[singlepic id=574 w=320 h=240 float=left]Le plafond des dépassements d’honoraires déterminé par l’accord conclu le 25 octobre 2012 entre l’assurance-maladie et les syndicats de médecins est politiquement frappant, socialement marquant, mais techniquement inopérant. Objet initial de cette négociation, il n’en n’est pas le résultat le plus important. Le cœur de ce texte est un contrat d’accès aux soins qui constitue, en réalité, la première étape vers la fermeture du secteur à honoraires libres. Retour sur un épisode de la saga conventionnelle dont tous les acteurs – à l’exception de la ministre de la santé – ressortent affaiblis.
[singlepic id=576 w=160 h=120 float=left]Et « the winner is.. », le gagnant est.. Marisol Touraine (photo). Avec l’accord conclu le 25 octobre entre l’assurance-maladie et les syndicats de médecins sur l’encadrement des dépassements d’honoraires, la ministre de la santé est bien la seule à tirer son épingle du jeu. Elle voulait cet accord pour avoir un effet d’affichage politique lui permettant d’affirmer qu’elle avait réussi là où ses prédécesseurs – y compris de gauche – avaient échoué. Elle le voulait aussi parce que l’encadrement des dépassements est « un marqueur de gauche » – au même titre que la taxation à 75 % des hauts revenus – inscrit au programme de François Hollande. Après les nombreux couacs et reculades gouvernementaux de ces derniers mois, le soldat Touraine a bien mérité de la République. La ministre n’a d’ailleurs pas fait dans la nuance pour saluer un accord « qui marque un tournant majeur pour la prise en charge de la santé des Français ». Rien de moins !
Un accord au forceps[singlepic id=569 w=200 h=160 float=right]
Les autres acteurs de cette tragi-comédie en sortent en revanche affaiblis. A commencer par le directeur général de l’UNCAM, l’Union nationale des caisses d’assurance-maladie. Le pistolet sur la tempe ou plutôt le téléphone vissé à l’oreille – presque une oreillette d’animateur télé le reliant à l’avenue de Ségur – Frédéric Van Roekeghem (photo) a du conclure un accord au forceps. Une humiliation pour le tout puissant patron de l’Assurance-maladie. Cet épisode remet-il en cause son maintien à la direction de l’organisme ?
Les autres grands perdants sont les deux principaux syndicats de médecins – la CSMF et le SML – représentants les spécialistes exerçant en secteur II. Ils étaient arrivés à la négociation en posant des conditions à la conclusion d’un accord. Pas de plafond chiffré aux dépassements. « Oui » à un encadrement des dépassements, mais à condition qu’il y ait une réévaluation substantielle des tarifs opposables. « Oui » à un contrat d’accès aux soins limitant les dépassements à condition que les complémentaires prennent en charge ces dépassements et que les médecins du secteur I puissent accéder à ce contrat.
Un nouveau forfait pour les généralistes
Au final, le constat est sévère. Un plafond de 150 % de dépassement est inscrit dans le texte, même s’il n’est qu’un critère parmi d’autres définissants le caractère abusif des dépassements. Le contrat d’accès aux soins plafonne à 100 % les dépassements, oblige les médecins qui y souscriront à pratiquer les tarifs opposables pour les titulaires de la CMU, les actes d’urgence, les patients bénéficiant d’un contrat responsable et ceux ayant un dossier de demande, mais les complémentaires ne participent pas à la prise en charge des dépassements. Les honoraires ne sont pas revalorisés ou marginalement. Les généralistes bénéficieront d’un forfait de 5 euros par an et pour chaque patient dont ils sont le médecin traitant et d’une majoration pour la consultation d’une personne âgée de 85 ans sous prétexte que ces patients mettent plus longtemps à se déshabiller et à se rhabiller, sur le modèle de la majoration nourrisson en vigueur depuis quelques mois. Pour l’assurance-maladie, pépé et bébé, même combat !
[singlepic id=568 w=200 h=160 float=left]250 millions pour les spécialistes
Les spécialistes obtiennent l’augmentation des tarifs prévus par la CCAM-technique d’ici à 2015, ce qui correspond à une enveloppe estimée de 250 millions d’euros mais ces revalorisations seront financées, pour l’essentiel, par une diminution de la valeur des actes des radiologistes. A la manière de Robin des bois, l’assurance-maladie va prendre l’argent des riches radiologues pour le donner aux pauvres cardiologues et autres chirurgiens ! Enfin, les médecins du secteur I ne pourront pas rejoindre le contrat d’accès aux soins. Bref, aucune des conditions préalables posées par les syndicats n’a été retenue. Et pourtant ils ont signé.
