[singlepic id=426 w=320 h=240 float=left]L’université de Paris-Dauphine a été, le 6 mars, le siège du troisième et dernier volet d’un cycle de conférence organisée par l’Association DESSEIN dans le cadre des Présidentielles 2012 sur le thème de la santé. Au menu des débats : « Bismarck, Beveridge, Débat d’hier, débat d’aujourd’hui, débat de demain, le financement de la Protection Sociale, quel nouveau modèle ? ». Pour y répondre, des représentants des différentes familles politiques, mais également des syndicats, des complémentaires santé et de l’UFC-Que-Choisir. Les participants aux débats ont été accueilli par l’économiste de la santé, le Pr. Claude Le Pen, modérateur de la matinée.
Le thème sonne comme un écho aux articles présentés par Pharmanalyses (« Compétitivité : faut-il supprimer la protection sociale ? » et « Financement des systèmes de santé en Europe : il faudra faire des choix ! ». » Car ce fut bien la problématique posée par l’exposé d’introduction de Christian Babusiaux (photo), président de la Première Chambre de la Cour des Comptes, qui a rappelé que la France subissait une triple contrainte : un déficit de la Sécurité sociale récurrent (24 milliards d’euros en 2011), avec un impact des charges sociales sur la concurrence et en parallèle des inquiétudes fortes sur l’équité sociale. Il a précisé que ce n’est pas uniquement un problème de financement de la sphère publique, mais plus globalement de tous les secteurs.[singlepic id=420 w=160 h=120 float=right] Si la crise économique a amplifié notre taux d’endettement de 20 points en cinq ans (de 60 % du PIB en 2007 à 90 % attendus en 2012), elle n’a qu’accentué les dysfonctionnements existants au sein de notre système de protection sociale. La difficulté nouvelle est la dépendance accrue de la France aux marchés financiers du reste du monde sur lesquels la CADES a emprunté pour rembourser la dette sociale en 2011. « Les emprunts tous secteurs confondus sont de 42 milliards d’euros, soit 2 % du PIB » précise M. Babusiaux, en ajoutant que « 130 milliards d’euros de reprise de la dette par la CADES sont attendus d’ici à 2020 », sans rééquilibrage par une croissance plus forte.
Les conférenciers ont quasi tous été unanimes sur des recommandations qui pouvaient permettre de jouer à la fois sur les recettes et les dépenses de la Sécurité Sociale pour tenter de solutionner le problème de son financement. Mais ils ont aussi tous rappelé leur attachement à nos principes de protection sociale. Avec cependant des disparités sur les modalités de recouvrement des recettes et leurs priorités de redistribution…
Protection Sociale : petit tour d’horizon des propositions avancées
[singlepic id=419 w=160 h=120 float=left]Yves Bur (UMP) (photo) a commencé son discours en rappelant le rôle stabilisateur de la protection sociale dans la société et son attachement aux principes de solidarité. Considérant les dépenses de santé et de retraite comme des dépenses courantes (quid de la famille ?), il a estimé qu’elles ne peuvent être financées par l’endettement et ainsi être transmises aux générations suivantes. De fait, leur budget doit être à l’équilibre. « Les dépenses de santé doivent être médicalement utiles et efficientes » a précisé le député alsacien. Mais à ses yeux, la santé a un coût dont les Français doivent être conscients, celui-ci ne devant pas peser sur la croissance et la compétitivité des entreprises. Quant au financement, il devrait moins porter sur le travail et les entreprises, référence faite à la CSG (pas d’augmentation prévue de la CSG en conséquence). La protection sociale doit, à ses yeux, être plus réactive aux variations de l’économie et s’habituer à un financement fluctuant, tout en ayant une obligation d’équilibre budgétaire. Yves Bur a conclu ses propos en reprenant la comparaison avec l’Allemagne et en précisant que « les Allemands ont traversé une période similaire en 2004, mais qu’ils n’ont pas attendus d’avoir un déficit important pour agir ». Christian Babusiaux a d’ailleurs rappelé que le taux d’endettement commence à décroitre en Allemagne et que nous arrivons à une situation inédite historiquement, avec un écart de 10 points entre la dette allemande et française – écart en faveur de l’Allemagne.
