Six des dix leaders de l’industrie pharmaceutique mondiale ont enregistré un chiffre d’affaires supérieur à 30 milliards de dollars (27,27 milliards d’euros) en 2016. Au total, le top 10 de l’industrie pharmaceutique concentre plus de 37 % du chiffre d’affaires de l’industrie pharmaceutique mondiale évalué à 1 104 milliards de $ par IMS Health en 2016. Entre réorganisation des divisions, recherche de relais de croissance via de nouvelles acquisitions et confirmation de nouveaux axes de recherche majeurs, 2016 affiche un paysage pharmaceutique poursuivant sa mutation profonde.
Alors que 2016 se positionne comme une année de transition pour la pharma, les acteurs du top 10 restent les mêmes qu’en 2015. Au sein d’un top 5 au classement inchangé, l’américain Pfizer maintient sa place de leader et continue même à consolider sa position, avec un chiffre d’affaires supérieur de dix milliards de $ (9,2 milliards d’euros) à celui de son suivant direct, Novartis. Les suisses Novartis et Roche, respectivement n°2 (38,8 milliards d’euros) et n°3 (35,87 milliards d’euros), creusent aussi l’écart avec Sanofi (33,82 milliards d’euros) tandis que la distance qui sépare le groupe français de l’américain Merck&Co (31,95 milliards d’euros) s’est réduite de plus de moitié entre 2015 et 2016. En sixième position, Johnson&Johnson (30,42 milliards d’euros) devance maintenant Gilead Sciences (27,62 milliards d’euros) dont les bénéfices ont reculé de 25 % en 2016. Le britannique GSK (25,36 milliards d’euros) maintient sa 8ème place tandis que son compatriote AstraZeneca (20,9 milliards d’euros) perd sa 9ème place au profit d’Abbvie (23,3 milliards d’euros).
Pfizer en quête de nouveaux blockbusters?
Le revers lié à l’abandon de sa fusion avec Allergan en 2015 n’a pas découragé Pfizer, présidé par Ian Read, qui a continué ses emplettes en 2016. Après le rachat de son compatriote Hospira pour 16,1 milliards de $ fin 2015, le leader de l’industrie pharmaceutique mondiale a consacré plus de 21 milliards de $ à l’acquisition de ses compatriotes Anacor et Medivation et d’une partie des activités antibiotiques d’AstraZeneca en 2016. Avec ces opérations, le groupe américain a récupèré deux blockbusters potentiels, Eucrisa® (crisaborole) et Xtandi® (enzalutamide). Le premier est un inhibiteur de la phosphodiestérase 4 autorisé fin 2016 aux Etats-Unis pour le traitement de la dermatite atopique tandis que le second, un inhibiteur des récepteur aux oestrogènes, est déjà autorisé dans le traitement du cancer de la prostate et vise une extension de ses indications dans le cancer du sein triple négatif.
Pfizer, qui a maintenant réorganisé ses activités entre une division « Santé innovante » (vaccins, cancer, inflammation et immunologie, maladies rares et santé grand public) et une division « Santé essentielle » (médicaments ayant perdu ou étant sur le point de perdre leurs brevets, génériques injectables et biosimilaires), a renoué avec la croissance en 2016. Ses revenus ont progressé de 8 %, à 52,8 milliards de $ (48 milliards d’euros), chacune de ses deux divisions ayant enregistré une augmentation significative de leur chiffre d’affaires. Après une forte érosion de ses ventes en 2015, a division « Santé essentielle » reprend le chemin de la croissance, à 23,6 milliards de $ (21,48 milliards d’euros) (+ 7 %). Cette division a bénéficié en particulier de l’intégration d’une année d’activité complète d’Hospira quand le résultat de 2015 n’englobait qu’un seul trimestre de ses ventes. Dans le domaine des biosimilaires fortement renforcé avec le rachat d’Hospira, Pfizer a obtenu l’autorisation de sa version biosimilaire d’Enbrel®, Limfior® (etanercept), en Europe en 2016 et a redéposé à la FDA le dossier de Retacrit® (epoetine alpha) dont le produit de référence est Epogen®. Le groupe mise aussi sur les performances d’Inflectra®/Remsima® (infliximab), version biosimilaire de Remicade® maintenant autorisée au Canada, aux Etats-Unis et en Europe. Son portefeuille compte quatre autres versions biosimilaires des anticorps monoclonaux Herceptin® (trastuzumab), Rituxan® (rituximab), Avastin® (bevacizumab) et Humira® (adalimumab) qui sont actuellement en phase 3.