Début de la fin du secteur 2 ?[singlepic id=575 w=280 h=160 float=right]
Mais qu’ont-ils signé au fond et pourquoi ? Ils ont signé – et c’est en ce sens que cet accord a une certaine portée – le début de la fin du secteur à honoraires libres. La liberté des honoraires n’est pas menacée par ce plafond de 150 %, brandi par Marisol Touraine comme un trophée arraché à l’ennemi. En effet, il est très au dessus de la moyenne des dépassements pratiqués par l’immense majorité des médecins du secteur II et de toute façon, il n’est pas normatif, mais indicatif. Seule une minorité de médecins – essentiellement des praticiens hospitaliers publics pratiquant la culbute dans leur secteur privé – vont être impactés. La menace vient de ce qui est le cœur de cet accord : le contrat d’accès aux soins (CAS). Ce nouveau secteur d’exercice impose aux médecins qui y adhéreront volontairement de plafonner leur dépassement à 100 % des tarifs opposables avec lesquels ils devront prendre en charge certains patients (CMU, titulaires d’une aide à la complémentaire). Pour ces actes-là, l’assurance-maladie prendra en charge une partie de leurs cotisations sociales dans les mêmes conditions que pour leurs confrères du secteur I. Les médecins bénéficieront des majorations obtenues pour les médecins du secteur I. Enfin, il sera accessible aux anciens chefs de clinique qui n’ont pas accès au secteur II, faute de ne l’avoir pas choisi au moment de leur installation.
Au total, ce contrat est plutôt sexy – attractif comme disent les négociateurs – pour la plupart des médecins du secteur II. L’objectif de l’assurance-maladie est de le mettre en place au 1er juillet 2013 si un nombre significatif de médecins du secteur II décident de le rejoindre. Au départ, la barre était fixée à 50 %. Elle a été descendue à 30 % et porte de Montreuil, on ne s’interdit pas d’abaisser encore ce seuil. Ce CAS est une sorte de Canada dry. Il a le goût et la couleur du secteur II mais ce n’est pas le secteur II. C’est plutôt un droit au dépassement permanent contrôlé.
Le contrat d’accès aux soins a vocation à être un aspirateur à secteur II. Lorsqu’il sera suffisamment rempli de médecins transfuges du secteur II et de nouveaux spécialistes qui l’auront préféré au secteur à honoraires libres, les conditions seront réunies pour une fermeture du secteur II autorisant ceux qui y sont d’y rester mais fermant son accès à de nouveaux impétrants, comme cela a été fait pour les généralistes pour lesquels la porte d’entrée est fermée depuis 1990.
[singlepic id=570 w=220 h=180 float=left]Bourgeois de Calais
D’une certaine façon, les présidents de la CSMF et du SML se sont comportés comme les bourgeois de Calais remettant les clés de la ville au roi Edouard III pour mettre fin au douloureux siège de la cité et lui demandant sa grâce. Les « bourgeois » Michel (Chassang) et Christian (Jeambrun), respectivement patrons de la CSMF et du SML, ont donné les clés du secteur II au vice-roi Frédéric et ont été graciés par la reine Marisol. Celle-ci aurait pu brûler la cité des honoraires libres avec un simple article dans le Projet de loi de financement de la sécurité sociale, comme elle les en avait menacés. En signant ce texte, « nos bourgeois » ont évité que des députés socialistes en quête de popularité déposent un amendement en ce sens. Ils ne pouvaient évidemment pas prendre ce risque. Mais ils ont ainsi enclenché l’inexorable processus.
[singlepic id=565 w=150 h=120 float=right]Le constat est amer pour eux, particulièrement pour Christian Jeambrun (photo). Le secteur II fait partie de l’ADN du Syndicat des médecins libéraux qui a été créé en 1981 par le charismatique Dr Dinorino Cabrera pour défendre ce tout nouveau secteur à honoraires libres face aux menaces que la gauche – déjà – faisait peser sur lui et le pérenniser. Aujourd’hui encore, la majorité de ses adhérents est constituée de spécialistes exerçant en honoraires libres. Pour son successeur – Jeambrun quitte ses fonctions en décembre prochain – sa signature au bas de ce parchemin constitue une étrange fin de règne.
