Pharmaciens d’officine : un honoraire contreproductif

Pharmaciens d’officine : un honoraire contreproductif
avril 19 13:15 2015 Imprimer l'article

La réforme de la rémunération, qui est effective depuis le 1er janvier 2015, n’a pas eu d’effet compensateur à la baisse des prix décidée de manière unilatérale par le CEPS, après la signature des accords conventionnels, sur l’année 2014. Résultat : les comptes de l’officine sont encore dans le rouge, alors que les débats sont toujours très animés avec les pouvoirs publics. L’honoraire accordé aux pharmaciens pour compenser leurs baisses de marge a désormais un effet contreproductif. Les syndicats d’officinaux s’alarment d’une situation qui aggrave le modèle économique de leurs entreprises.

Les années se suivent et se ressemblent encore trop pour l’officine. Un même scénario est à l’œuvre depuis trois ans, avec d’énormes baisses de prix sur les médicaments remboursables et les génériques, qui sont les segments les plus contributeurs à la marge, sur un marché stable en volumes. En 2014, la chute de la marge aura été de 120 millions d’euros selon l’UNPF (Union nationale des pharmaciens de France), représentant une perte de 6 000 euros par officine. Gilles Bonnefond, président de l’USPO (Union des syndicats de pharmaciens d’officine), estime que les efforts d’économies ont trop porté sur l’officine. « La baisse de marge de l’officine de 2,5 % a été plus forte que celle des prix publics de 1,6 %, ce qui signifie que le Comité économique des produits de santé (CEPS) a réalisé plus d’économies sur l’officine que sur l’industrie pharmaceutique », note-t-il. L’avenir de l’officine sera plus clair une fois qu’un réel compromis aura été trouvé en matière de rémunération, alors que le trend baissier du marché « ville » pour le médicament remboursable, entre -2,5% et -3%, va se poursuivre jusqu’en 2017, selon Les Echos Etudes*.

Un marché en décroissance, des marges qui chutent

Le marché officinal représente un chiffre d’affaires de 20 milliards d’euros en 2014, en recul de 2 % pour la troisième année consécutive, principalement due aux baisses de prix qui ont atteint 675 millions d’euros en PFHT (-3,7 % ; -3,5 % en 2013). Les deux segments du marché sont en décroissance : le marché remboursable (90%) de -1,9% et non remboursable de -1,2 %. En unités, la baisse est de 1,2% pour la ville pour un volume total de 2,9 milliards de boites.

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Selon le GERS, l’effet prix a été particulièrement élevé pour les médicaments inscrits au Répertoire des génériques, qui représentent 60 % des baisses contre 40 % pour les produits toujours brevetés. Les économies de 401 millions d’euros sont imputables à différentes mesures. La convergence européenne sur les génériques à partir du 1er février 2014 a entraîné une baisse des prix importante sur les génériques et les princeps associés, avec un écart de prix de 35%. Le mois de mars est marqué par les baisses de prix des statines génériquées. La règle d’alignement des PFHT est appliquée en prenant comme référence le PHFT du conditionnement trimestriel de Tahor 10 mg pour les princeps et la PFHT du conditionnement trimestriel de l’atorvastatine 10 mg pour les génériques, soit 0,357 euro par comprimé pour les princeps, et 0,178 euro par comprimé pour les génériques. Cette mesure a impacté le marché à hauteur de -79 millions d’euros. A cela s’ajoute en octobre 2014, une importante vague de baisse de prix sur Répertoire : 152 groupes génériques sont concernés représentant un volume annuel de près de 100 millions de boîtes et un chiffre d’affaires annuel de 570 millions d’euros. La baisse de prix moyenne est de 20,8 % pour les princeps et de 17,1 % pour les génériques.
L’impact est estimé à -25 millions d’euros sur les trois derniers mois de l’année 2014 et à -101 millions d’euros en année pleine. Les classes qui contribuent le plus à  cette décroissance sont les statines, les antiépileptiques, les anti-agrégants plaquettaires, les antipsychotiques, les IEC et les antidépresseurs. Ces classes représentent à elles seules -265 millions d’euros, soit près de 40% du montant total des baisses

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Le Répertoire des génériques, en croissance de 2,8 % (+ 6,3 % en 2013), représente 41,3 % du marché remboursable en unités en 2014. Le ralentissement de la croissance est dû au faible nombre de molécules génériquées cette année (Celecoxib, Efavirenz, Escitalopram, Lormetazepam, Mometasone Monohydrate). Les baisses de prix ont entraîné une décroissance de 4,3% du chiffre d’affaires du répertoire.

