Agnès Buzyn à la Solidarité et à la Santé : une belle recrue de la société civile pour la société politique et son gouvernement. Edouard Philippe, nouveau Premier ministre du gouvernement Macron, a fait un choix de qualité en nommant à la Santé et aux Solidarités une femme de science, de caractère et de conviction.Elle succède à Marisol Touraine et brûle la politesse à Olivier Veran, neurologue de 37 ans, donné favori pour le poste il y a quelques jours encore. Mais elle aura une partie difficile à jouer en réformant la santé sans disposer réellement de moyens pour le faire.
La professeure Agnès Buzyn, 55 ans, a donc été nommé ministre des Solidarités et de la Santé. Cette spécialiste d’hématologie, d’immunologie des tumeurs et de la transplantation est une habituée des arcanes de la Santé pour être depuis mars 2016 la présidente de la Haute autorité de santé (HAS), après avoir été présidente de l’Institut national du cancer où elle avait été nommée par François Hollande. Femme d’expérience et de science, comme l’a qualifié Libération dans le portrait d’elle dressé à son arrivée à la tête de la HAS, Agnès Buzin devrait faire prendre quelque hauteur aux questions qui agitent le monde de la santé depuis plusieurs années. Les rapports – nombreux – sur le système de santé sont sur la table. Les analyses, tout aussi nombreuses, invitent à des réformes profondes, tant dans le champ de la médecine ambulatoire – interprofessionnelle faut-il même dire – et des soins primaires, où il va falloir envisager de prendre en charge autrement les légions de malades chroniques qui se présentent à la porte, que dans le secteur hospitalier, à bout de souffle et de ressources et qu’il va falloir réoxygéner.
Sur les conflits d’intérêt qui minent les relations des médecins avec l’industrie du médicament, elle déclarait récemment lors d’une rencontre organisée par le cabinet Nile sur le sujet que l’obligation de déclarer tout lien d’intérêt était devenue trop « handicapante » pour certains chercheurs. « Ils ne le supportent plus et refusent de venir aux expertises de l’INCA. On passe notre vie à écrire des mails d’excuses aux experts pour leur expliquer pourquoi on n’a pas pu les retenir à l’analyse de leurs déclarations. » La patronne de la HAS semblait regretter de ne pouvoir accueillir des chercheurs qui ont des liens d’intérêt avec l’industrie pharmaceutique. « On commence à avoir des experts institutionnels qui n’ont plus aucun lien avec l’industrie pharmaceutique et dont on peut se demander, à terme, quelle va être leur expertise, puisqu’ils ne sont plus à aucun “board”», déplorait-elle encore. Les industriels de la pharma pourraient ainsi avoir auprès d’elle une écoute plus attentive !
Un médecin pour la santé !
Il faudra au moins cela, même si les mauvaises langues répètent volontiers et à l’envie qu’il n’en faudrait surtout pas ! Agnès Buzin vient de boucler un séjour fort utile à la tête de la HAS pour se faire une idée des problèmes qui traversent le système de soins. Mais elle aura surtout la difficile tâche de ne pas céder à tous les lobbyistes qui vont se bousculer à sa porte, avec souvent des arrière-pensées pas complètement désintéressées ! Elle hérite surtout d’une réforme inachevée sur une modernisation du système de santé annoncée puis votée par Marisol Touraine sans que cette dernière ne l’ait jamais réellement engagée. Il lui faudra rapidement régler cette épineuse question du tiers payant obligatoire, dont une fraction très libérale des médecins ne veut pas et qui, pour les patients et assurés sociaux, est pourtant le bon sens près de chez soi ! Pour le reste, il faudra attendre de voir comment va s’engager ce nouveau gouvernement avec le discours que devra prononcer Edouard Philippe devant la future Assemble nationale ! Pour l’heure, la parole est une nouvelle fois aux urnes !
Jean-Jacques Cristofari
Les réactions du monde de la santé à cette nomination
A peine nommée, la CSMF, principal syndicat pluri-catégoriel de médecins libéraux, a fait connaitre son inquiétude et son scepticisme face à la nomination de Mme Buzyn. « Sans faire de procès d’intention, la nomination d’Agnès Buzyn est un mauvais signal pour la médecine libérale, souligne la Confédération. Son passé ne rassure pas pour l’avenir. Rappelons que Mme Buzyn préside la Haute Autorité de Santé qui, depuis mars dernier, ne compte plus aucun représentant de la médecine libérale dans son Collège. » Il n’y aura donc pas d’état de grâce à attendre du côté de ce syndicat libéral de médecins.
Chez MG France, on salue plutôt cette nomination d’une femme médecin qui « connaît de l’intérieur le fonctionnement de nos institutions et l’organisation du système de santé français ». Le syndicat des généralistes présidé par Claude Leicher salue la décision prise par le Pr. Buzyn « d’orienter les travaux de la HAS vers les soins primaires [qui] illustre son attention pour ce secteur du système de santé sur lequel il convient désormais d’investir rapidement. » « MG France sera très attentif aux orientations prises et rappellera à la ministre que les solidarités dont elle a la charge passent notamment par l’égal accès aux soins pour tous ». Il n’y aura pas d’état de grâce dans la santé, prévient encore le syndicat qui affirme qu’il sera « très attentif aux orientations prises ».
De son côté, l’Ordre des Médecins dit espérer « que cette nomination permettra de restaurer la confiance et de renouer le nécessaire dialogue entre les professionnels de santé et le gouvernement. » Il suggère de « replacer les médecins au cœur de notre système de soins, construire une réforme concertée avec les professionnels de santé, en s’inspirant des multiples initiatives d’ores et déjà à l’œuvre dans les territoires. » Toutes choses qui devraient « nous permettre de sortir du système hyper administré et centralisé ayant cours aujourd’hui. »
Dans les rangs du monde hospitalier public, on se montre plus constructif : « La Fédération Hospitalière de France sera pour la nouvelle ministre un partenaire constructif, vigilant et ouvert au dialogue, comme nous l’avons toujours été », a déclaré Frédéric Valletoux, président de la FHF, qui ne « doute pas qu’elle saura rétablir une relation de confiance, d’écoute et de dialogue avec la communauté hospitalière dont elle connaît l’engagement au service des patients et des résidents. »
« La nomination d’Agnès Buzyn au poste de ministre des solidarités et de la santé vient aujourd’hui confirmer la priorité affichée par Emmanuel Macron pendant sa campagne en faveur de la prévention et des approches de santé publique, dans la conception et le fonctionnement de notre système de santé rénové », fait savoir le Collectif Interassociatif sur la Santé (CISS). » Nos concitoyens sont en attente d’un exécutif fort capable de résister aux pressions des intérêts particuliers, et notamment financiers, pour servir l’intérêt général « , ajoute le Collectif qui attend de la ministre qu’elle donne la priorité à la prévention et à des actions sur les déterminants de santé.
Journaliste spécialisé en économie de la santé En savoir plus ...