« Les patients sont les pigeons »
Les complémentaires – ou plus exactement la nébuleuse des complémentaires – ne sortent pas non plus indemnes de cette affaire. L’Union nationale des organismes complémentaires d’assurance-maladie (UNOCAM) qui les représente a démontré que le mariage pour tous – en l’occurrence celui de la carpe et du lapin – ne permet pas toujours de fonder une famille unie. Elle regroupe deux catégories de complémentaires. D’un coté, les assureurs privés et de l’autre les mutuelles avec comme chef de file la puissante Fédération nationale de la mutualité française (FNMF). Ces deux composantes n’ont ni les mêmes objectifs, ni les mêmes stratégies.
La Mutualité entend devenir un acteur à part entière du financement. Elle a même des velléités de se substituer partiellement à la sécurité sociale afin de mieux peser sur l’évolution du système. « Les privés » ne sont pas du tout dans cette logique. Ils entendent rester sur la partie complémentaire du risque, contenir la progression de la part non remboursée par l’assurance-maladie de base et se positionner sur « des niches » et des produits d’appel à cheval entre le sanitaire et le bien-être. D’où cet éternel pas de deux de l’Unocam où les proclamations d’engagement à cofinancer telle ou telle évolution tarifaire ne se traduisent jamais par des propositions concrètes. Les négociations sur le mort-né secteur optionnel ont échoué pour cette raison et dans l’accord actuel, la participation des mutuelles à la solvabilisation du nouveau contrat d’accès aux soins est renvoyée à plus tard au grand dam des syndicats de médecins et de l’assurance-maladie qui n’en peuvent mais…
[singlepic id=566 w=160 h=140 float=left]Enfin, les patients sont-ils les gagnants de cette négociation – qui s’est faite pour eux mais sans eux – comme le claironne Marissol Touraine (photo), la ministre de la santé ? A court terme, clairement non. Le fameux plafond de dépassement à 2,5 fois les tarifs de base est – comme on l’a vu – trop élevé pour avoir un impact quelconque sur le niveau réel des honoraires et il est, de toute, façon seulement un indicateur. Les associations de patients ne s’y sont d’ailleurs pas laissé prendre. Le CISS – Collectif interassociatif sur la santé – estime que, avec ce texte « les patients sont les pigeons » ! Pour les patients, les effets positifs apparaitront à terme avec le contrat d’accès aux soins qui permettra une meilleure lisibilité et une certaine maitrise des dépassements d’honoraires.
Finalement, cette négociation a été conforme à ce que nous avions pronostiqué dans Pharmanalyses : une comédie de boulevard avec une fin connue d’avance – l’affichage politique d’un plafond de dépassement – et une occasion manquée de mettre sur la table les sujets majeurs pour une modernisation de la pratique médicale de ville tels que la hiérarchisation de la valeur des actes en fonction de leur contenu médical, la médicalisation du parcours de soins, le transfert de tâches, les modes de rémunération, etc… Pour importante qu’elle soit, la perspective d’une fermeture du secteur II ne saurait être tenue pour une évolution structurante.
Rien dans cet accord – qui devient l’avenant n°8 à la convention médicale – n’est de nature à susciter l’envie de s’installer en libéral (1), notamment dans des zones à faible densité démographique. Pendant que ces jeux du cirque se déroulaient, la ville de Fougères – qui avait engagé un médecin salarié pour remplacer un médecin libéral parti en retraite – en a recruté un second. Elle s’apprête à en recruter un troisième sans difficulté tellement les candidatures affluent et d’autres communes sont sur le point de l’imiter…
Philippe Rollandin
(1) L’étude du Conseil National de l’Ordre des Médecins – Section Formation et Compétences Médicales, sur « la répartition des médecins généralistes », publiée en avril 2012, révèle que sur 12 660 postes ouvert à l’Examen classant national (ECN) dans la filière de MG de 2004 à 2008, seulement 1 352 médecins « spécialistes en MG » par le DES depuis 2004, exercent en libéral, soit 11 % des postes.