Entre 2016 et 2021, la croissance du marché mondial du médicament sera comprise entre 3 et 6 % selon les pays et les régions du monde. Alors qu’il y a 11 ans, les ventes mondiales de produits pharmaceutiques se situaient sous la barre symbolique des 1 000 milliards de dollars, elles devraient frôler cette année les 1200 milliards de dollars (976 milliards d’euros) pour s’envoler vers les 1 400 milliards de dollars (1 135,9 milliards d’euros) d’ici 2021, marquant ainsi un nouvel envol des performances mondiales de l’industrie du médicament. En 2017, le top 10 de l’industrie pharmaceutique a réalisé un chiffre d’affaires global de 322,76 milliards d’euros (+ 2,07%) pour un bénéfice de 59,79 milliards d’euros. Ensemble, les leaders de la pharma mondiale auront distribué 60,77 milliards d’euros à leurs actionnaires et dépensé pour leur R&D 64,4 milliards d’euros. Ces excellents résultats témoignent d’une relance qui doit beaucoup aux marchés dits « émergents », mais également à l’envol des spécialités de niche à haute valeur ajoutée.
Pour la troisième année consécutive, le classement des leaders de la big pharma (Cf. Tableau ci-dessous) consacre le même trio de tête, l’américain Pfizer occupant la pole position, devant les suisses Novartis et Roche. L’écart de chiffre d’affaires entre les deux premiers du top 10, Pfizer et Novartis, reste conséquent, même s’il repasse cette année sous la barre des dix milliards de dollars pour atteindre 9,3 milliards de dollars (8,33 milliards d’euros). Du côté des suisses, Roche n’est séparé de son voisin bâlois Novartis que par 1,15 milliard d’euros de chiffre d’affaires. Le champion Français Sanofi conserve sa 4ème place, suivi par l’américain Johnson&Johnson qui devance son compatriote Merck&Co. Le britannique GSK gagne une place et prend la 7ème position à Gilead, dorénavant 9ème derrière AbbVie qui remonte au 8ème rang. Enfin, un des pionniers de la biotech, l’américain Amgen fait pour la première fois son entrée dans le top 10 au détriment du britannique AstraZeneca qui sort du Top 10.
En moyenne, les 10 leaders mondiaux de la pharma consacrent près de 85 % de leur activité à la vente de produits pharmaceutiques – vaccins inclus – et 16,9 % de leur chiffre d’affaires à la Recherche et Développement de produits nouveaux. Le champion est en la matière l’Américain Merck – qui a fusionné avec Schering-Plough en 2009 – avec 25 % de son CA dédié à la R&D, devant Johnson&Johnson (23 %) et les Suisses Roche (19,6 %) et Novartis (18,3 %). Le Français Sanofi se situe juste sous la moyenne du Top 10 avec 15,6 %. En terme de résultats, les plus belles performances reviennent au leader mondial Pfizer qui dégage un bénéfice net de 18,9 milliards d’euros (contre 6,56 milliards en 2016), pour une marge nette de 40,6 % et a distribué l’an passé près de 8 milliards d’euros à ses actionnaires. On notera dans ce registre que les big pharma ont distribué en 2017 quelque 16 % du montant de leur chiffre d’affaires total à leurs actionnaires pour un bénéfice net total qui représente 15,7 % de ce même chiffre d’affaires. Ces belles performances témoignent de la bonne santé financière des big pharma, qui devraient en 2018, de l’avis des analystes, procéder à de nouvelles fusions/acquisitions.
Cette progression spectaculaire de la pharma mondiale doit et devra beaucoup aux pays dits « pharma-émergents » (Brésil, Chine, Russie, Inde). En 2007, selon l’institut IQVIA (ex IMS), les pays développés représentaient 73% du marché mondial du médicament (725 milliards de dollars), contre 12% pour les pays émergents ou en voie de développement. 10 ans plus tard, la part des premiers a chuté à 66 % et celle des seconds a grimpé à 24 %, sur des ventes mondiales estimées l’an passé à 1 135 milliards de dollars (920,48 milliards d’euros).
