Depuis trois années, les pharmacies de ville et de campagne ont vu leurs marges se dégrader, au point de mettre en péril leurs entreprises et de provoquer des faillites et fermetures en série. Les négociations engagées depuis janvier entre les représentants de la profession avec l’Assurance maladie, autour d’un nouveau mode de rémunération assis pour l’essentiel sur des honoraires, vise à permettre de déboucher sur un nouveau modèle économique qui soit de nature à assurer leur pérennité. Mais pour l’heure l’objectif est loin d’être atteint et l’inquiétude grandit dans les rangs de la profession.
De 26,073 milliards d’euros en 2014, les officines françaises ont vu leur chiffre d’affaires en médicaments remboursables tomber à 25,619 milliards en 2016. Cette chute de 1,74 %, observée après deux années de réformes engagées entre l’Assurance-maladie et les syndicats de pharmaciens, s’est accompagnée d’une baisse encore plus forte des marges des professionnels du secteur : de 5,494 milliards d’euros en 2014, celles-ci sont tombées à 5,324 milliards l’en passé, soit une diminution de 3,11 %. La baisse des ventes de produits remboursés – qui constituent l’essentiel du chiffre d’affaires des officines – n’aura pas été compensée par un quelconque décollage des ventes de médicaments en accès libre et désormais les officines n’entendent plus laisser les plans successifs d’économies sur les dépenses de santé mettre progressivement en péril leurs entreprises. En janvier dernier, les pharmaciens décident donc de baisser leur rideau et à manifester devant les caisses primaires d’assurance-maladie pour faire connaître le malaise que traverse leur profession. « « Nous sommes d’accord pour nous réformer, mais nous voulons un financement et de la visibilité sur l’avenir », explique Gilles Bonnefond, le président de l’Union des Syndicats de Pharmaciens d’Officine (USPO) à l’origine de la contestation.
En 2015, la réforme de la rémunération des pharmaciens a permis de réduire quelque peu l’impact des mesures de maîtrise du coût du médicament – par des baisses de prix – sur les pharmacies, estimé à 198 millions d’euros. Les « honoraires de dispensation » introduits en 2015, dont le montant n’est plus lié au prix des médicaments, auront eu « un effet protecteur avéré sur l’économie officinale », considère l’Union Nationale des Caisses d’Assurance-maladie (UNCAM). Ainsi quelque 2,5 milliards d’euros ont été transférés du système de rémunération à la marge antérieur pour être affectés au nouvel honoraire accordé aux pharmaciens. De plus, un honoraire à l’ordonnance complexe (comportant au moins cinq lignes) a également été mis en place, financé par une enveloppe supplémentaire de 44 millions d’euros.
Mais 2017 ne se présente pas sous de meilleurs auspices : des baisses de prix décidée en décembre dernier par le Comité Economique des Produits de Santé (CEPS) sur les princeps comme sur les génériques, sont entrée en application le 1er février dernier. Objectif : obtenir 225 millions d’euros d’économies supplémentaires sur les dépenses en médicament. « Avec cependant pour effet d’en faire payer 123 par les officines », note dans ce registre l’USPO. La négociation qui s’est engagée au cours du premier trimestre 2017 entre l’Assurance-maladie et les syndicats représentatifs de la profession est bornée par trois objectifs fixés par l’ancienne ministre de la Santé, Marisol Touraine.
Répondre aux mutations du métier
Celle-ci entendait mettre en oeuvre une modification des conditions de la rémunération des pharmaciens sur un double registre : en premier lieu en s’appuyant sur l’honoraire de dispensation et la Rémunération sur objectif de santé publique (ROSP) et en poursuivant la transformation de leur rémunération pour atténuer l’impact des baisses de prix ; ensuite en négociant des ajustements économiques au cours des cinq ans de la convention, en cas de nouvelles baisses de prix. La ministre veut également permettre « une meilleure prise en compte des missions des pharmaciens dans le conseil et l’accompagnement des patients », par la diversification de leurs missions (prévention de l’iatrogénie, lutte contre le tabagisme, vaccination ou lutte contre l’antibiorésistance notamment). Enfin, la feuille de route propose d’« accompagner les évolutions nécessaires du réseau, en particulier à travers l’aide ciblée à certaines officines indispensables dans les territoires sous-denses et qui présentent des signes marqués de difficulté économique ». La Fédération des syndicats de pharmacien de France (FSPF) a, sur ce point communiqué ses revendications au ministère de la Santé, le 23 décembre dernier. Elle souhaite ainsi un engagement financier pluriannuel de l’Etat sur la durée de la convention, la création d’honoraires complémentaires aux deux euros pas ordonnances, en plus des honoraires et de la marge dégressive lissée actuels. Elle demande également la mise en place d’une rémunération pour les interventions du pharmacien sur l’ordonnance, la tenue du dossier du patient (DP, DMP), les complexités spécifiques de certaines dispensations, la coordination des soins ou encore la préparation des doses à administrer. Enfin, elle met sur la table des négociateurs le paiement simplifié, rapide et inter-régime des entretiens pharmaceutiques. « L’objectif pour la FSPF est d’obtenir une convention juste et ambitieuse, complétée de mesures immédiates pour répondre aux difficultés des officines », fait savoir le syndicat en ouverture des discussions.