Au sein de la division « Santé innovante », les résultats atteignent 29,2 milliards de $ (26,5 milliards d’euros, + 9 %), portés en particulier par la forte progression de l’oncologie dopée par les ventes d’Ibrance® (palbociclib – inhibiteur de kinase cycline dépendante CDK 4 et 6). Cette thérapie autorisée dans le traitement du cancer du sein a réalisé des ventes de plus de deux milliards de $ en 2016 et contribue à elle seule à plus de 80 % de la croissance des ventes de la branche oncologie. Dans le domaine du cancer, Pfizer mise aussi sur le potentiel de deux candidats en cours d’évaluation à la FDA, l’inotuzumab ozogamicin, un anticorps conjugué destiné au traitement de la leucémie lymphoblastique aiguë, et surtout sur son produit d’immunothérapie, Bavencio® (avelumab) qui cible un des points de contrôle du système immunitaire (immune checkpoint), PD-L1. Cet anticorps anti PD-L1 développé en partenariat avec l’allemand Merck KGaA vient d’être autorisé par la FDA dans un cancer dermatologique rare, le carcinome à cellules de Merkel. Il est aussi en cours de développement, seul ou en combinaison, dans plusieurs autres cancers (carcinome rénal, cancer des poumons non à petites cellules, cancer des ovaires, cancer urothélial, cancer tête et cou…). L’américain a aussi développé son portefeuille en immuno-oncologie avec l’acquisition d’une licence sur un anticorps anti immune checkpoint, l’ anti CTLA4 ONC-392, développé par son compatriote OncoImmune.
Novartis et Roche à l’heure du cancer et des neurosciences
Depuis la reprise du portefeuille de médicaments anticancéreux de GSK et la cession de ses vaccins 2014, Novartis, sous la direction de Joseph Jimenez, vise à devenir un leader des traitements du cancer. Le groupe helvète a ainsi finalisé une importante réorganisation en 2016 et a scindé sa division pharmaceutique rebaptisée Médicaments Innovants en deux unités. La première est maintenant exclusivement dédiée à l’oncologie tandis que la seconde regroupe l’ensemble des autres aires thérapeutiques (neurosciences, immunologie et dermatologie, respiratoire, cardio-métabolisme et produits établis) de Novartis et les médicaments ophtalmologiques d’Alcon. Les autres activités d’Alcon (lentilles, produits de soins oculaires, équipements pour chirurgie ophtalmologique) ont quant à elles été réunies au sein d’une division spécifique qui conserve le nom d’Alcon. Cette opération pourrait constituer le prélude à la création d’une spin-off, à une introduction en bourse, voire à la cession pure et simple de cette activité que Novartis peine à remettre sur le chemin de la croissance depuis son acquisition en 2010. Quelle que soit l’option retenue, le devenir d’Alcon devrait néanmoins être scellé en 2017.
