[singlepic id=974 w=320 h=240 float=left]Dans son dernier rapport sur les professions réglementées, particulièrement ciblées par Bercy pour réaliser des économies, l’Inspection générale des finances (IGF) préconise purement et simplement la fin du monopole des pharmaciens sur la vente de certains médicaments, en particulier ceux qui ne sont pas remboursés par l’assurance-maladie. Déjà mises à mal par une baisse généralisée des ventes de médicaments prescrits qui a fortement impactée leurs marges, les officines sont une nouvelle fois dans le collimateur des pouvoirs publics, qui semblent avoir du mal à comprendre qu’une plus grande ouverture à la concurrence de ce secteur réglementé et encadré conduira purement et simplement à créer de futurs déserts pharmaceutiques en déchirant le maillage officinal existant.
[singlepic id=975 w=220 h=140 float=left]C’est le dernier feuilleton de l’été. Son scénario découle cette fois d’un récent rapport commandé en son temps à l’IGF par l’ancien ministre de l’Economie et des Finances, Pierre Moscovici (photo), actuellement en quête d’un commissariat à l’Europe et qui analyse par le détail 37 professions dites réglementées qui pesaient quelque 235 milliards d’euros en 2010 et dont les bénéficies se sont élevés la même année à 42 milliards d’euros. Soit un ensemble qui, selon les Echos, représente à 6,4 % du produit intérieur brut (PIB). Dans son rapport, non encore public, l’IGF recommande d’ouvrir à la concurrence la vente des médicaments à prescription facultative, soit un marché qui, selon IMS Health représente 15 % du chiffre d’affaire total des officines française, soit 5,25 milliards d’euros (tous produits confondus, remboursables ou pas) sur un total de 35 milliards de ventes réalisés en 2013. Objectif des experts du ministère des finances : rendre aux Français un peu de pouvoir d’achat là où c’est possible et en particulier dans le domaine du médicament en vente libre à l’officine, en ouvrant ce segment du marché à la grande distribution, en particulier à E. Michel Leclerc qui lorgne sur cette manne depuis des années. A l’appui de sa démonstration, l’IGF cite le Doliprane et le Spasfon qui représentent à eux seuls, en moyenne, 9 % du chiffre d’affaire des officines. Elle ajoute également que « les prix des médicaments non remboursables ont augmenté deux fois plus vite que le coût de la vie depuis 15 ans (+ 3 % par an en moyenne entre 1998 et 2011) ». Mais « non remboursables » par essence, ils échappent à l’encadrement des prix et donnent ainsi aux officines quelques opportunités de marges qu’elles ne peuvent plus trouver sur leur marché de base, celui des produits remboursés (66 % de leur CA), qui subissent, année après années, des baisses de prix récurrentes.
Faire tomber le monopole officinal
La recette de l’IGF consisterait donc à ouvrir la vente de certains médicaments non remboursés aux grandes surfaces pour faire baisser leur prix de 10 à 20 %. Mais pour y parvenir, encore faudra-t-il mettre un terme au monopole des pharmaciens de ville ou de village dans la délivrance des médicaments à prescription facultative pour ouvrir la voie aux supermarchés qui attendent de longue date une dérégulation du marché officinal. La recommandation n’a rien de nouveau. Elle a déjà été émise par l’Autorité de la Concurrence, la Commission européenne, l’OCDE, des associations de consommateurs – dont l’UFC Que-Choisir -, et bien sûr Michel E.Leclerc qui, depuis 2008, relance régulièrement la polémique sur le sujet d’un monopole officinal qu’il veut faire sauter.
[singlepic id=976 w=220 h=140 float=left]« Je confirme la volonté des Centres E.Leclerc de commercialiser les médicaments sans ordonnance dans leur parapharmacie et sous contrôle de leurs docteurs en pharmacie. Je confirme que les médicaments pourront y être vendus 20 à 25% moins cher », déclare MEL (photo) en cette fin de mois de juillet sur son blog. « Les sommes qui sont en jeu ne sont pas anodines : plusieurs centaines de millions d’euros pour le patient-consommateur : 300 millions d’euros selon l’UFC et jusqu’à 1,5 milliard d’euro pour l’Assurance maladie », ajoute encore celui rappelle volontiers que l’ouverture du monopole n’aboutira pas à la disparition des pharmaciens. Pour preuve le Portugal l’a réalisé en 2005 et il compte à ce jour 1 500 pharmaciens de plus. De même l’Italie, en 2006, où 13 500 pharmaciens se sont installés depuis cette ouverture. Mais cette augmentation du nombre de pharmaciens est-elle vraiment à rapprocher de la fin du monopole sur les produits non prescrits ? D’autres arguments sont avancés par le grand de la distribution, en particulier celui de la baisse des prix, qui serait, après ouverture, de 25 % en Italie et de 15 % au Portugal, sans que l’on sache vraiment sur quoi portent ces baisses. « La crainte de certains pharmaciens vient du fait qu’une telle réforme les obligerait à revoir le modèle économique de leur officine, ajoute encore M.E Leclerc. Je ne le conteste pas, les jeunes pharmaciens ont acheté des officines très cher et il leur manque des perspectives de chiffres d’affaires. Travaillons ensemble à la résolution de ce problème. Y compris sur l’accès à Internet. » Les intéressés apprécieront!