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Le chiffre d’affaires des médicaments génériques remboursables s’élève à 3,300 milliards d’euros pour un volume de 801 millions de boites. Le taux de substitution des génériques s’élève à 76,5 % pour l’année et à 87,7 %, en se concentrant sur le répertoire conventionnel arrêté au 30 juin 2013 (retenu pour le suivi de l’objectif national de 85% pour 2014).

Par ailleurs, la LFSS (loi de financement de la Sécu) pour 2014 a engendré des évolutions importantes pour le modèle économique du générique à l’officine. D’abord, les laboratoires et grossistes doivent dorénavant déclarer au CEPS les montants de chiffre d’affaires, ristournes et avantages commerciaux consentis sur les médicaments génériques remboursables aux pharmaciens d’officine (décret JO du 1er mars 2015). De plus, le plafond des remises qu’ils accordent aux officines est passé de 17 à 40 %. « L’impact positif d’une hausse des remises en direct sur certains produits a été compensé par une baisse des contrats de coopération des laboratoires avec les groupements sur d’autres produits » note Philippe Besset, vice-président de la FSPF (Fédération des syndicats pharmaceutiques de France). En outre, les pouvoirs publics ont ramené le différentiel de prix entre les princeps et les génériques à 25 %, engendrant des effets ciseaux négatifs sur certains produits dont la marge a diminué de moitié, selon Michel Caillaud, conseiller au président de l’UNPF, en charge de l’économie.

Les médicaments non remboursables – de médication officinale – continuent d’afficher des évolutions négatives comme en 2013 : – 4,8 % en unités et – 3,1 % en chiffre d’affaires. Certaines classes ont continué à tirer le marché vers le bas comme les produits anti-tabac (-28 millions d’euros), les suppléments minéraux (-13 millions d’euros) et les pilules contraceptives (-10 millions d’euros) impactées par la mise en garde de l’ANSM sur les contraceptifs de 3ème et 4ème générations. Les ventes des expectorants chutent également (-5,6 millions d’euros) en raison du retrait du marché du Mucomyst® en mai 2013. Les ventes des myorelaxants affichent également une baisse de leurs ventes en raison de la décision de suspension d’AMM du tetrazepam en juillet 2013, qui contribue à hauteur de -0,4 point sur la décroissance. Cela dit, le mois de décembre, marqué par la grève des médecins généralistes, a permis un rebond du chiffre d’affaires (+7,9 %). Cet événement a entraîné une forte hausse du chiffre d’affaires des médicaments en prescription médicale facultative (+ 10,8 %), en particulier les analgésiques (+ 27,1 %) et les traitements des affections des voies respiratoires (+ 15,4 %).

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Nouvelles mesures d’économies en 2015

Pour 2015, le déficit du régime général de l’assurance-maladie est estimé à 10,5 milliards d’euros dont 6,9 milliards pour la seule branche maladie. La LFSS pour 2015 a fixé un Objectif national de dépenses d’assurance-maladie (ONDAM) ) à + 2,1%. L’objectif est arrêté à + 2,2 % pour la sous-enveloppe « soins de ville » qui intégre les dépenses de médicaments. Mais pour l’atteindre, 3,2 milliards d’euros d’économies supplémentaires seront nécessaires.

Parmi les mesures d’économies qui ont été mises en place pour 2015, 900 millions concernent les opérations de baisses de prix, réparties à hauteur de 835 millions d’euros pour les médicaments vendus en ville et 65 millions d’euros pour ceux de l’hôpital. Les pharmaciens toucheront une prime au titre de la Rémunération sur objectifs de santé publique (ROSP) qui avoisine 5 500 euros en 2014, en baisse par rapport à 2013 (6 200 euros). Sur le répertoire, des baisses de convergence s’appliqueront sur les IEC / sartans avec un alignement sur les prix les plus faibles (mesure identique à l’Atorvastatine réalisée en 2014) et, dès le mois de février, des mesures de réduction de l’écart de prix entre princeps et génériques seront prises pour les molécules génériquées depuis plus de cinq ans. « Cela équivaut à 500 millions d’euros de marges pharmacien aujourd’hui, soit 20 % du répertoire des génériques, » estime l’UNPF. Sur le hors répertoire, les classes impactées seront les anti-TNF alpha, les produits de la sclérose en plaque, les gliptines, les anti-glaucomateux, les produits de la DMLA, certains vaccins et le paracétamol.