Alors que son produit phare Glivec® (imatinib) représentait 40 % des ventes de ses médicaments anticancéreux en 2014, le groupe suisse résiste à la perte des brevets sur sa molécule phare tombée dans le domaine public depuis juillet 2015 aux Etats-Unis et depuis 2016 dans les principaux pays européens. Sa division oncologie réalise à elle seule 39 % de ses ventes pharmaceutiques, avec un résultat de 12,8 milliards de $ (11,63 milliards d’euros/ -2 %), Glivec® n’y contribuant plus qu’à hauteur de 25 %. A court terme, Novartis devrait pouvoir miser sur l’arrivée de son inhibiteur de kinase CDK 4 et 6, Kisqali® (ribociclib) qui figure parmi les cinq statuts de « percée thérapeutique » (breakthrough therapy) accordés par la FDA au groupe suisse pendant l’année 2016. Autorisé en mars 2017 aux Etats-Unis pour le traitement du cancer du sein HR+ HER2-, le ribociclib se positionne comme un blockbuster potentiel, à l’instar d’Ibrance® de Pfizer dont il est le premier concurrent direct approuvé (1). Par ailleurs, le groupe helvète devrait aussi trouver de nouveaux relais de croissance avec les extensions d’indications déposées pour plusieurs de ses thérapies ciblées utilisées seules ou en combinaison à l’instar de Zykadia®, Tafinlar® et Mekinist® et les demandes d’autorisation de la midostaurine dans la leucémie myéloïde aiguë. Novartis a aussi marqué un point majeur avec le dépôt de la demande d’autorisation de la première immunothérapie à base de cellules CAR-T, le tisagenleucel-T, qui vise une indication dans la leucémie lymphoblastique aiguë à cellules B récidivante et réfractaire, chez l’enfant et chez l’adulte. Avec 17 thérapies ciblées en développement, Novartis mise sur son expertise dans ce domaine et renforce aussi ses activités en immuno-oncologie. Outre les thérapies CAR-T (Chimeric Antigen Receptor T-cell ou cellules T porteuses d’un récepteur chimérique) dans lesquelles le groupe s’est investi depuis 2012 avec son accord avec l’université de Pennsylvannie, le Suisse dispose d’un portefeuille de 12 produits d’immunothérapie dont trois dirigés contre les points de contrôle du système immunitaire (immune checkpoint) PD-1, TIM-3 et LAG-3 étudiés seuls ou en combinaison. De nouvelles collaborations ont également été établies pour la mise au point d’autres stratégies visant à restaurer la reconnaissance des cellules cancéreuses par le système immunitaires avec les biotech américaines Xencor et Surface Oncology.
De nouvelles demandes d’autorisation devraient aussi être déposées en 2017 dans les domaines des neurosciences, avec les dossiers du BAF312 (siponimod), un modulateur du récepteur de la sphingosine 1-P destiné au traitement de la sclérose en plaques, et de l’erenumab dans la migraine. Cet anticorps monoclonal a été développé avec Amgen, à l’instar du CNP520 auquel la FDA a attribué un statut d’évaluation prioritaire dans la maladie d’Alzheimer. Enfin, Novartis a bouclé l’année 2016 avec l’acquisition de trois sociétés aux Etats-Unis, Ziarco pour son candidat au traitement de la dermatite atopique, ZPL389, Encore Vision pour l’EV06 dans le traitement topique de la presbytie, et Selexys pour son crizanlizumab destiné au traitement de l’anémie falciforme. Le groupe suisse entend aussi maintenir son leadership dans le domaine des biosimilaires et vise le lancement de cinq produits d’ici 2020 sur les principaux marchés. En août 2016, sa division Sandoz a déjà obtenu l’autorisation du premier biosimilaire d’Enbrel® (etanercept) approuvé aux Etats-Unis tandis que les dossiers de son pegfligrastim et de son rituximab biosimilaires ont été acceptés l’année dernière en Europe.
Le groupe annonce mi mai qu’il va fermer deux sites de production en région bâloise d’ici un an et demi. La mesure, qui part du programme de transformation du géant pharmaceutique, entraînera la suppression ou la relocalisation d’un maximum de 500 emplois sur les quelque 10’000 qu’il compte à Bâle. En parallèle, 380 postes seront créés. La restructuration, précise La Tribune de Genève, concerne 162 employés dans la production, 109 dans le développement et 117 dans le domaine de la gestion pharmaceutique (Pharma-Management). Elle vise également 105 collaborateurs des domaines de services.
