L’ancien ministre de la santé rappelle qu’il avait mis au point un plan global de lutte contre les épidémies et tire les leçons de la gestion de la crise actuelle. Entre plaidoyer pro-domo et vision stratégique.
Titré « Maladie française » et sous-titré « Pandémie : et pourtant tout avait été préparé »(1), le livre de Philippe Douste-Blazy, sur la crise du Covid-19 aurait pu s’intituler « Chronique d’un naufrage annoncé.
De fait, revenant notamment sur l’affaire des masques, le retard à l’allumage sur le dépistage et l’engorgement des hôpitaux, l’ancien ministre de la santé apporte sa contribution au « bashing » contre le Président Macron et les deux gouvernements successifs qui gèrent la crise. Même s’il reconnait qu’ils ont dû affronter celle-ci dans un pays qui n’était pas ou plus exactement n’était plus préparé, alors que tout l’avait été….
Qu’est-ce à dire ? L’ancien ministre revient largement sur le plan d’action contre une épidémie qu’il avait préparé et avait fait valider lorsqu’il occupait le fauteuil de l’avenue de Ségur en 2004. En effet, ce plan – publié en annexe du livre – est global. De la mise en place de structures adhoc, d’une chaîne de commandement jusqu’à la mise en alerte des structures de soins, tout y est, y compris la constitution de stocks stratégiques de masques, outils indispensables pour lutter contre toute maladie virale.
Lancé par lui-même et maintenu par ses successeurs immédiats, il a permis à Roselyne Bachelot de lutter efficacement contre la grippe H1N1. Trop peut-être ? Elle a été brocardée par les médias pour avoir été trop alarmiste et avoir lancé une campagne de vaccination collective. Une commission d’enquête parlementaire et un rapport de la Cour des comptes l’ont accablée pour avoir commandé 94 millions de doses de vaccins dont 6 seulement ont été utilisés, ce qui est apparu comme un gaspillage de l’argent public.
On connait la suite. Pour des raisons budgétaires, le stock de masques a été détruit et l’organisation de la riposte à une pandémie démantelée, l’EPRUS – le bras armé de cette stratégie – étant réduit à néant.
Ce rappel circonstancié et détaillé de cette histoire est-il innocent ? Et si, Philippe Douste-Blazy était dépité de constater que Roselyne Bachelot a profité de la crise du Covid-19 pour être et se faire réhabiliter pour sa bonne gestion de l’épidémie de H1N1 ? Or, elle a pu mener cette action grâce à la stratégie de long terme qu’il avait lui—même mis en place, ce que personne n’a songé à rappeler…
Comme dit l’adage, on n’est jamais si bien servi que par soi-même.
Mais, foin de ces mauvaises pensées. A 67 ans, l’ancien ministre s’est éloigné de la politique pour se consacrer à des actions de santé publique au niveau mondial.
En 2006, il a créé – sous l’égide de l’ONU – UNITAID, afin de faire baisser les prix des médicaments pour des maladies aussi lourdes que le SIDA, le paludisme, la tuberculose pour les rendre accessibles aux populations les plus pauvres du monde. Le moyen de cette action : une petite taxe sur les billets d’avion. « Plus de 100 millions de personnes à travers le monde bénéficient désormais des innovations d’UNITAID chaque année », note-t-il dans son livre. « C’est à la fois, pour cette raison, un grand succès mais aussi un grand échec puisque seulement 10 pays ont accepté de rentrer dans le jeu » confie-t-il
Sur le modèle d’UNITAID, il a décidé de créer UNITLIFE. Également, sous l’égide de l’ONU, ce fonds aura pour objectif de lutter contre la malnutrition chronique. Le financement reposera sur des micro-donations volontaires proposées aux acheteurs par les géants du e-commerce.
« Cette maladie est une véritable injustice pour des millions de femmes et d’enfants. Elle est directement liée à l’extrême pauvreté en raison de la carence en vitamines B et en protéine. Les femmes pauvres ne peuvent acheter ni légume, ni viande, ni poisson. Or, une des principales conséquences de cette maladie est de diminuer de 30% les connexions entre les cellules cérébrales, entrainant des baisses de quotient intellectuel » écrit-il. Or, 185 millions d’enfants de moins de 5 ans, essentiellement en Afrique subsaharienne sont atteints par cette déficience mentale.
L’affaire Raoult : entre passions et de polémiques
Philippe Douste-Blazy revient longuement sur la polémique – l’affaire pourrait-on dire – Didier Raoult auquel le lie une amitié de 20 ans et qui d’ailleurs rédige la préface du livre.