Les autres mesures d’économies concernent les actions de maîtrise des volumes, pour un montant de 400 millions d’euros, avec notamment la mise en place du dispositif d’entente préalable pour certains hypocholestérolémiants entré en vigueur à partir du 1er novembre 2014 : toute prescription de rosuvastatine (Crestor®), de l’ézétimibe seul (Ezetrol®) ou de l’ézétimibe en association avec la simvastatine (Inegy®) doit désormais faire l’objet d’une demande d’entente préalable par le prescripteur en initiation de traitement. Sur novembre, décembre 2014 et janvier 2015, le chiffre d’affaires de ces trois produits a baissé de 11 % par rapport à la même période et les génériques ont augmenté de 4,3%. L’autre mesure est la mise en œuvre des réévaluations de la Haute Autorité de Santé (HAS) pour un montant de 130 millions d’euros, qui a commencé avec le déremboursement des anti-arthrosiques symptomatiques d’action lente à partir du 1er mars 2015. Ce déremboursement va participer à la baisse du marché à hauteur de – 0,4 % en 2015. Enfin, des mesures sur le développement des biosimilaires vont être mises en place pour un montant de 30 millions d’euros, ainsi que des actions de lutte contre la iatrogénie médicamenteuse pour 100 millions d’euros.

A l’inverse, la forte pathologie hivernale de ce début d’année aura un impact positif, selon le GERS. Au mois de janvier 2015, les classes impliquées sont en croissance comme les analgésiques antipyrétiques (+ 2 millions d’euros), les antibiotiques (+4,4 millions d’euros) et les antitussifs (+1,4 millions d’euros). Les nouveaux produits devront continuer à être suivis de près, notamment Selincro® contre la dépendance alcoolique et l’immunodépresseur Aubagio®, commercialisés en 2014, mais également les médicaments commercialisés en 2013 qui continueront d’impacter la croissance du marché comme Xtandi®. Des classes comme les antinéoplasiques et les NACO, qui continuent d’évoluer positivement, seront aussi à suivre.

Pour l’UNPF, l’ensemble de ces mesures déjà actées dans la LFSS 2015 coûtera à l’officine 300 millions d’euros de marge, soit environ 13 700 euros par pharmacie. Une loi de santé jugée « meurtrière » par le syndicat, qui rappelle que le réseau officinal réalise un chiffre d’affaires de 35 milliards d’euros chaque année et emploie 125 000 personnes (contre 90 000 dans l’industrie pharmaceutique). La marge officinale sur le médicament remboursé de tout le réseau ne représente que 5,3 milliards d’euros, en baisse constante depuis trois ans, tandis que les dépenses de salaires et charges sur l’officine dépassent 4,1 milliards d’euros en 2013. Toute fragilisation de l’économie officinale ne pourra qu’engendrer des diminutions d’emplois et une réduction de la qualité des services. D’après le syndicat, 32 officines ont fermé en 2013 pour raisons économiques en Ile-de-France. « A fin août 2014, ce chiffre était déjà dépassé, preuve de la dégradation considérable de notre économie » note Michel Caillaud. Si les contraintes économiques autour de l’officine devaient s’accentuer, l’UNPF estime que
6 000 emplois seraient menacés. Avec une baisse de 1 à 2 % par an, l’estimation la plus probable du nombre d’officines en 2017 serait de 20 300 points de vente, selon les Echos Etudes.