Du côté de son compatriote et voisin bâlois, Roche, présidé par Severin Schwan, l’oncologie représente 64 % des 35,87 milliards d’euros (39,103 milliards de francs suisses/ + 3 %) des ventes réalisées dans le secteur pharmaceutique en 2016. L’année écoulée a été marquée par l’autorisation et/ou le lancement de quatre nouveaux traitements du cancer, Alecensa® (alectinib) dans le cancer des poumons non à petites cellules ALK+, Cotellic® dans le mélanome, Venclexta®/Venclyxto® (venetoclax développé avec Abbvie) dans la leucémie lymphocytaire chronique réfractaire ou récidivante et enfin, le premier anticorps dirigé contre le point de contrôle du système immunitaire PD-L1, Tecentriq® (atezolizumab) dans le cancer de la vessie et dans le cancer des poumons non à petites cellules. A la seule exception de Cotellic®, l’ensemble de ces médicaments a reçu la désignation de percée thérapeutique de la FDA. Depuis sa mise en place en 2012, Roche a obtenu 14 fois ce statut et se place en tête devant Novartis (11), BMS et Merck&Co (10). Au sein du top 10, le groupe bâlois reste d’ailleurs un des groupes dotés des budgets de R&D parmi les plus élevés de l’industrie pharmaceutique, avec un montant de 9,1 milliards d’euros en 2016, soit 19,6 % de son chiffre d’affaires. Sa R&D en oncologie, dont le groupe suisse est le leader mondial, devrait générer de nouveaux relais de croissance, à court et à moyen terme. Outre Tecentriq® autorisé la même année dans deux indications, Roche dispose d’un portefeuille de dix produits d’immunothérapie en développement en monothérapie ou en combinaison pour lesquels des premières données sont attendues dès 2017. Enfin, les neurosciences constituent le deuxième axe de progression pour le groupe qui a débuté l’année 2017 en fanfare avec l’autorisation d’un nouveau traitement de la sclérose en plaques, Ocrevus® (ocrelizumab), aux Etats-Unis. Cet anticorps monoclonal anti CD20 est le premier médicament obtenant une AMM dans les deux formes de sclérose en plaques, la forme récurrente-rémittente et la forme primaire progressive pour laquelle aucun traitement n’était approuvé jusqu’à présent.
Sanofi veut augmenter sa R&D
Chez Sanofi, 2016 a été placée sous le signe de la mise en place de la feuille de route stratégique annoncée en novembre 2015 et basée sur quatre piliers (réorganisation du portefeuille, grands lancements, innovation dans la R&D et simplification de l’organisation). Le groupe français, piloté par Olivier Brandicourt, s’est attaché à consolider les positions de sa franchise diabète qui représente le quart de ses ventes pharmaceutiques. Alors que les brevets protégeant son produit phare, Lantus® (insuline glargine – analogue d’insuline à durée d’action prolongée) sont tombés dans le domaine public, un premier biosimilaire, Basaglar® d’Eli Lilly et Boehringer Ingelheim, est commercialisé en Europe depuis le 3ème trimestre 2015 et depuis fin 2016 aux Etats-Unis, tandis que l’américain Merck&Co a obtenu l’autorisation d’un nouveau biosimilaire de Lantus®, Ludsuna®, début 2017 en Europe. Les ventes de Lantus® ont d’ores et déjà diminué de 9,4 %, à 5,71 milliards d’euros en 2016 et le recul des ventes de la franchise diabète est évalué entre 5 et 8 % d’ici 2018. Dans ce contexte, l’accent a été mis, d’une part, sur sa nouvelle génération d’insuline glargine Toujeo® et sur une nouvelle combinaison Suliqua® (insuline glargine associée à un agoniste des récepteurs du GLP-1, le lixisénatide) et, d’autre part sur le développement de doubles agonistes. Parallèlement, Sanofi s’est engagé dans le marché des services aux patients diabétiques avec la création d’Onduo, en partenariat avec la division Sciences de la vie de Google, Verily. La société est chargée de développer une plateforme complète de prise en charge du diabète avec des solutions intégrées associant médicaments, dispositifs médicaux, logiciels et services de soins pour la gestion du traitement, l’amélioration des habitudes de vie et la définition des objectifs thérapeutiques des patients. Sanofi mise aussi sur le lancement de deux nouveaux produits développés avec l’américain Regeneron Pharmaceuticals, Kevzara® (sarilumab) dans la polyarthrite rhumatoïde et Dupixent® (dupilumab) dans la dermatite atopique. Autorisé en mars 2017 aux Etats-Unis, cet anticorps sera le concurrent d’Eucrisa® de Pfizer approuvé fin 2016 dans cette même indication. Il vise aussi à moyen terme une indication dans le traitement de l’asthme. Dans le domaine des vaccins, Sanofi, dont la joint-venture avec Merck&Co, Sanofi Pasteur MSD, a terminé ses activités fin 2016, a enregistré une forte progression de ses ventes, à 4,57 milliards (+ 8,8%). Les priorités du groupe s’orientent maintenant vers la poursuite des investissements dans ses capacités de production de vaccins contre la grippe et de combinaisons pédiatriques et vers le développement de combinaisons contre la méningite et de vaccins contre Clostridium difficile. Enfin, Sanofi a restructuré sa recherche en poles thématiques (diabète ; oncologie ; cardiovasculaire et métabolisme ; immunologie et inflammation ; sclérose en plaques, neurologie et ophtalmologie ; maladies infectieuses ; maladies rares) et prévoit maintenant d’augmenter ses investissements en R&D jusqu’à un montant de six milliards d’euros en 2020. Battu dans les dernières lignes droites par Pfizer pour le rachat de Medivation et par Johnson&Johnson pour la reprise d’Actelion, l’industriel français va aussi devoir plus que jamais miser sur ses partenariats. Alors que Sanofi ne compte qu’un seul anticancéreux en phase 3, l’isatuximab, un anticorps anti CD38 pour le traitement du myélome multiple, il devrait notamment pouvoir compter sur les travaux menés avec Regeneron pour le développement d’anticorps dirigés contre les immune checkpoint PD-1 et LAG-3 pour la reconstruction de son portefeuille en oncologie. Enfin, Sanofi veut se constituer une position concurrentielle dans la santé grand public, activité qu’elle a renforcée en finalisant la reprise du portefeuille de Boehringer Ingelheim (suppléments nutritionnels, toux et rhume, santé digestive et douleur) dans ce domaine.