Un modèle économique fragile
Car s’il est un point sur lequel le chantre de l’ouverture à la GMS ne se trompe pas, c’est bien la viabilité actuelle du modèle économique de l’officine. Cette dernière va mal depuis bientôt trois ans, subissant de plein fouet des baisses récurrentes de prix des médicaments, des déremboursements, voire même des remises en causes des génériques sur lesquels les pharmaciens, maître de la substitution, fondaient quelques espoirs. A cette chute de leur chiffre d’affaires s’est ajouté le report répété d’une réforme de leur modèle économique de base qui veut que pour l’avenir un quart de leur marge soit issu d’une rémunération à l’honoraire de dispensation, qui pour l’heure est resté cantonné à un honoraire à la boite dont ne se satisfont pas deux syndicats d’officines sur trois.
[singlepic id=977 w=220 h=140 float=left]« Pour moins de 5 euros par an et par personne, selon l’évaluation de gain de pouvoir d’achat par les services du ministère de l’Economie, on voudrait menacer le soin libéral de proximité, pourtant promu par la ministre de la Santé et on nous explique que mettre les médicaments dans des espaces dédiés des grandes surfaces, alors que l’unique objectif des grands distributeurs est de vendre le plus possible, freinerait la consommation en médicaments des Français ! Incompréhensible », s’insurge la présidente de l’ordre des pharmaciens, Isabelle Adenot (photo). Sans compter que la fin du monopole sur des médicaments tels que le Doliprane ou le Spasfon ne manquera pas de déstabiliser l’économie des pharmacies tout en apportant un gain inférieur à 5 euros par personne et par an.
Cacophonie gouvernementale
Philippe Gaertner, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France, souligne de son côté que les prix des médicaments non prescrits sont plutôt moins élevés en France que dans les autres pays d’Europe, et que depuis trois ans, leur hausse est inférieure à l’inflation. Dans les rangs de l’USPO, dès le 10 juillet dernier, le ton était donné : le syndicat des pharmaciens, présidé par Gilles Bonnefond, « appelle les pharmaciens à se mobiliser et à se tenir prêts pour la rentrée de septembre, si le projet de loi prévoit une attaque du monopole officinal ou si des amendements téléguidés par le lobbying de la grande distribution sont déposés ». »Nous ne pouvons pas accepter que le ministère de l’Économie détourne le rôle du ministère de la Santé. Cette cacophonie gouvernementale qui est entretenue et poussée par des intérêts économiques de la grande distribution, nous oblige à rentrer dans un rapport de force. La sécurité des Français et leur santé valent mieux que le profit de la grande distribution et des capitaux extérieurs. Dans les rangs de l’Union Nationale des Professionnels de Santé (UNPS) qui regroupe les représentants des organisations syndicales représentatives des professionnels de santé libéraux, le ton est tout aussi clair. On y évoque « des propos irresponsables du ministre de l’Economie, du Redressement productif et du Numérique, Arnaud Montebourg sur la volonté de remettre en cause le périmètre d’activité de certaines professions de santé libérales. »
En août, la bataille des chiffres a commencé et elle risque rapidement de tourner à un bataille d’apothicaires. Avec une moyenne de 800 fermetures d’officines par an pour raison économique, le réseau officinal se trouve déjà sur un point de rupture. Certes, voir disparaitre quelques croix vertes dans les beaux quartiers des grandes villes ne déstabilisera pas les patients en quête de délivrance de leur ordonnance. Mais continuer de fragiliser les officines de quartier suburbain ou de campagne en leur enlevant encore un peu de leurs marges quand elles sont sur le fil du rasoir – ce que les grandes surfaces ont fait avec succès face au petit commerce de proximité – ne manquera pas de déchirer le maillage officinal et de créer de nouveaux déserts : sans médecins, ce qui est déjà le cas, mais également sans pharmaciens !
Jean-Jacques Cristofari
NB : Selon Les Echos Etudes (« Les perspectives du marché et de la distribution de l’automédication », mai 2013), la ministre de la Santé Marisol Touraine (photo) [singlepic id=978 w=200 h=120 float=left]a déclaré en mars 2013, lors du salon Pharmagora : « J’appelle à la prudence. L’enjeu, c’est la bonne prescription ou la bonne prise du médicament au bon moment (…) Nous restons un pays dans lequel le recours au médicament est un réflexe un peu trop systématique. Il ne faut pas banaliser la prise du médicament ». La ministre n’est pas favorable au déremboursement de médicaments anciens suivi d’un accès à l’automédication. Dans une interview donnée au Moniteur des pharmacies et publiée le 27 avril 2013, Marisol Touraine a déclaré ne pas « être favorable à la banalisation de l’automédication, ni d’ailleurs au déremboursement de médicaments « grand public » au prétexte qu’ils sont régulièrement achetés sans ordonnance »
« Les leviers du développement de l’automédication restent entre les mains des autorités de santé, dont le volontarisme semble actuellement faire défaut, ajoute l’étude des Echos. Sans modification significative du périmètre de l’automédication (par délistage et/ou déremboursement) ou de l’organisation de la distribution (libéralisation, levée du monopole officinal, développement du canal Internet), le marché de la PMF non remboursable devrait connaître une croissance modérée à horizon 2015, inférieure en valeur à 2 % en moyenne par an. » A l’horizon 2015, le marché des produits de prescription médicale facultative, non remboursables, devrait ainsi, selon les Echos, se situer à 1,635 milliard d’euros. Ce qui ne représente pas une manne particulièrement intéressante pour la grande distribution. Sauf à en faire le levier d’une remise en cause globale du « monopole » officinal, que l’enseigne E. Leclerc voudrait voir tomber pour enfin ouvrir …ses propres officines.
Journaliste spécialisé en économie de la santé En savoir plus ...