7 semaines pour refonder le système de santé. Tel est l’objectif que s’est donné le gouvernement le 25 mai, lors de l’ouverture du Ségur de la Santé. L’annonce fait suite à l’engagement pris par le Président de la République le 25 mars dernier, à Mulhouse (1). Mais cette pénultième réforme (2) ne vise que l’hôpital, au coeur de la récente pandémie de la Covid-19, qui attend son plan d’investissement comme son personnel espère une réelle revalorisation des rémunérations.
Le secteur automobile va bénéficier de 8 milliards d’aides diverses. Toutes choses égales par ailleurs, le gouvernement aura-t-il les mêmes largesses pour la branche santé ? La « grande concertation avec les acteurs du système de santé » engagée le 25 mai, vise, de l’avis du Premier ministre à « tirer collectivement les leçons de l’épreuve traversée [avec la pandémie Covid-10] et faire le lien avec les orientations de Ma Santé 2022, en vue de « bâtir les fondations d’un système de santé encore plus moderne, plus résilient, plus innovant, plus souple et plus à l’écoute de ses professionnels, des usagers et des territoires, avec des solutions fortes et concrètes. » Pour y parvenir, le gouvernement a fait le choix de lancer des concertations nationales à travers un « Comité Ségur national » et un « groupe Ségur national spécifique » autour des carrières et des rémunérations, assortis de retours d’expérience dans les territoires à partir du 29 mai et complétés par une consultation en ligne. Nicole Notat, figure bien connue du monde syndical, sera la grande prêtresse du Comité Ségur national, qui réunira les acteurs suivants : institutionnels, élus, Agences régionales de santé, financeurs, représentants des usagers, conférences hospitalières, fédérations hospitalières et médico-sociales ; syndicats hospitaliers ; syndicats de praticiens et professions paramédicales libéraux, représentants des étudiants et jeunes médecins et collectifs hospitaliers. Pas moins de 300 personnes étaient connectées sur le site « Ségur de la Santé » ce 25 mai !
4 piliers pour une refondationLa future réforme engagée au pas de charge, compte tenu des fortes attentes du monde hospitalier, reposera sur quatre piliers : • Pilier n°1 : Transformer les métiers et revaloriser ceux qui soignent ; • Pilier n°2 : Définir une nouvelle politique d’investissement et de financement au service des soins ; • Pilier n°3 : Simplifier radicalement les organisations et le quotidien des équipes ; • Pilier n°4 : Fédérer les acteurs de la santé dans les territoires au service des usagers. On l’aura compris : une fois encore, comme pour la précédente grande réforme de la santé engagée sous Nicolas Sarkozy sous le signe « HPST » (Hôpital, Patients, Santé, Territoires), c’est bien l’hôpital qui mènera le bal, focalisera toutes les attentions et remportera sans doute la mise. Car le Pilier N°4 ressemble à s’y méprendre à un miroir aux alouettes pour des « acteurs de la santé » que le texte ne désigne que vaguement ! Sans compter que les composition du Comité Ségur national et du Groupe Ségur national « carrières et rémunérations » désignent très clairement et prioritairement les acteurs du monde hospitalier.
Les libéraux à l’offensive
L’annonce de la future refondation de la santé n’a pas laissé les professionnels de santé libéraux sans réactions. La veille de la rencontre du Ségur, MG France, comme ses homologues de la CSMF, dénonce le caractère très hospitalo centré et marqué, tant de la réforme annoncée que de la gestion de la crise pandémique. « Si la situation de nos hôpitaux appelle des mesures d’urgence, et notamment une revalorisation du salaire des personnels, pour autant le Ségur de la santé qui s’ouvre ce lundi 25 mai ne doit pas engager une réforme de notre système de santé au détriment des professionnels de santé de ville, note ainsi le syndicat des généralistes MG France, présidé par Jacques Battistoni. La France souffre en effet, et depuis de trop longues années, des insuffisances d’un système de soins trop centré sur les CHU, et d’un investissement insuffisant sur les soins primaires. Ce constat est partagé par la majorité des analystes et des experts. » Il est vrai que depuis de nombreuses années, le syndicat réclame, en vain, un plan d’investissement de l’ordre de 5 milliards en faveur du secteur ambulatoireDe son côté le président des Généralistes CSMF voit dans le plan gouvernemental « un retour d’expérience au sein des hôpitaux pour recenser ce qui a fonctionné, une revalorisation des salaires hospitaliers, une revalorisation des carrières hospitalières, revoir la gouvernance des hôpitaux, et au total un nouveau plan pour l’hôpital dès cet été. » « Une nouvelle fois, tel l’arbre qui masque la forêt, notre système de santé se résumerait à l’hôpital !« , ajoute Luc Duquesnel. Dans les deux centrales syndicales la pilule a du mal à passer tant il apparait évident que les feux de la future réforme porteront sur le monde hospitalier qui, au cours de la pandémie, a subi – et heureusement pu surmonter – les conséquences dévastatrices du désinvestissement massif réalisé dans son secteur depuis plus de 10 ans. Aussi les libéraux n’entendent-ils pas laisser totalement la main à leurs collègues du secteur public, convaincus qu’une refondation de la santé devra passer par une réorganisation entre les tâches et rôles des uns et des autres
Réunis au sein d’une structure commune, la La Fédération des Communautés Professionnelles Territoriales de Santé (FCPTS), les professionnels de santé libéraux ont, dès l’annonce du Ségur de la Santé, également fait cinq propositions. « L’épidémie du COVID-19, comme la crise hospitalière qui l’a précédée, le démontre: les erreurs commises lors de la gestion de cette épidémie proviennent notamment du sous-investissement dans les soins ambulatoires de proximité« , fait savoir la Fédération présidée par Claude Leicher. « Ces erreurs ne se résument pas au problème des masques« , ajoute ce dernier. Forte de de 600 réalisations et projets en cours sur toute la France, qui couvrent peu à peu l’ensemble du territoire, la Fédération entend rappeler qu’il faudra compter sur les « acteurs de la ville » qui n’ont pas démérité durant la crise du Covid-19, bien au contraire, et fait valoir qu’ils ont largement contribué à empêcher la surcharge des services de réanimation. « Les acteurs de ville, se sont organisés dans un véritable “plan blanc ambulatoire” de façon immédiate, avant même le confinement, note la FCPTS, pour protéger les neuf millions de patients de plus de 70 ans qui vivent à domicile (contre 750 000 en EHPAD), les patients atteints de maladies chroniques (12 millions de patients en ALD) : en séparant les flux de malades, en séparant les tournées infirmières COVID + ou -, en maintenant les traitements chroniques sans nouvelle ordonnance, en concentrant les actions du médico-social sur l’aide aux personnes à domicile. » Si les médias se sont largement focalisés sur les réponses apportées par l’hôpital, la Fédération des professionnels de santé libéraux entend ainsi rappeler que ces derniers étaient bel et bien actifs loin des feux de la rampe médiatique.