Les premiers (faux) pas de l’honoraire de dispensation

Près de trois mois après la mise en place du nouveau mode de rémunération, les avis restent partagés entre les syndicats sur les bienfaits de la réforme. Pour rappel, la convention pharmaceutique prévoit l’intégration progressive des honoraires dans la rémunération des pharmaciens (12,5 % la première année, jusqu’à 47 % les suivantes). Deux paliers de la Marge Dégressive Lissée (MDL) ont été révisés (respectivement de 26,10 % à 25,5 % et de 10 % à 8,5 %) afin de compenser l’accroissement de la part forfaitaire. L’avenant 5 de la LFSS 2014 prévoit ainsi l’entrée en vigueur d’honoraires pharmaceutiques au 1er janvier 2015. Depuis cette date, les pharmaciens perçoivent une rémunération fixe de 80 centimes hors taxe par boîte de médicament vendue (puis 1 euro à partir du 1er janvier 2016), qui remplace le forfait existant, et de 50 centimes par ordonnance complexe (5 lignes et plus) en contrepartie de la remise au patient d’un plan de posologie.

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La FSPF, majoritaire, a été la seule organisation syndicale à signer la réforme de la marge en mai 2014. Chiffres IMS Health à l’appui, elle avance un gain de 4,4 millions d’euros pour le réseau officinal en janvier 2015, soit un gain de 195 euros par officines. Philippe Gaertner se félicite des premiers résultats, qui « confortent le modèle », même si, selon lui, la mise en place des honoraires ne « suffira pas à compenser les baisses de prix » qui ont été décidées en juin 2014, après la signature des négociations conventionnelles par le syndicat. La FSPF demandera donc une compensation financière auprès de l’Assurance-maladie lors de la première réunion de l’observatoire de suivi des honoraires et évolution de la marge le 31 mars 2015. Deux moyens d’action sont possibles, selon Philippe Besset, vice-président de la FSPF : une augmentation des paramètres des honoraires et/ou de la rémunération sur objectifs de santé publique (ROSP) intégrant « la prime générique » et les nouvelles missions. En outre, le décalage d’un an dans la mise en place de la réforme a été dommageable pour la profession. « En 2012 et 2013, les négociations conventionnelles signées par la FSPF ont permis de mettre en place un certains nombre de dispositifs pour maintenir la rémunération sur ces deux années, notamment le tiers payant contre générique, la ROSP, les primes versées par l’Assurance maladie ou encore des indemnités de garde », souligne Philippe Besset. Il n’y a pas eu de relais pris au 1er janvier 2014 à cause du manque d’unité dans les rangs des syndicats. « Une officine moyenne aurait pu gagner plus de 5 000 euros supplémentaires si les honoraires avaient été appliqués dès l’an passé, » note-t-il. La mise en place de la nouvelle rémunération devrait faire gagner 120 millions d’euros à la profession en 2015 (70 millions d’euros) et 2016 (50 millions d’euros).

03-Bonnefond2Un optimisme que ne partage pas Gilles Bonnefond (photo) à l’USPO, pour lequel la réforme de la rémunération est « un échec total ». « L’idée était de modifier la marge, pour mettre en avant le professionnel de santé qu’est le pharmacien, avec la mise en place d’un honoraire qui serait protecteur par rapport à la baisse des prix », note-t-il. « Malgré la réforme, notre marge continue d’être dépendante des prix et des volumes. Ce qui a été fait est l’inverse de ce que nous avions dit, l’officine allant droit dans le mur. » Il vient d’ailleurs de mettre en ligne sur son site (www.uspo.fr) une vidéo décryptant une réforme « en trompe l’œil ».