L’ancien ministre défend le fougueux marseillais en expliquant que ses succès dans la lutte contre le Sras-Coronavirus 19 tient moins au produit lui-même – la désormais fameuse hydroxychloroquine – que dans une stratégie qui consiste à dépister très tôt et à administrer très en amont le cocktail.
Présenté ainsi, on se demande bien pourquoi la proposition du Pr Raoult a déchaîné autant de passions et de polémiques. L’essai non randomisé sur lequel est fondé l’argumentation du médecin ? Philippe Douste-Blazy explique qu’il s’agit d’une étude d’observance et que l’urgence ne permettait pas de faire des études en double aveugle qui nécessitent du temps. Cela peut s’entendre.
Alors, pourquoi tant de haine ? L’ancien ministre passe un peu rapidement sur les essais cliniques internationaux, de type Discovery, qui ont écarté l’hydroxychloroquine faute de résultat. Bien sûr, il y a l’épisode Lancet – une vraie aubaine pour les pro-Raoult -, cette étude bidon qui achève de décrédibiliser cette revue autrefois de référence. Mais, en face, il y a toutes ces études qui ont conclu à l’absence d’efficacité de l’hydroxychloroquine contre laquelle l’ANSM vient de refuser une RTU (Recommandation d’utilisation temporaire) parce que « à ce jour, les données disponibles, très hétérogènes et inégales, ne permettent pas de présager d’un bénéfice de l’hydroxychloroquine, seule ou en association, pour le traitement ou la prévention de la maladie Covid-19 ».
Philippe Douste-Blazy n’évoque pas non plus les arguments de certains virologues et infectiologues comme Karine Lacombe, chef du service d’infectiologie de l’hôpital Saint-Antoine de Paris selon lesquels Didier Raoult ne soignerait que des patients qui ne sont pas malades.
Il ne souligne pas non plus que Didier Raoult a qualifié au début l’épidémie de « grippette », qu’il a dit que le virus était saisonnier, qu’il disparaitrait aux beaux jours, qu’il n’a pas cru à la deuxième vague et qu’à la fin de l’été, au début justement de la deuxième vague, le taux de circulation et d’infection du virus s’est révélé être plus élevé sur la Canebière que sur les Champs-Elysées.
Admettons, malgré tout cela, que la proposition du directeur de l’IHUM de Marseille constitue une réponse possible au virus. Était-il nécessaire que Didier Raoult se présente comme un druide ayant trouvé la potion magique et non comme un médecin ayant une possible solution ? Était-il nécessaire qu’il traite tous les médecins de la terre d’incapables ? Était-il nécessaire qu’il accuse ses confrères parisiens – Ah Paris ! unique objet du ressentiment de tout Marseillais qui se respecte – d’avoir sacrifié leurs patients ? Et si, le principal, le plus terrible ennemi de Didier Raoult était… Didier Raoult ?
La santé, variable d’ajustement budgétaire
Philippe Douste-Blazy dresse par ailleurs un constat – que l’on ne peut que partager – sur l’absence, dans ce pays d’une politique de santé publique, sur le maëlstrom des structures qui se battent entre elles et travaillent en silos. Les métiers liés à la santé publique comme la santé scolaire et la médecine du travail sont dépréciés.
Et l’éducation à la santé n’est médiatiquement, ni politiquement porteuse. Il raconte les difficultés qu’il a eu à faire passer une réforme visant à informer les consommateurs sur les risques des produits trop riches en sucre. Littéralement mandaté par le lobby agro-alimentaire, le patron d’une très importante agence de communication est venu le voir pour lui demander de retirer son projet. Et un jour, « il reçoit un appel du patron d’une chaîne de télévision qui lui dit : vous voulez continuer à être invité au JT de 20 heures, Monsieur le ministre ? Alors, vous devez reculer sur votre projet qui déplait à nos annonceurs. N’ayant pas eu gain de cause, ils n’ont reculé devant rien et j’ai reçu un appel du cabinet du chef de l’Etat me demandant si je savais ce que je faisais » écrit Philippe Douste-Blazy qui reconnait avoir dû assouplir – pour ne pas dire édulcorer – son projet pour le faire passer.
Variable d’ajustement budgétaire, la santé – parce qu’on s’est longtemps flatté d’avoir le meilleur système du monde – ne fait pas partie des actions publiques stratégiques et du domaine régalien.
Rêvons un peu, juste un instant. Et si la crise du Covid-19 rebattait les cartes et mettait la santé au rang des priorités de l’Etat ? Serait-ce l’espoir secret de l’ancien ministre ?
Philippe Rollandin
(1)Philippe Douste-Blazy « Maladie française. Pandémie : et pourtant tout avait été préparé ». Ed L’Archipel. 20 €