[singlepic id=113 w=320 h=240 float=left]L’OMS vient de publier un rapport sur l’usage de l’alcool responsable de 4 % des décès mondiaux. La politique de lutte contre l’alcool se durcit au fil des ans, mais ce fléau mondial ne bénéficie réellement pas de réponses adaptées à son ampleur. Analyse.
Au 19ème siècle l’alcool est avant tout un problème social qui, aux yeux des politiques, ne concerne que les classes populaires. En 1915, l’Académie de médecine définit les normes de consommation aux alentours de 50 à 75 centilitres par repas. La consommation d’alcool pur se situe alors à une trentaine de litres par an et par adulte. Trois fois plus qu’aujourd’hui !
Après la victoire de 1918, gagné par le « Père Pinard » qui soutenait le moral des poilus, l’idée s’installe que le vin est bon pour la santé. Les Français se mettent à en consommer beaucoup, jusqu’en 1940. Par la suite, l’alcool possède une image positive et il est perçu comme nourrissant, stimulant. Pour le corps médical, le vin est bon pour la santé, tandis que seul l’alcool (boissons distillées) est toxique. Ce n’est qu’en 1954 que le vin est assimilé à l’alcool. L’alcoolisme devient un problème d’Etat. Mendès-France s’y attaque symboliquement : il fera distribuer du lait dans les écoles, pour apprendre aux plus jeunes à boire sain. Le Haut Comité d’Etude et d’Information sur l’alcoolisme est créé. Des campagnes publicitaires anti-alcool sont organisées. En 1956, le vin est enfin interdit dans les cantines scolaires en dessous de 14 ans ! En 1971, l’alcoologie est enseignée en faculté de médecine.
Quand le vin devient toxique
En 1984, le slogan « Un verre ça va, trois verres bonjour les dégâts » marque les mémoires. Petit à petit, l’alcool perd de son prestige dans les classes favorisées au profit de la préservation de leur santé. Sauf chez les jeunes qui font un usage festif hebdomadaire des alcools forts. Le slogan « Tu t’es vu quand t’as bu !» date de 1991, année de l’interdiction de la publicité pour l’alcool et le tabac avec la loi Evin. En 2001, le slogan sur la toxicité se précise avec : « L’alcool, pas besoin d’être ivre pour en mourir ». En 1998, l’alcool est enfin reconnu comme une substance psycho-active, une drogue dure, au même titre que les autres drogues licites et illicites. En 2004, la loi de santé publique préconise de diminuer la consommation annuelle moyenne d’alcool par habitant de 20 % en passant d’une consommation de 14,4 litres d’alcool pur, par an, par habitant en 1999 à 11,5 litres d’alcool pur, par an, par habitant en 2008, soit – 2,2 % par an. Cet objectif n’a pas été atteint : en 2006 la baisse est de 10 %. Sept ans après la loi (- 1,4 % / an) et après quatre années de baisse, la consommation a même augmenté en 2005 et 2006. En outre durant cette période, ni la proportion des ivresses, ni celle des buveurs excessifs n’ont diminué en France.
Alcool cancérigène
En 2009, la loi HPST (1), alors en débat au Sénat, interdit la vente d’alcool aux mineurs, le rapport Grünfeld met explicitement en cause l’alcool comme grand pourvoyeur de cancers (ce n’est pas la première fois). Les premières observations du lien cancer/alcool datent de 1910. Depuis, il a été largement démontré que l’alcool est cancérigène. Les études ont établi que le risque de cancer dépend de la dose ingérée et non du type de boisson (l’alcool est présent dans toutes les boissons alcoolisées) et que ce risque augmente avec la dose quotidienne. On sait qu’il n’existe pas d’effet seuil. Ce qui signifie que même une consommation modérée augmente le risque de cancer. Il est également démontré que la diminution de l’incidence des cancers liés à l’alcool suit de façon parallèle la diminution de la consommation. Enfin, le tabac multiplie le risque lié à l’alcool. Ainsi pour le cancer de l’œsophage, le tabac seul multiplie le risque par 5 et l’association tabac + alcool par 44 pour les gros fumeurs gros buveurs (2). 80 à 90 % des cancers dits des voies aérodigestives supérieures (bouche, larynx, pharynx et œsophage) sont dus à l’alcool. La majorité des cancers du foie sont liés à l’alcool. Depuis quelques années, on sait que le risque de cancer du sein augmente de 10 % pour chaque verre quotidien et que le cancer du colon est également lié à cette consommation.
Puissant lobby
En France, pour être efficace, les moyens financiers du plan cancer devront être à la hauteur de l’enjeu et les campagnes de publicité anti-alcool devront pouvoir inverser l’image positive et festive que gardent les boissons alcoolisées. Le lobby des alcooliers, plus puissant en France que le lobby des cigarettiers, ne se laissera pas faire. Ce dernier, principalement basé aux USA, avait fort à faire avec les très puissantes organisations de consommateurs américaines qui l’ont fait plier à partir de 1970. La lutte des pouvoirs publics contre l’alcool a simplement du retard sur la lutte anti-tabac, qui s’est montrée efficace, interdictions à l’appui. Si des moyens identiques à ceux déployés contre le tabac sont utilisés, on peut logiquement penser que des mises en garde seront apposées sur les boissons alcoolisées dans quelques années. Si le puissant lobby des viticulteurs et autres vignerons ne vient pas contrarier le projet.
Emmanuel Cuzin
(1) Hôpitaux, patients, santé, territoires
(2) Expertise collective INSERM Alcool effets sur la santé – 2001
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[singlepic id=114 w=320 h=240 float=left]La loi HPST de 2009 interdit la vente d’alcool aux mineurs
Les jeunes sont particulièrement attirés par les effets de l’alcool. Ainsi, la moitié des jeunes de 17 ans ont connu au moins un épisode d’ivresse dans l’année et l’usage régulier des élèves de 15-16 ans augmente de façon inquiétante (1), 7 % des jeunes de 16 ans sont des consommateurs réguliers et 10 % sont ivres régulièrement.