Virage à négocier
Du côté de l’USPO, la demande d’une « réforme ambitieuse » est également à l’ordre du jour. « Nous ne pouvons pas entrer dans une négociation sans une enveloppe pluriannuelle sur 5 ans, permettant de gérer l’ensemble de la rémunération des pharmacien », plaide son président. « Sans visibilité, nous ne pourrons pas réussir ». Aux yeux des centrales syndicales, il ne fait plus de doute que le métier de pharmacien a changé. Ce dernier doit accompagner le sujet âgé et les patients chroniques, lutter contre la iatrogénie, assurer le bon usage du médicament, faire de la détection et de la prévention des maladie, s’inscrire dans la coordination des professionnels de santé entre la ville et l’hôpital. Toutes choses que la rémunération à la boite ne peut plus assurer et qui nécessitent des honoraires adaptés. « Le virage à négocier est bien le passage du rôle de dispensateur de boites à celui d’accompagnement du patient, sans pénaliser financièrement la pharmacie ».
« L’économie de l’officine est mise à dure épreuve et je ne conteste pas sa dégradation par rapport aux années précédentes », confie en octobre dernier Nicolas Revel, directeur de l’UNCAM lors des 9è rencontres de l’USPO. « Il faut maintenant désensibiliser la rémunération de l’officine de l’évolution des prix, ajoute ce dernier en précisant : le premier objectif sera donc de la diversifier. » Le patron des caisses maladie estime même que « la demande de visibilité quinquennale est légitime » Mais il demande à ce que soient intégrés dans les calculs la totalité des activités de l’officine.
« La marge du pharmacien n’évoluera plus vers le haut ou très peu. Il apparaît clairement aujourd’hui que la rémunération doit se déconnecter de la marge commerciale sur les produits», explique de son côté Stéphane Sclison, directeur stratégie chez IMS Health, à la veille du congrès national des pharmaciens de la FSPF, en octobre dernier. « Les entretiens pharmaceutiques, le suivi de l’observance des patients notamment, représentent un gisement d’efficience formidable », ajoute ce dernier. Encore faut-il pouvoir évaluer la prestation rendue. « C’est un gros chantier qui s’ouvre en termes de pharmaco-économie, indispensable à mener pour pouvoir garantir aux pharmaciens une rémunération juste ». Le constat est partagé par d’autres, dont Olivier Babeau, économiste et professeur de sciences de gestion à l’Université de Bordeaux : « Aujourd’hui, il n’est plus possible de fonder cet avenir sur la marge appliquée sur les médicaments. Un modèle se dessine où, à la vente de produits va se substituer la délivrance de services. Le pharmacien devra donc penser son métier différemment et devenir un des acteurs incontournables de la santé connectée et de tout l’écosystème qui s’organisera auteur d’elle ». Ainsi, à la veille de la présidentielle, les syndicats ont eu à engager des négociations qui engageront la profession pour les 5 années à venir. « Comment espérer un meilleur timing pour débattre, pour échanger et surtout pour préparer ensemble le projet d’avenir que la Fédération portera au nom de tous les pharmaciens », confie dans ce cadre le président de la FSPF, Philippe Gaertner.
Prolongations
A la veille des élections pour la présidentielle, qui ont porté Emmanuel Macron au pouvoir, la négociation n’était pas bouclée. Certes, un protocole d’accord a été présenté le 27 avril à la signature des syndicats qui prolonge les négociations conventionnelles avec l’Assurance-maladie jusqu’en juillet 2017. « Il concrétise les avancées obtenues sur le métier et les dispositions relatives au tiers payant et nous permet de poursuivre les négociations sur la partie économie », commente Gilles Bonnefond, qui espère toujours obtenir « une réforme conventionnelle ambitieuse, permettant l’évolution de l’exercice de la pharmacie d’officine et de sa rémunération jusqu’en 2021, applicable dès l’année 2018 ». Mais le syndicaliste sait aussi que ce qui n’a pas été obtenu hier sera difficile à obtenir demain. Surtout avec un président qui projette de réaliser 15 milliards d’économies dans le secteur de la santé et de généraliser la vente à l’unité de certains médicaments. « Quelle sera votre politique pour demain ? », interroge la Fédération des Syndicats Pharmaceutiques de France à l’adresse d’Emmanuel Macron. « Quel investissement financier serez-vous prêt à consacrer au réseau officinal lors des négociations conventionnelles qui se poursuivront après les élections législatives ? » demande encore le syndicat présidé par Philippe Gaertner.