Redéfinir les missions de l’hôpital
Pour la Fédération, l’épidémie est arrivée sur une crise hospitalière qui traduit l’absence de cohérence entre des missions confiées à l’hôpital, mais qui ne relèvent pas de lui, et des moyens inadaptés à ces missions. « Redéfinir les vraies missions de l’hôpital doit donc être le préalable pour retrouver un hôpital adapté à son époque et bien traitant pour ses personnels. » Pour les acteurs libéraux des soins primaires, l’ambulatoire doit être coordonné avec le secteur médico-social, et prendre en charge les maladies chroniques, le maintien à domicile, la santé publique. « Les demandes de soins non programmés doivent être gérées en commun entre l’ambulatoire et les structures d’hospitalisation. L’hospitalisation doit se charger des urgences graves, des soins lourds et complexes, des avis d’expertises de second niveau. Il faut intensifier la lutte contre les inégalités sociales de santé.
Investir dans l’ambulatoire
Le constat posé, la FCPTS avance 5 propositions en vue de la réfondation à venir de la santé Proposition 1 : accentuer l’investissement dans le travail en équipes coordonnées entre les acteurs de soins primaires, les acteurs de soins secondaires et le secteur médicosocial, sur chaque territoire, sous forme de CPTS, avec l’objectif de couvrir tout le territoire. Proposition 2 : renforcer le projet santé publique des CPTS en créant un « mandat de santé publique territorial » allant au delà des aspects du projet actuel. Chaque CPTS qui le souhaite, doit avoir mandat et capacité à organiser la réponse à un problème de santé publique (épidémie, inégalités sociales de santé, etc…) Proposition 3 : il faut repenser la relation ville – hôpital (et inversement …) et notamment arrêter les consultations hospitalières ambulatoires de suivi des maladies chroniques, et transférer cette activité sur les professionnels de ville et sur tous les autres professionnels. La Fédération propose également dans ce registre de fusionner les maisons médicales de garde et les services d’urgence pour créer des « service d’accueil et d’orientation », et de mettre en place le 116-117 pour gérer séparément urgences vitales (qui relèvent du 15) et les demandes de soins non programmésProposition 4 : tirer les enseignements de la comparaison des dépenses de santé par habitant avec l’Allemagne. Un proposition assortie d’une demande : « Régler les difficultés de l’hôpital est impossible sans organiser l’ambulatoire. Pour aider l’hôpital à se recentrer sur son métier, il faut investir dans l’organisation et la coordination du secteur ambulatoire. »Proposition 5 : réduire d’un tiers les frais de gestion [de l’assurance-maladie ?] pour les ramener à 3,5% de la dépense courante de santé soit cinq milliards d’euros d’économie.
Si les trois premières propositions peuvent paraître de bon sens, les deux suivantes relèvent d’une plaidoirie chère au président de la Fédération en faveur d’une reconnaissance plus marquée des soins primaires. Mais ce dernier secteur n’aura jamais le poids du secteur hospitalier, qui a l’oreille favorable des élus de terrain, plus enclins à soutenir des « murs » bien visibles dans la cité que des acteurs libéraux dispersés dans leur cabinet respectif et sur des territoires disséminés. « L’avenir du système de santé est à la proximité, à la territorialisation des politiques de santé, bien plus qu’à la régionalisation, conclut la FCPTS. Une alliance est nécessaire entre les acteurs ambulatoires organisés et coordonnés en CPTS et les acteurs hospitaliers pour permettre à chacun d’exercer ses missions dans la complémentarité. » Reste qu’en matière de réforme de la santé, depuis des décennies la logique est moins à la rationalité qu’aux stratégies de pouvoir. Rendez-vous en juillet pour connaitre l’issue de la concertation.
Jean-Jacques Cristofari
(1) « L’engagement que je prends ce soir pour eux et pour la nation toute entière c’est qu’à l’issue de cette crise un plan massif d’investissement et de revalorisation de l’ensemble des carrières sera construit pour notre hôpital« , a annoncé Emmanuel Macron à Mulhouse. C’est ce que nous leur devons, c’est ce que nous devons à la Nation. Cette réponse sera profonde et dans la durée.(2) Une bonne trentaine de réformes de la santé se sont succédées depuis le plan Barre de 1976. Elles ont donné lieu à un florilège de rapports de toutes sortes assortis d’une multitude de forum, colloques et autres rencontres au sommet. Elles ont toutes consacré la primauté du secteur hospitalier sur le monde ambulatoire.
Journaliste spécialisé en économie de la santé En savoir plus ...