Pour le syndicat, il ne s’agit pas d’un honoraire de dispensation, lié à un acte, mais à une marchandise. L’USPO déplore également que l’honoraire ne soit pas intégré à l’arrêté de marge. En 2016, pour introduire le forfait de 1 euro à la place des 53 centimes, il y aura la création de deux tranches à marge nulle pour les médicaments au PHTF inférieur à 1,91 euro et supérieur à 1 500 euros. Les autres tranches voient leur marge diminuer: une marge de 25,5% (baisse de 0,6 point) pour les prix de 1,91 à 22,9 €, de 8,5% (1,5 point) entre 22,90 et 150 euros et de 6 % entre 150 et 1 500 euros. Conséquences : « En 2016, la modification va avoir comme conséquence d’augmenter la marge des médicaments de 20 centimes environ sur les prix inférieurs à 1,91 euro et au-delà, tous les médicaments verront leur marge baisser de 8 centimes supplémentaires par boite. Nous allons concentrer la marge des pharmaciens sur des médicaments peu chers comme le paracétamol et l’homéopathie. » En prenant l’exemple du Pantoprazole, le calcul conventionnel entraîne une baisse de marge pour la profession de 5,5 millions d’euros en 2014, de 5,4 millions d’euros en 2015 et de 6,4 millions d’euros en 2016. « La profession perdra un million d’euros supplémentaires à cause du passage à la marge de 2016, puisqu’elle perd 8 centimes de plus par boite de Pantoprazole délivrée » note encore Gilles Bonnefond. Si l’on prend en compte l’ensemble des inhibiteurs de la pompe à protons (IPP) dont tous les prix vont baisser en 2015, l’impact pour la profession avec la marge de 2014 entraîne une perte de 31,9 millions d’euros et celle de 2015 de 31,2 millions d’euros. En 2016, la perte atteint les 37 millions d’euros. « Cette étape de 2016 ne protège pas de la baisse des prix mais elle permet aux pouvoirs publics de récupérer de la marge sur le dos des pharmaciens sans même avoir abaissé le prix industriel, » conclut-il.

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Cet avis est partagé par l’UNPF, pour laquelle le bilan de la nouvelle rémunération est « quasi-nul pour les pharmacies ». L’honoraire à la boite (115 000 boites par pharmacie par an) ne rapporte que 300 euros par pharmacie. Seul point positif, la marge dégagée par l’honoraire sur les ordonnances complexes a permis de « limiter la perte de marge globale ». Le gain en résultant est de 2 400 euros par pharmacie (28 000 ordonnances par pharmacie, dont 4 000 complexes soit 14% des ordonnances). « Les données du mois de janvier 2015 (comparées à janvier 2014) montrent une augmentation de 3% des volumes, mais une baisse de 2% de la marge brute totale perçue par les pharmaciens, » note le syndicat.

Le constat est donc sans appel : l’honoraire – dans l’état actuel des choses – ne permet pas de conserver une rémunération stable en cas de baisse de prix, d’encadrement des prescriptions et de changement de conditionnements. « On ne prépare pas l’avenir de la profession avec cette réforme de la marge. Au contraire, on l’aggrave en la maintenant dans une situation exsangue car les prix et volumes vont continuer de baisser » conclut Gilles Bonnefond.

Une synergie à trouver sur les nouvelles missions

Ces débats animés entre syndicats de pharmaciens prennent place alors que la mise en place de nouvelles missions rémunérées au comptoir constitue un autre grand changement pour l’officine. En démarrage sur l’année passée, les revenus issus de la Convention 2012, dont « la prime générique » et la ROSP, ne devraient représenter que 10000 à 12000 euros par officine, soit moins de 1% du chiffre d’affaires selon Les Echos Etudes.

Cela a commencé par l’accompagnement et le suivi des patients sous anticoagulants (AVK) depuis le 1er janvier 2014. Cette première mission sur les AVK a bien fonctionné selon Gilles Bonnefond. « 14 000 pharmaciens sur 23 000 se sont mobilisés, près de 1,8 million de patients ont bénéficié d’un accompagnement auprès d’un pharmacien ». « 150 000 entretiens pharmaceutiques ont été réalisés dans l’année, ajoute Philippe Besset. Et l’enquête de satisfaction commandée par l’Assurance maladie montre des effets positifs sur l’observance, notamment les indicateurs d’INR ». Cependant, les syndicats dénoncent une certaine démobilisation sur l’accompagnement et le suivi des patients asthmatiques qui a commencé en janvier 2015. A fin février, seulement 650 entretiens avaient été réalisés dans 170 officines, selon la CNAM. Les modalités d’encadrement du dispositif n’ont pas été correctement calibrées, avec deux difficultés majeures, selon Philippe Besset. La première vise le recrutement des patients « qui ne sont pas enthousiastes à réaliser cet effort de suivi » avec un temps d’entretien jugé trop long. Gilles Bonnefond met également en avant « l’incompréhension des pharmaciens face aux critères d’éligibilité requis par l’Assurance-maladie, qui sont très contraignants pour les patients asthmatiques, alors que le taux d’observance sur cette pathologie est de 13 %. Cela risque de donner une mauvaise image de la profession. » La seconde difficulté concerne les délais de règlements de l’Assurance-maladie qui s’étalent sur 12 à 18 mois « avec un effet négatif sur le moral des troupes ».