« La convention avec l’Assurance-maladie devra opportunément contribuer à faire évoluer votre profession en cohérence avec les objectifs de santé publiques qui sont les nôtres », lui répond le nouveau président. Autant dire que la partie est loin d’être gagnée pour les officinaux ! « Il y a urgence, il ne faut pas désespérer une profession prête au changement », insiste de son côté Gilles Bonnefond dans une autre lettre, adressée cette fois à la nouvelle ministre de la santé, Agnès Buzyn. « Cette réforme modifiera en profondeur la rémunération et le métier de la pharmacie d’officine, et la profession souhaite la mettre en œuvre rapidement, poursuit le patron de l’USPO. Nous devons saisir cette opportunité. Les pharmaciens ne pourront pas supporter une année supplémentaire dans les conditions actuelles. »
Car les chiffres du marché officinal ne sont pas bon au terme de ce premier trimestre qui voit les ventes sur prescriptions marquer une nouvelle baisse à – 0,6 %, à fin mars sur un an et les génériques reculer de 0,5 % sur la même période. Les ventes de médicaments en accès libre ne progressent plus non plus. Elles régressent au contraire de- 5 % ! C’est la Bérézina pour le réseau officinal qui commence à percevoir très clairement qui faut changer de modèle, et rapidement. « Le « modèle officinal français » fait sa mutation et met son modèle économique en cohérence avec son statut institutionnel d’acteur de santé publique, commente l’économiste Claude le Pen (1). C’est certainement une bonne chose, mais sa survie n’en est pas pour autant garantie », conclut ce dernier.
Jean-Jacques Cristofari
(1) PharmaNews, avril 2017, QuintilesIMS
Les patients prêts à payer des services
Le pharmacien reste aujourd’hui le premier recours de soin des patients dont 96 % estiment qu’avoir une pharmacie de proximité est indispensable. C’est ce qui ressort de l’enquête menée par Avenir Pharmacie (1). Si 70 % des pharmaciens interrogés s’estiment heureux dans leur travail – en particulier dans les rangs des jeunes de 25 à 34 ans qui disent l’être à 86 % -, ces derniers ne sont pas pour autant optimistes quant à leur avenir : 39 % pensent ainsi que 2017 sera pire que l’année précédente, 29 % qu’elle sera pareille et seulement 13 % qu’elle sera meilleure. Du côté des patients interrogés, seulement un tiers s’estime bon observant de leur traitement et un peu plus d’un tiers serait intéressé par la préparation d’un pilulier par le pharmacien chaque semaine (38 % jugent ainsi ce service utile ou très utile).
Un patient sur cinq serait même prêt à payer pour ce service, les équipes d’officinaux estimant même que 30 % des patients seraient prêts à payer la somme de 5 euros à cet effet. Les patients à 80 % font confiance à leur pharmacien pour les aider à bien prendre leur traitement. 66 % estiment qu’un entretien de 15 minutes les intéresserait dans ce cadre et si, ce service était honoré, 63 % des titulaires d’officine le proposeraient très probablement.
Par ailleurs, si les 2/3 des patients jugent la prise de rendez-vous avec leur médecin généraliste plutôt facile, près de la moitié d’entre eux (49 %) seraient intéressés pour se faire aider par leur pharmacien à ce sujet. Les pharmaciens interrogés sur ce sujet ramènent la proportion de patients intéressés à 38 %.
Par ailleurs, patients (à 92 %) et pharmaciens (à 98 %) se disent convaincus de la nécessité d’une bonne communication entre l’équipe officinale et les professionnels de santé. Dans ce cadre et pour faciliter les relations entre professionnels de santé, les 2/3 des patients se disent intéressés par un entretien de 15 minutes avec leur pharmacien pour préparer leur retour d’hospitalisation.
Enfin, un patient sur deux se dit intéressé par la livraison à domicile des médicaments et autres produits de santé. Les 2/3 vont même plus loin et se déclarent intéressés par l’envoi des ordonnances par Internet et la récupération des médicaments sans faire la queue, si leur pharmacien leur proposait ce service. Et si ce dernier l’était, ils seraient prêts à le payer 5 euros pour en bénéficier. L’achat de médicaments sans ordonnance sur Internet séduit à peine 23 % des patients. Le pharmacien demeure à cet égard un partenaire privilégié par les patients.
(1) Enquête Opinionway, réalisée entre janvier et février 2017 auprès de 4043 patients, 521 pharmaciens et 197 équipes officinales, auprès d’un chantillon de patients, national représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus s’étant rendue en pharmacie au cours des 2 dernières semaines.
Journaliste spécialisé en économie de la santé En savoir plus ...