Merck&Co tire partie de l’immuno-oncologie
Parallèlement, Merck&Co, sous la direction de Kenneth Carleton Frazier depuis 2011, a vu ses ventes faiblement progresser, de 1%, à 35,15 milliards d’euros en 2016. Alors que l’efficacité des anticorps ciblant les points de contrôle du système immunitaire a été confirmée dans plus de 25 cancers différents, le groupe américain tire ici profit de son engagement précoce dans l’immuno-oncologie où il se positionne en leader grâce à Keytruda® (pembrolizumab). Cet anticorps anti-PD1 autorisé pour la première fois en 2014 aux Etats-Unis et en Europe en 2015 a atteint des ventes d’1,27 milliard d’euros (1,402 milliard de $) en 2016 et ses indications ont été progressivement élargies du traitement du mélanome à celui du cancer des poumons non à petites cellules et du carcinome épidermoïde de la tête et du cou. De nouvelles extensions d’indications sont prévisibles à court et moyen terme, Merck&Co ayant mis en place un important programme clinique qui évalue le pembrolizumab, seul ou en combinaison, dans plus de 30 types de cancers. Ces développements ont participé à la forte augmentation de ses dépenses de R&D (+51%) et Merck&Co, avec un budget de 9,2 milliards d’euros (10,1 milliard de $), devient l’industriel du top 10 doté du budget de R&D le plus élevé. Le groupe a aussi continué à renforcer le potentiel de son portefeuille en rachetant le britannique Iomet Pharma, actif à la fois dans l’immunothérapie et dans le métabolisme du cancer et en concluant un accord de R&D avec l’américain Moderna Therapeutics pour le développement de vaccins anticancéreux à base d’ARN messager. Enfin, ses résultats ont été tirés par les vaccins dont les ventes ont augmenté de 10 %, à 6,2 milliards de $ (5, milliards d’euros) et par l’autorisation de son traitement de l’hépatite C, Zepatier® (elbasvir et grazoprevir – combinaison d’un inhibiteur de la protéine NS5A et d’un inhibiteur de la protéase NS3/4A du virus de l’hépatite C).
