Le récent rapport de l’IGAS « sur la pharmacovigilance et la gouvernance de la chaîne du médicament », remis le 20 juin au ministre de la Santé préconise quelque 41 recommandations pour « doter la France d’une politique du médicament tournée vars la santé publique ». Certaines ont déjà été ou seront peut-être retenues pour élaborer le futur texte de loi portant réforme du médicament en France. Les trois inspecteurs (1) rédacteurs d’un rapport sans complaisance avec la politique du médicament comme avec les modes de fonctionnement en vigueur dans les structures publiques en charge des produits de santé, reviennent à la charge sur la visite médicale. Une visite qu’ils proposent purement et simplement d’interdire. Le ministre de la Santé, Xavier Bertrand, ne les a pas suivi sur ce terrain.
L’IGAS, nous dit son site Internet, est » le service interministériel de contrôle, d’audit et d’évaluation des politiques sociales pour éclairer la décision publique« . Ses inspecteurs interviennent, nous est-il encore précisé, suite à un « dysfonctionnement impliquant notamment la recherche de responsabilités et/ou de défauts dans les procédures et organisations« . Nos « boeuf-carottes » de la santé viennent ainsi de rendre un rapport de 97 pages, émaillé de 550 paragraphes construits comme autant d’analyses minutieuses sur le fonctionnement actuel et passé de notre système d’administration et de contrôle du médicament, de remarques sur ses dysfonctionnements, ses excès et ses dérapages, de commentaires sur ses dérives, de critiques sur sa gouvernance politique et son absence de pilotage réel, et de propositions aussi brèves que précises pour, qu’enfin, la France puisse se doter d’un système vertueux et efficace.
« L’horreur pharmaceutique »
Car notre vieux pays, dans l’ignorance de tout le mal qu’il peut être amené à se faire à lui même – le masochisme n’est-il pas un principe de vie ?-, a depuis des décennies laisser dériver ses institutions sanitaires publiques, soumises au poids tout puissant de lobbies pharmaceutiques, qui auraient fait la pluie et le beau temps jusque dans les bureaux les plus éloignés des officines administratives, au point d’en faire des monstres froids, corruptibles ou corrompus, autonomisés et incontrôlables, dont l’histoire des années écoulées serait tapissée de décisions contraires au bien public comme à la santé publique. En somme, tous seraient des « idiots utiles » à une seule cause : celle du commerce de médicament !
L' »Horreur économique« , cet essai de Viviane Forrester paru en 1996 qui fit alors grand bruit en remettant en cause les excès et dérives de notre système économique libéral, vient de trouver ici une suite logique. L’IGAS nous dépeint chapitre par chapitre l' »Horreur pharmaceutique« , qui veut que trop de médicaments tuent la santé publique et que l’organisation structurée de sa gouvernance – qui est marquée par son époque, celle de l’avant Mediator – participe à toutes les dérives possibles du développement de la pharma. Certes, les industriels du médicament et leurs actionnaires ne sont pas des philanthropes. Ils mobilisent des moyens, souvent considérables au plan mondial, techniques et humain, pour mettre à disposition des produits de santé qui sortent de leurs centres de recherche ou qu’ils vont chercher dans des centres extérieurs et publics. Ces produits faisaient hier le bonheur de la communauté médicale, trop heureuse de s’appuyer sur un arsenal thérapeutique vaste et généreux pour soigner ses malades. Ils sont aujourd’hui désignés du doigt de la vindicte populaire au motif qu’ils peuvent présenter des « risques » plus que des « bénéfices », que le principe de précaution – et une administration rénovée, dixit l’IGAS – devrait empêcher, et sur lesquels on ne leur dit pas toujours tout. Des produits de santé qui sont aussi l’objet d’un commerce lucratif, qui puiserait ses sources dans une sur-consommation médicamenteuse propre à la France, aux racines lointaines et profondes – souvenons nous des quelques 350 laboratoires pharmaceutiques que comptait la France il y a quelques décennies en arrière -, entretenues par une communication excessive et manipulatrice.
Le rapport de l’IGAS propose des mesures de bon sens, comme « d’évaluer désormais les médicaments candidats à la commercialisation de façon plus stricte en introduisant le critère de la valeur ajoutée thérapeutique« , de « doter notre pays d’une véritable évaluation médico-économique des médicaments« , de revoir et d’adapter notre pharmacovigilance aux évolutions positives conduites par ailleurs en Europe, ou encore de mettre en place de nouveaux outils de surveillance, voire en en développant d’anciens, tels la pharmacoépidémiologie, ce parent pauvre de notre recherche. Bon nombre de ces recommandations figurent déjà au Panthéon des voeux émis à longueur de colloques par des experts, professionnels de santé, académiciens ou politiques. Telle celle de réhabiliter le médicament, son usage et son économie dans la formation initiale des professionnels de santé (recommandation n°37) ou encore celle de constituer un organisme public d’information sur le médicament (n°38). « L’affichage de toutes les contributions des firmes pharmaceutiques à toutes les parties prenantes des politiques de santé, sur le modèle du Sunshine Act américain », une proposition dans l’air depuis quelques mois, re-médiatisée par l’affaire du Médiator, devrait être adoptée rapidement si l’on en croît les dernières déclarations de Xavier Bertrand sur la « Réforme du médicament ». Plus intéressante est la proposition qu’émettent les inspecteurs IGAS de « supprimer la visite médicale » dans notre pays.
