veulent une réponse aux défis de notre système de santé. Le message s’adresse aux candidats de la future élection présidentielle, en premier chef à celui qui sortira des rangs du Parti Socialiste, dont Terra Nova est proche.
Jean-Jacques Cristofari
(1) « Complémentaire santé, sortir de l’incurie » Luc Pierron, Terra Nova, juin 2016
NB : Les trois axes de réformes avancés par Terra Nova :
Journaliste spécialisé en économie de la santé En savoir plus ...