Rachats majeurs pour Johnson&Johnson et Abbvie
Devancé l’année dernière par Gilead, Johnson&Johnson, dirigé par Alex Gorsky, occupe dorénavant la 6ème place du top 10. Ses ventes pharmaceutiques ont repris le chemin de la croissance, à 30,42 milliards d’euros (33,46 milliards de $, + 6,5 %), portées notamment par sa franchise immunologie, en hausse de 15,1 % à 10,63 milliards d’euros (11,97 milliards de $ – 35,7% du CA pharmaceutique 2016), et par sa franchise oncologie dont les résultats augmentent de 23,7% à 5,28 milliards d’euros (5,81 milliards de $). Le groupe anticipe néanmoins une baisse des résultats de sa franchise immunologie en raison de l’arrivée des biosimilaires de Remicade® en Europe et aux Etats-Unis, où Pfizer a commercialisé un premier biosimilaire fin 2016. Les prochains relais de croissance de cette franchise pourraient être le sirukumab développé avec GSK et le guselkumab développé avec l’allemand Morphosys. Ces anticorps dirigés respectivement contre l’interleukine-6 et l’interleukine-23 sont en cours d’évaluation en Europe et aux Etats-Unis pour le traitement de la polyarthrite rhumatoïde et du psoriasis. De nouvelles demandes d’enregistrement sont aussi prévues dans les deux ans à venir dans les domaine du cancer, avec l’apalutamide et le niraparib dans le cancer de la prostate et l’erdafitinib dans le cancer de la vessie. Enfin, Johnson&Johnson est en train de se renforcer dans les domaines cardiovasculaire et métabolique grâce à l’acquisition pour 30 milliards de $, de l’ensemble des médicaments déjà commercialisés et du portefeuille de produits en phase avancée d’Actelion. L’opération lui permet notamment d’intégrer la franchise hypertension artérielle pulmonaire (Opsumit® [macitentan], Tracleer® [bosentan], Uptravi® [selexipag], Veletri® [epoprostenol] et Ventavis®[iloprost]) du Suisse ainsi que son traitement de la maladie de Gaucher, Zavesca® (miglustat). Johnson&Johnson obtient aussi deux produits en phase 3, un candidat au traitement de la sclérose en plaques, le ponesimod, ainsi qu’un nouvel antibiotique, le cadazolid, pour la lutte contre les diarrhées associées à une infection par Clostridium difficile.
Arrivé l’année dernière au sein du top 10 de la pharma mondiale, Abbvie issu de la scission d’Abbott en 2013 et présidé par Richard A. Gonzalez, a déjà progressé d’une place dans le classement. Ses ventes de 23,3 milliards d’euros (25,64 milliards de $/ + 12 %) ont notamment bénéficié des bons résultats d’Imbruvica® (ibrutinib) entré dans le portefeuille d’Abbvie avec le rachat de Pharmacyclics en 2015. Cet inhibiteur de tyrosine kinase est maintenant autorisé dans cinq indications (leucémie lymphoïde chronique, leucémie lymphoïde chronique avec une déletion 17p, lymphome à cellules du manteau, lymphome de zone marginale, macroglobulinémie de Waldenström) et a généré des ventes de 1,63 milliard d’euros (1,8 milliard de $) en 2016. Néanmoins, Abbvie reste fortement dépendant de son blockuster Humira® (adalimumab) dont les ventes, à 14,6 milliards d’euros (16 milliards de $), représentent 63 % de ses revenus en 2016. Le brevet protégeant sa composition expirera en décembre 2016 aux Etats-Unis et en octobre 2018 en Europe. Un premier biosimilaire mis au point par Amgen, Amjevita® est maintenant autorisé en Europe et aux Etats-Unis. Dans ce contexte d’arrivée prochaine des biosimilaires d’Humira®, Abbvie a poursuivi sa politique de rachat et de partenariats en 2016, continuant en particulier à se renforcer dans le domaine du cancer avec l’acquisition de son compatriote Stemcentrx pour 5,8 milliards de $ (5,27 milliards d’euros). La transaction le dote d’un nouvel anticorps conjugué Rova-T (rovalpituzumab tesirine) en cours d’évaluation dans le cancer des poumons à petites cellules et en développement dans les tumeurs solides et d’un portefeuille clinique précoce et préclinique. Abbvie a aussi acquis les droits du risankizumab, un anticorps anti-interleukine 23 développé par Boehringer Ingelheim et en phase 3 dans le psoriasis. L’Américain l’évalue aussi maintenant dans l’asthme, la maladie de Crohn et le rhumatisme psoriasique.