Après le « désarmement », le « recyclage »[singlepic id=234 w=320 h=240 float=right]
Car les laboratoires pharmaceutiques opérant en France exercent sur les professionnels de santé une « influence » condamnable, nous expliquent les rapporteurs qui n’en sont pas à leur coût d’essai. En 2007, un précédent rapport (2) proposait le « désarmement commercial » des industries du médicament au bénéfice de la création d’un corps public de visiteurs médicaux (3), chargés d’apporter une parole scientifique sur le médicament, dénuée de toute connotation promotionnelle. L’objectif de « laver plus blanc » la promotion du médicament est devenu une constante dans les projets du corps des inspecteurs de l’IGAS qui entendait il y a deux ans « confier à la HAS la définition et la mise en oeuvre d’une stratégie de promotion publique des bonnes pratiques de prescription. » Dans leur dernier rapport, les inspecteurs reviennent sur le 1,3 milliard d’euros de dépenses de promotion des laboratoires, dont 1,1 milliard concernent les dépenses de personnel (en 2009) pour 18 295 visiteurs médicaux. Si la visite médicale de ville a été assortie en 2004 d’une Charte régissant les modalités de son déploiement auprès des docteurs, ils en dénoncent l’absence d’engagement sur la fréquence de la visite comme l’absence de « disposition crédible » sur la visite médicale à l’hôpital (depuis peu dotée également d’une charte, rédigée par la Haute Autorité de Santé). Cette politique de « désarmement promotionnel » de la part des firmes pharmaceutiques auraient, note l’IGAS, « limité à 4% du total de leurs dépenses celles liées à la visite médicale, comme c’est le cas au Royaume-Uni. » Désormais l’IGAS veut aller plus loin encore et sa recommandation n° 39 propose de « supprimer la visite médicale », au motif que cette dernière « joue un rôle pervers, à la fois inflationniste et contraire à la santé publique ». Les 18 295 visiteurs médicaux à l’encontre desquels l’IGAS précise n’émettre « aucune considération négative sur leur compétence, ni sur l’utilité ponctuelle de leur métier » apprécieront d’apprendre « qu’il n’y a plus d’alternative à la suppression de la visite médicale » ! En contrepartie de leur éviction du paysage, les médicaments verront leur prix diminuer « à due concurrence », l’économie « liquidée » étant recyclée sur un triple registre :
1) « pour financer le développement professionnel continu par les universités et par des réseaux professionnels désormais indépendants des firmes »;
2) « pour financer la politique d’information publique coordonnée et pratique vers les professionnels de santé décrite précédemment »;
3) enfin dans celui « de la recherche publique et privée en faveur du médicament ».
Après l’ère de la régulation, nous voici entré dans celle du recyclage des moyens. L’Horreur pharmaceutique va enfin trouver son écologie ! Et pour mieux se faire comprendre, les inspecteurs de l’IGAS précisent encore qu’ « il est encore une fois incompréhensible, au moment où les ressources publiques sont rares, que les cotisations d’assurance maladie soient consacrées à des combats commerciaux et non à la recherche prioritaire ». Fermez le banc, circulez, il n’y a plus rien à promouvoir ! Les consommateurs n’ont plus qu’à exiger la suppression des publicités de Danone pour faire baisser les prix des yaourts.
L’après Médiator
Soutenue par Martin Hirsch (4), fondateur de l’Agence des solidarités actives, la recommandation 39 de l’IGAS se propose donc de licencier 18 295 personnes employées dans les laboratoires pharmaceutiques ou chez leurs prestataires, avec pour effet collatéral de réduire l’activité – et de mettre au chômage – du personnel support des VM comme celle des agences de communication et de relations humaines qui travaillent pour cette même visite. Un emploi dans la pharma induit deux emplois hors de ses rangs, nous dit le LEEM. Ce qui équivaudrait à gonfler les rangs de Pôle Emploi de quelque 36 000 demandeurs supplémentaires. Chercher à tirer le meilleur bénéfice des réseaux de visite médicale (notamment dans la pharmacovigilance), à améliorer leur mission, en l’élargissant à ces produits dont ils n’assurent plus l’information de longue date et qui finissent par être mesutilisés par les médecins, ne figure pas au nombre des hypothèses de travail. Pas question donc de conforter les VM dans leur rôle de « délégué à l’information médicale » sur de nouveaux terrains. Une hypothèse qui n’est pas davantage retenue par des inspecteurs qui veulent, avec leurs amis de Prescrire ou de Que Choisir, « liquider » purement et simplement la visite médicale, ultime avatar de « l’Horreur pharmaceutique » que décrit leur rapport. Le ministre du Travail, de l’Emploi et de la Santé, n’a heureusement pas retenu cette disposition radicale et propose de » lancer une concertation pour revoir de fond en comble la visite médicale ». « Parce que telle qu’elle existe aujourd’hui, note Xavier Bertrand, cela ne peut pas fonctionner. » Le message doit être entendu par les industriels. La visite médicale devra donc revoir ses fondamentaux et s’exercer dans un cadre plus collectif qu’individuel. Elle gagnera à élever la qualité de ses prestations, seule alternative possible à sa suppression. Certains laboratoires s’y préparent déjà. L’heure de l’après Mediator a déjà sonné.
Jean-Jacques Cristofari
(1) Dr Anne-Carole Bensadon, Etienne Marie, Dr Aquilino Morelle
(2) Rapport IGAS « relatif à l’information des médecins généralistes sur le médicament », présenté par MM. Bras et Ricordeau et Mmes Roussille et Saintoyant, septembre 2007.
(3) Le rapport 2007 préconise ainsi de « constituer un réseau de médecins sentinelles chargés de l’observation de la visite médicale », de « poursuivre dans la voie engagée en 2007 d’un réseau médicalisé de DAM », d' »accroître la productivité du réseau des DAM et de développer les analyses d’impact et d’efficience pour son pilotage ».
(4) « Mediator et visite médicale : Plainte contre l’IGAS ? », sur son blog le 22 juin 2011
Journaliste spécialisé en économie de la santé En savoir plus ...