Les pays émergents tirent la croissance
Si la part des pays développés « riches » restera élevée en 2022, avec 65 % du total des ventes, celle des pays « pharma-émergents » aura encore gagné un point, avec 25 % de part de marché (cf. Tableau suivant). Parmi ces derniers, la Chine se taillera la part du lion, suivie des autres pays du groupe des BRIC (Brésil, Inde et Russie) et de l’ensemble des pays en développement. Ainsi, du côté des pays développés, la croissance du marché restera limitée (entre 2 et 5 % en moyenne), tandis que les « pharma-émergents » connaîtront des croissances comprises entre 6 et 9 %.
Montée en puissance des médicaments de spécialité
En termes de type de produits, la prime va aux spécialités de marque originales qui, au plan mondial, représentent, en valeur, 60 % des ventes effectuées par les industriels du médicament. Ce pourcentage grimpe à près de 80 % dans les pays développés. Pour autant, le volume de ces dernières représente moins de 20 % des unités vendues. (cf. Tableau suivant). A l’inverse dans les pays « pharma-émergents », les ventes de produits de marque plafonnent à 25 % en valeur et à 10 % en volume, et les ventes de spécialités non originales représentent plus de 40 % des ventes de médicaments en valeur, contre à peine 20 % dans les pays développés. Reste que les standards de dépenses sont loin d’être les mêmes entre ces deux grandes régions. Si les dépenses en médicaments par habitant sont de 1 112 dollars par an aux Etats-Unis, de 783 dollars au Japon, de 741 dollars en Allemagne ou encore de 656 dollars en France (2), elles ne sont que de l’ordre de 110 dollars en Chine, de 200 dollars au Brésil et de 20 dollars en Inde. C’est dire le potentiel que représente encore à ce jour les pays émergents, alors que nos pays développés sont désormais et plus que jamais en prise avec des contraintes budgétaires qui visent surtout à peser sur les prix des nouvelles molécules.
L’abandon du modèle « blockbuster », consécutif à la générication croissante des médicaments sur les 15 années écoulées, a contraint les majors de la branche à développer de manière croissante des produits de niche et de spécialité. « La part des spécialités dans les dépenses mondiales est passée de 19% en 2007 à 32% en 2017, note l’Institut IQVIA (1). Pour la dixième année consécutive, la croissance des médicaments de spécialité a dépassé celle des médicaments traditionnels dans les marchés développés. Sur les dix marchés développés, les produits de spécialité représentaient 39% des dépenses en 2017, totalisant 297 milliards de dollars. La part des spécialités est de plus de 41 % dans les cinq grands pays européens (France, Allemagne, Italie, Espagne, Royaume-Uni) et les Etats-Unis. » Ainsi, conclut l’Institut, « en 2018, les 297 milliards de dollars de dépenses en médicaments de spécialité représenteront 41% des dépenses des marchés développés, contre 172 milliards de dollars en 2013. »
Cette lame de fond est confirmée sur le marché américain où la part de ces produits de spécialité (cf. Tableau suivant) devrait grimper à 50 % d’ici 2022. Cette dernière tendance est tout aussi manifeste sur les 5 marchés leaders de l’Union Européenne, où cette part est également passée de 20 % en 2007 à 40 % en 2016 et devrait atteindre plus de 50 % en 2022. Les autres grands pays développés (Canada, Australie, Japon et Corée du Sud) suivent le même chemin, un peu moins marqué cependant. Seuls les pays « pharma-émergents » voient la part de leurs produits de spécialités plafonner autour de 20 %.