Poursuite de la transformation pour GSK et AstraZeneca
Outre Manche, GSK , piloté par la seule femme du club des 10, Emma Natasha Walmsley (2), a continué à progresser avec des ventes pharmaceutiques en hausse de 5% en 2016. Après le départ en retraite du président Andrew Witty, le groupe britannique est maintenant dirigé par Emma Walmsley, précédemment responsable des produits grand public de GSK. Entrée en fonction en avril 2017, celle-ci aura notamment à gérer l’arrivée potentielle des premiers génériques de son traitement de l’asthme Advair® (fluticasone, salméterol) aux Etats-Unis et à poursuivre la transformation initiée en 2015 lorsque le suisse Novartis a repris l’oncologie de GSK, lui cédant en contrepartie ses produits grand public et ses vaccins. Le groupe britannique est en train de renouveller sa gamme respiratoire avec notamment l’arrivée de Nucala® (mepolizumab) autorisé pour le traitement de l’asthme et en développement dans quatre autres indications (granulomatose eosinophile avec polyangite, dermatite atopique, syndrome hyperéosinophilique, polypose nasale) et la demande d’autorisation d’un nouvel inhalateur pour son traitement de l’asthme et de la bronchopneumopathie chronique obstructive Ellipta®. Dans le domaine des maladies autoimmunes, deux demandes d’autorisation sont en cours d’évaluation en Europe et aux Etats-Unis. La première porte sur une version sous-cutanée de Benlysta® (belimumab) dans le traitement du lupus tandis que le second produit, le sirukumab développé avec Johnson&Johnson, se positionne comme un blokbuster potentiel pour le traitement de la polyarthrite rhumatoïde. Dans le domaine des vaccins qui a réalisé un résultat de 5,63 milliards d’euros (4,6 milliards de £), en hausse de 14 %, GSK développe ses capacités de recherche et a ouvert fin 2016 son nouveau site de R&D, à Rockville (Etats-Unis). 50 millions de $ seront investis dans les deux ans à venir dans ce centre qui abritera une douzaine de programmes cliniques pour des vaccins contre le virus respiratoire syncitial, les streptocoques de groupe B et la dengue. Un nouveau vaccin destiné à la prévention du zona Shingrix® pourrait aussi élargir prochainement la palette de GSK. Sa demande d’autorisation a été déposée en 2016 au Canada, aux Etats-Unis et en Europe et est prévue pour 2017 au Japon. Enfin, GSK est devenu le premier industriel pharmaceutique titulaire d’une AMM pour un produit de thérapie génique. Quatre ans après l’autorisation de Glybera® de la biotech néerlandaise uniQure, l’Europe a approuvé Strimvelis® de GSK pour le traitement du déficit immunitaire combiné sévère dû à un déficit en adénosine désaminase (DICS-ADA ou « bébés bulles »). Cette thérapie ex vivo a été mise au point par la Fondation Telethon italienne et l’hôpital San Raffaele de Milan avec lesquels le groupe britannique dispose d’un accord de licence depuis octobre 2010.
Devancé cette année par Abbvie, AstraZeneca, présidé par Pascal Soriot, ressort la tête de l’eau après avoir subi la concurrence des génériques aux Etats-Unis sur son dernier blockbuster tombant dans le domaine public, Crestor®. Le groupe britannique parachève la transformation de son portefeuille et compte dorénavant douze produits en phase III ou en cours d’enregistrement dans ses trois pôles prioritaires (oncologie, maladies cardiovasculaires et métaboliques, maladies respiratoires). Alors qu’Astrazeneca a consacré 43% de son budget R&D 2016 à l’oncologie, le groupe britannique se positionne maintenant parmi les acteurs les plus plus en pointe en immuno-oncologie avec Merck&Co, BMS, Roche, Novartis et Pfizer. Une première autorisation pourrait être délivrée dès 2017 à son anticorps anti immune checkpoint, le durvalumab, en cours d’évaluation à la FDA dans le traitement du cancer de la vessie. A l’instar des autres anticorps anti immune checkpoint étudiés actuellement, cet anticorps anti PD-1 est en développement clinique seul ou en combinaison dans plus d’une dizaine de cancers dont le cancer des poumons non à petites cellles, le cancer gastrique, le carcinome hépatocellulaire, le mélanome ou le lymphome diffus à grandes cellules B. Une nouvelle demande d’autorisation, cette fois dans le cancer des poumons, est aussi prévue en 2017 aux Etats-Unis. Les dossiers de deux autres médicaments anticancéreux devraient aussi être soumis cette année. Il s’agit de Lynparza® dans le cancer du sein et dans le cancer des ovaires en deuxième ligne et de l’acalabrutinib dans les cancers hématologiques. Cet inhibiteur de la tyrosine kinase de Bruton vient de la biotech californienne Acerta Pharma que le groupe britannique a racheté en février 2016 pour quatre milliards de $. Dans le champ du respiratoire qui représente 22 % des ventes 2016 du groupe à 4,753 milliards de $ (4,31 milliards d’euros), AstraZeneca va déposer la demande d’autorisation au Japon du benralizumab, pour le traitement de l’asthme sévère non contrôlé. Son dossier a été accepté en Europe et aux Etats-Unis et AstraZeneca anticipe la réponse de la FDA au deuxième semestre, tandis que celle de l’agence européenne est attendue pour 2018.