Face à ce constat, la loi Bachelot (HPST) de 2009 consacre un chapitre à la protection de la santé des jeunes (qui doit être protégée). Afin de diminuer l’offre et en conséquence la consommation, la législation sur l’alcool est simplifiée. Désormais, « la vente des boissons alcooliques à des mineurs est interdite (auparavant certains alcools étaient autorisés à la vente aux mineurs de 16 à 18 ans). L’offre de ces boissons à titre gratuit à des mineurs est également interdite dans les débits de boissons et tous commerces ou lieux publics. Le commerçant peut exiger du client qu’il établisse la preuve de sa majorité ». L’article 24, qui interdit les ventes d’alcool au forfait, vise les « open bar » où les jeunes qui peuvent boire à volonté sont exposés à des ivresses massives (binge-drinking). Car entre 2004 et 2007, le nombre d’hospitalisations pour ivresse de mineurs de moins de 15 ans a augmenté de 55 %.
La vente de boissons alcooliques dans les points de vente de carburant est interdite entre 18 h et 8 heures. La vente de boissons alcooliques réfrigérées y est totalement interdite, une mesure qui concerne la bière à emporter souvent destinée à une consommation immédiate.
(1) Enquête ESPAD 2009.
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Diminuer l’alcool pour diminuer les cancers
Le rapport du Pr. Grundfeld, qui prépare le nouveau plan cancer, insiste sur le rôle démontré de l’alcool dans la survenue des cancers. En effet, 10,8 % des cancers de l’homme et 4,5 % de ceux de la femme sont dus au cancer. Ces cancers sont évitables. La lutte contre l’alcool fait ainsi partie intégrante d’une véritable politique de prévention contre le cancer en France, dans le plan cancer 2009-2013. Elle doit s’intensifier et ne plus se limiter à des populations restreintes jeunes, femmes enceintes, conducteurs, précise ce rapport. Le nouveau plan cancer doit faire savoir, haut et fort, à la population générale qui l’ignore, que l’alcool provoque le cancer. Le rapport recommande notamment d’augmenter les prix de l’alcool par la fiscalité (destinée à financer la prévention), de sensibiliser les soignants, de mettre en garde des dangers de l’alcool sur les étiquettes des boissons alcoolisées. Et aussi d’éviter les messages ambivalents tel « à consommer avec modération »…
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[singlepic id=115 w=320 h=240 float=right]L’alcool en France et en chiffres !
Déficit branche maladie de la Sécu en 2010 : 11,5 milliards d’euros (4,2 en 2008).
Coût des soins pour l’alcool : 6,15 milliards d’euros (contre 18,3 milliards pour le tabac).
Coût social estimé de l’alcool : 37,4 milliards d’euros (2,37 % PIB) (contre 47,7 milliards d’euros pour le tabac, soit 3,05 % du PIB)
Usage excessif d’alcool exposant à des difficultés médicales, psychologiques : 5 millions de personnes. Dépendance à l’alcool : 2 et 3 millions de personnes. 40 % des hommes et 10 % des femmes sont des buveurs à risque (1).
L’alcool est responsable de 16 % des décès masculins et 3 % des décès féminins. 52 000 décès/an sont attribuables à l’alcool (44 500 hommes et 7500 femmes) dont un tiers par cancer (17 000). La surmortalité liée à l’alcool en France est supérieure de 30 % à la moyenne européenne ; 10 à 20 % des accidents du travail seraient liés à une consommation excessive d’alcool.
30 % des hommes et 11% des femmes de la clientèle des médecins généralistes seraient des buveurs excessifs. 13% des patients hospitalisés seraient alcoolo dépendants, 3 % sont hospitalisés directement pour ce motif (plus des trois quarts sont des hommes).
50 % des rixes, 50 à 60 % des actes de criminalité, 5 à 25 % des suicides, 20% des délits seraient commis sous l’emprise de l’alcool.
1000 cas /an d’alcoolisation fœtale
(1) Prévalence et facteurs socio-économiques associés aux problèmes d’alcool en population générale en France et al. IRDES Avril 2008.
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L’alcool dans le monde selon l’OMS[singlepic id=116 w=320 h=240 float=right]
En 2005, la consommation annuelle mondiale équivalait à 6,13 litres d’alcool pur par personne âgée de plus de 15 ans. A l’échelle mondiale, un homme sur deux et deux femmes sur trois ne consomment pas du tout d’alcool. Pourtant, près de 4 % des décès mondiaux sont directement liés aux substances éthyliques, principalement par blessures non intentionnelles dans 30 % des cas, cancer (21 %), cirrhose (16 %) ou pathologies cardiovasculaires et diabète (14%).
Les jeunes sont plus durement touchés avec chaque année 320 000 décès entre 15 à 29 ans de causes liées à l’alcool, ce qui représente 9 % de la mortalité totale de ce groupe d’âge. Les hommes sont également plus durement frappés que les femmes puisque 6,2 % des décès masculins sont imputables à l’alcool contre 1,1 % des décès féminins. Les inégalités sont aussi géographiques, en Russie par exemple, un homme sur cinq meurt d’une cause liée à sa consommation d’alcool. Depuis 1999, date à laquelle l’OMS a commencé à rendre compte des politiques en la matière, seuls 34 pays ont adopté des politiques officielles pour réduire l’usage nocif de l’alcool.
Journaliste spécialisé en économie de la santé En savoir plus ...