Les plus fortes dépenses engagées sur les produits de spécialités concernent les aires thérapeutiques de l’oncologie (81,1 milliards de dollars en 2017, 115 à 130 milliards prévus en 2022), du diabète (respectivement 72,2 milliards et entre 105 et 115 milliards de dollars), de la douleur (76,1 et entre 80 et 85 milliards de dollars), des maladies auto-immunes (47,5 et entre 65 et 75 milliards de dollars), du respiratoire (38,5 et entre 40 et 48 milliards de dollars), des antibiotiques et vaccins (40,6 et entre 36 et 44 milliards de dollars) ou encore du cardiovasculaire (40,6 milliards et entre 36 et 44 milliards de dollars).
Les 10 principales classes de produits de spécialité représentent à elles seules près de la moitié des dépenses pharmaceutiques actuelles, soit, selon l’Institut IQVIA, 480,9 milliards de dollars en 2017. Elles représenteront en 2022 (cf. Tableau suivant) des ventes mondiales qui se situeront entre 561 et 655 milliards de dollars (455,26 et 531,63 milliards d’euros), en nette croissance.
La France recule dans le classement mondial
Respectivement aux trois premières places en 2012, les Etats-Unis, la Chine et le Japon devraient conserver ce classement en 2022 (cf. Tableau suivant). En 4e position sur cette période, l’Allemagne devance la France en 2012 et en 2017. L’Hexagone devrait toutefois perdre sa 5e place en 2022 au profit du Brésil, qui gagnera deux rang depuis 2012. L’Italie va également chuter d’un rang et le Royaume-Uni conservera sa 8e place dans le classement mondial. Le Canada va sortir du Top 10 en 2022 au profit de l’Inde qui va remonter de la 11e place à la 9e entre 2012 et 2022. Enfin, la Russie, contre toute attente, étant donné ses mauvaises performances en termes de santé publique, remontera du 14 e rang en 2012 à la 12e place en 2022.
Sur l’ensemble des pays concernés par ce classement, parmi les pays développés, seuls les Etats-Unis vont conserver un haut niveau de dépenses en médicaments (autour de 600 milliards de dollars en 2022, soit une croissance annuelle moyenne comprise entre 4 et 7 % sur les années à venir). Les pays leaders en Europe vont connaître une croissance plus faible de leurs dépenses pharmaceutiques, qui vont passer de 154,4 milliards de dollars en 2017 à 170-200 milliards en 2022 (entre 1 et 4 % de croissance). De leur côté, les « pharma-émergents » vont voir leurs dépenses pharmaceutiques bondir de 269,6 milliards de dollars en 2017 à plus de 345 milliards en 2022. Leur taux de croissance annuel moyen sera, sur la période, le plus fort du marché, dans une fourchette comprise entre 6 et 9 %.
L’impact des pertes de brevets aux Etats-Unis et en Europe
Entre 2013 et 2017, les pertes de brevets sur les médicaments de marque ont été de 74 milliards de dollars pour les laboratoires pharmaceutiques propriétaires. Le mouvement va s’accentuer entre 2018 et 2022, période sur laquelle les pertes s’élèveront à 105 milliards de dollars.
« Depuis 2006, les pertes de brevets sur les cinq marchés que représentent la France, l’Allemagne, le Japon, le Royaume-Uni et les Etats-Unis, ont eu un impact annuel supérieur à 16 milliards de dollars, y compris en 2012 lorsque l’impact a réduit la croissance de 42 milliards de dollars », explique l’Institut IMS/IQVIA (3).
Jean-Jacques Cristofari et Anne-Lise Berthier
(1) “2018 and Beyond: Outlook and Turning Points”, IQVIA Institute for Human Data Science, mars 2018
(2) Source : Pharmaceutical spending per capita in selected countries as of 2016 (in U.S. dollars), Statista 2018
(3) “Understanding the Dynamic Composition of Drug Expenditure: A Review of Selected Countries”, 1995-2015. Rapport QuintilesIMS Institute.
Journaliste spécialisé en économie de la santé En savoir plus ...