Cela dit, la majorité des pharmaciens est prête à s’engager sur ces nouvelles missions, selon Les Echos Etudes. « Les deux tiers proposent d’ores et déjà des entretiens rémunérés et près de 60 % prévoient de mettre en place les entretiens destinés aux patients asthmatiques », note l’étude. La notion anglo-saxonne de « primary care pharmacist » n’est pas encore une réalité. Elle n’en revêt pas moins un enjeu majeur pour la profession officinale. « Pour rappel, l’enveloppe budgétaire qui avait été attribuée par l’Assurance-maladie aux entretiens pharmaceutiques lors des négociations était de 40 millions d’euros, soit 1 818 euros par pharmacie », rappelle l’UNPF. Le pharmacien est rémunéré 40 euros par patient inscrit au programme de suivi, à raison de deux entretiens pharmaceutiques par an. En 2014, le paiement des entretiens sur les AVK aurait coûté 3 millions d’euros à l’Assurance-maladie, ce qui représente 136 euros par pharmacie.

Priorités pour 2015 : poursuivre la réforme

Pour sortir de l’impasse, et répondre aux défis à venir en matière de vieillissement de la population et d’accroissement des pathologies chroniques, il faut redonner du dynamisme au secteur. C’est pourquoi, les représentants syndicaux demandent en urgence la réouverture de négociations relatives à la rémunération afin de mettre en place un modèle économique stable qui pérennise les structures et le maillage officinal.

« L’étape 2016 ne doit pas arriver et nous devons tous contester la chute de la marge, souligne Gilles Bonnefond. Nous avons déjà 6 300 pharmaciens qui ont envoyé un courrier au directeur de la CNAM pour contester cette étape. » La priorité de l’USPO et de l’UNPF est de renégocier le contrat sur trois ans pour l’officine, en intégrant un honoraire à l’ordonnance ou à l’acte de dispensation, qui serait réévalué régulièrement, afin de compenser les baisses de prix. « Notre proposition est de mieux rémunérer les ordonnances qui sont faiblement rémunérées aujourd’hui et d’aller vers un honoraire minimum par ordonnance, poursuit Gilles Bonnefond. Cela placerait l’officine en phase avec la maîtrise médicalisée ». La FSPF rappelle que l’honoraire de dispensation faisait partie de ses premières revendications, mais qu’il se heurte à une difficulté de mise en œuvre sur le terrain. En outre, la mise en place de l’honoraire à l’ordonnance n’était pas souhaitée par l’Etat et l’Assurance-maladie en raison d’un risque trop grand de dispersion des résultats entre les officines. Autres obstacles : l’incapacité de la CNAMTS à détecter techniquement les facturations d’ordonnances bizones réalisées en deux fois par 25 % des pharmacies et les pratiques qui consistent à « splitter » une ordonnance complexe de plus de cinq lignes pour augmenter le nombre de dispensations. Ce problème sera normalement résolu avec l’arrivée de la prescription numérique et la coexistence sur les ordonnances de deux codes Datamatrix, dont un QR Code qui contient les informations de la prescription (les noms du médecin et du patient, les médicaments prescrits et leur posologie) et un numéro unique attribué par ordonnance.

D’autre part, l’UNPF demande la suppression du capage de la marge sur les produits innovants de la troisième tranche (dont le prix HTF est supérieur à 1 500 euros) avec la mise en place d’un honoraire de responsabilité qui permettrait au pharmacien de jouer un rôle d’information en matière d’observance entre les laboratoires et l’ANSM. « Les produits de la première tranche ont perdu 21 % de marge en six ans, tandis que les produits de la troisième tranche ont fortement augmenté, souligne Michel Caillaud. Avec le capage de la troisième tranche, l’équilibre ne peut plus s’opérer entre les deux segments. » En s’appuyant sur les volumes et chiffres d’affaires de 2012 et 2013, il montre ainsi que la perte de marge a déjà atteint 8,5 millions d’euros en 2012 et 34 millions en 2013.