La NASH, nouvelle cible de Gilead
Présent pour la troisième année consécutive au sein du top 10 de l’industrie pharmaceutique, le leader du traitement de l’hépatite C, Gilead, présidé par John F. Milligan, a vu ses résultats se contracter en 2016. Réalisées à 63 % avec les traitements de l’hépatite C, ses ventes reculent de 6,8 %, à 27,62 milliards d’euros (30,39 milliards de $) tandis que ses bénéfices diminuent d’un quart à 12,27 milliards d’euros (13,48 milliards de $). L’année 2016 a été marquée par l’obtention de quatre autorisations de mise sur le marché en Europe et aux Etats-Unis avec Vemlidy® (tenofovir alafenamide) dans l’hépatite B, les combinaisons contre le VIH, Odefsey® (emtricitabine/rilpivirine/tenofovir alafenamide) et Descovy® (emtricitabine/ tenofovir alafenamide), et Epclusa® (sofosbuvir/ velpatasvir) contre le virus de l’hépatite C. Néanmoins, les traitements du VHC étant des traitements curatifs, le groupe s’attend à une poursuite de la baisse de ses ventes et a entrepris d’élargir l’éventail de ses aires thérapeutiques. Dans cette optique, Gilead s’est engagé dans une augmentation massive de ses dépenses de R&D dont le budget s’est affiché en hausse de 69 %, franchissant la barre des cinq milliards de $ en 2016, La progression a été particulièrement sensible au niveau des dépenses cliniques qui ont quasiment doublé, passant de 1,63 milliard de $ (1,48 milliard d’euros) en 2015 à plus de 3,2 milliards de $ (2,92 milliards d’euros) en 2016. Gilead s’est positionné en oncologie, et plus particulièrement dans les cancers hématologiques, avec trois molécules en phase avancée de développement (idelalisib en phase 3, entospletinib et GS-4059 en phase 2). Le groupe a aussi investi le champ de l’immunologie, avec une molécule en phase 3 dans la polyarthrite rhumatoïde, dans la maladie de Crohn et la rectocolite hémorragique, le filgotinib, et deux molécules en phase 2 dans la polyarthrite rhumatoïde. Enfin, Gilead a choisi de tirer partie de son expérience acquise en hépatologie, avec les traitements des hépatites B et C pour s’investir dans la R&D de nouveaux traitements de la stéatose hépatique non alcoolique. Largement ignorée il y a encore cinq ans, cette pathologie plus connue sous son acronyme anglais de NASH (Non alcoolic steatohepatitis) fait maintenant une entrée remarquée dans les portefeuilles des acteurs du top 10. Dans cette indication, Gilead dispose d’un produit en phase 3, le selonsertib, et de deux molécules en phase 2, l’agoniste du récepteur farnesoïde X GS-9674 et l’inhibiteurs de l’acetyl coA carboxylase (ACC) GS-0976, et s’est renforcé avec le rachat de la biotech Nimbus Apollo. Chez Novartis, la piste suivie est aussi celle des agonistes du récepteur farnesoïde X, où le groupe suisse possède une molécule en phase 2, le LJN452. Un accord de licence a également été conclu avec l’américain Conatus Pharmaceuticals dont l’inhibiteur de la caspase, l’emricasan, est aussi en phase 2. Enfin, Johnson&Johnson vient de manifester son intérêt pour la NASH avec la signature d’un accord avec son compatriote Bird Rock Bio pour le développement d’un anticorps dirigé contre le récepteur cannabinoïde 1, le namacizumab.
Anne-Lise Berthier Rédactrice en chef de BioPharmAnalyses
(1) Un troisième inhibiteur de CDK4 et 6, l’abemaciclib, d’Eli Lilly est aussi dans les starting blocks. Le dépôt de sa demande d’AMM à la FDA est prévu au 2ème trimestre 2017 pour le traitement du cancer du sein HR+, HER2-.
(2) Emma Natasha Walmsley, née en juin 1969, est une femme d’affaires britannique, directrice générale de GlaxoSmithKline depuis le 31 mars 2017. En 2016, elle est fait partie de la liste des 50 femmes les plus puissantes selon le magazine Fortune