Ces recommandations vont de pair avec la poursuite des nouvelles missions du pharmacien, pour développer la ROSP. Après les AVK et l’asthme, les sujets de santé publique visent le diabète, la BPCO, les traitements substitutifs aux opiacés, les services à la personne et aux personnes âgées.

Selon un amendement à la loi de modernisation du système de santé déposé par le gouvernement en mars, les pharmaciens étaient invités à vacciner les patients. La mesure visait à permettre aux officinaux qui délivrent les médicaments à leurs patients de réaliser en même temps les rappels de vaccins, et surtout celui contre la grippe. La vaccination par les pharmaciens présentait, selon la ministre de la Santé, l’avantage d’augmenter la couverture vaccinale en France (taux de 50 % seulement chez les + 65 ans), tout en réalisant des économies sur le remboursement des consultations médicales, estimées à près de 42 millions d’euros par an. L’amendement a été rejeté sous la pression des médecins libéraux. Un autre chantier concerne le dépistage avec le développement des Tests Rapides d’Orientation Diagnostics (TROD) dans les cas d’angine, grippe, diabète, cholestérol ou encore le sida. Ces tests sont réalisés à l’officine ou en centres de santé et permettent d’orienter les patients vers leur médecin en cas de risque détecté. « Ils se font pour l’instant à la demande du patient qui les paie, note Gilles Bonnefond. L’Assurance maladie pourrait mettre en place un système de fourniture gratuite des tests aux officines, ou un nouvel honoraire dans le cadre de la ROSP pour rémunérer les pharmaciens sur cette nouvelle mission ». Autre domaine encore inexploré : l’accompagnement par les pharmaciens des patients bénéficiant de traitements de substitution des opiacés, qui demandent un investissement important à l’officine.

La pharmacie, porte d’entrée du parcours de soins

L’entrée du patient dans le parcours de soin via l’officine passe par la case « automédication », qui représente aujourd’hui 9 % de la marge des pharmacies. La pharmacie comme porte d’entrée du parcours de soins est un vecteur de prise en charge par le pharmacien souvent étudié, expertisé et évoqué par les pouvoirs publics. Le développement de l’automédication dans le sens du bon usage fait partie des orientations stratégiques proposées par le Comité Stratégique de filière Santé, validées par le ministre chargé de la Santé, le 5 juillet 2013. Pour autant, les réformes ont du mal à se mettre en place, et rien ne bouge. « La notion de parcours de soins dans la médication officinale n’apparaît pas encore cette année dans le texte de la loi de Santé » fait remarquer Gilles Bonnefond.

Pour ne plus perdre de temps, l’USPO et les partenaires industriels du G5 santé (1) proposent de lancer une expérimentation immédiate en organisant un parcours de soins sur trois pathologies : gastrologie, dermatologie et sphère ORL. « Nous préférons l’approche par parcours de soin dans la médication officinale, plutôt que celle de consommation auquel se rapporte plus communément le terme d’automédication, note Gilles Bonnefond. Nous voulons encore plus sécuriser cet acte de soin, le rentrer dans le dossier pharmaceutique et rendre accessible cette information à d’autres professionnels de santé qui pourront intervenir ensuite auprès du patient ».

A la FSPF, Philippe Besset met en avant le rôle de « coach de santé » du pharmacien en matière de médication officinale. « Mais nous ne pourrons jamais avoir de prise en charge collective de ce type d’actes à cause de la dichotomie ordonnateur et dispensateur que le pharmacien ne peut avoir pour des raisons de confiance vis-à-vis de ses patients », note-t-il. Il met plutôt en avant une approche de prise en charge individualisée (notions de paniers, d’utilisation raisonnée) en coopération avec des complémentaires de santé, plutôt que l’Assurance maladie. En pratique, la FSPF organise actuellement des entretiens de polymédication avec la MTRL de Lyon, ou encore avec des mutuelles de boulangers sur les affections bucco-dentaires.

Marion Baschet-Vernet

*Source : « La pharmacie d’officine : nouveaux défis, nouvelles opportunités de croissance à l’horizon 2017 – Mise à jour février 2015 – Les Echos Etudes

(1) G5 santé est un cercle de réflexion qui rassemble les principales entreprises françaises du secteur pharma : BioMérieux, Guerbet, Ipsen, LFB, Pierre Fabre, Sanofi, Servier, Stallergènes et Théa

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