[singlepic id=421 w=160 h=120 float=right]Jean-Luc Préel (photo) du Nouveau Centre, a débuté son exposé en rappelant la place prioritaire de la santé pour les Français et les problèmes d’accès aux soins du fait de la démographie médicale et des dépassements d’honoraires. Il a plaidé en outre pour un régime universel de retraite. Sans nier les problématiques de financement, il a proposé une « règle d’or sociale » imposant un vote à l’équilibre chaque année des comptes de la Sécurité sociale. Claude Le Pen a rappelé que cette règle d’or existait aux origines de la Sécurité Sociale, mais qu’elle n’a jamais été appliquée. Le député a souligné que des marges d’efficience sont possibles notamment par une meilleure coordination. Concernant l’hôpital (premier poste de dépenses en santé), J.L Préel a proposé une révision du statut de la fonction publique hospitalière avec la mise en place de contrats d’objectifs pour les praticiens, une optimisation de l’utilisation des équipements et blocs opératoires. Sur l’organisation du système, le thème de la décentralisation est revenu en force avec une proposition sur les ORDAM (Objectif régionaux de dépenses d’assurance-maladie). Il a également insisté sur la nécessité d’investir à court terme sur la prévention pour des économies à long terme. Il a repris en conclusion la piste du bouclier sanitaire et de la définition du panier de soin à prendre en considération (soins dentaires et d’optiques ?), le bouclier sanitaire apparaissant contraire à son sens aux principes de la Protection Sociale jusqu’à présent déconnectée des revenus.
Jean-Luc Véret (Europe Ecologie les Verts) s’est opposé à cette notion de temporalité en estimant que des gains à court terme sont également possibles. Rappelant son attachement (lui aussi) à la solidarité nationale, il a évoqué les restes à charge qui pèsent sur les patients et le transfert de financement vers les complémentaires santé, non-garants de la dite solidarité. Il a insisté sur la prévention, en arguant du fait que s’il y a eu des modifications du principe assurantiel de la protection sociale, il n’y en a pas eu au niveau des structures, en mettant en avant la contradiction entre un état responsable des recettes et une Sécurité Sociale responsable des dépenses. Il faut, de son point de vue, passer d’une logique d’assurance maladie (revenu de remplacement aux travailleurs aux fondements de la Protection sociale bismarckienne) à une « logique de santé ». Le déficit est, selon J-L Véret, la conséquence de l’explosion des maladies chroniques. Les mesures proposées par EELV sont énoncées clairement : – une grande réforme fiscale visant à transférer le financement vers l’impôt par la fusion de l’impôt sur le revenu et la CGS, sur tous les revenus L’objectif est de décharger la masse salariale et la compétitivité des entreprises de cette charge. – un système de santé gouvernable par des « citoyens-usagers » en inversant le pouvoir décisionnaire des ARS vers des décisions démocratiques. Cette notion se retrouve dans le souhait de définir démocratiquement les objectifs de santé publique. – des maladies chroniques enrayées en fixant des objectifs de résultats à court terme. Ex : une baisse de 10% du nombre de diabétiques en éduquant les enfants permettrait un gain de 1 milliards d’euros par an. – une diminution des restes à charte des usagers pour éviter un recul des soins. – la maitrise des soins inutiles pour garantir la gratuité des soins pour tous en passant par la refonte des formations des professionnels de santé, la coordination par le médecin généraliste.
[singlepic id=423 w=160 h=120 float=right]Marisol Tourraine (Parti Socialiste) (photo) a précisé qu’intervenant en dernier, elle ne reprenait pas certains points déjà longuement évoqués. Elle s’est arrêtée sur l’un des fondements de l’économie de la santé, en rappelant que la santé est un bien public social, donc supérieur, et que les dépenses de santé sont considérées comme des investissement sociaux qui doivent rester guidés par les principes de solidarité. Economiste réaliste, elle a noté que le déficit actuel n’est pas résorbable en quelques mois, mais que cette résorption nécessitera au moins un quinquennat. Cependant la problématique du reste à charge est contradictoire avec ce déficit, mais suppose de « ne pas taxer d’avantage certaines catégories de la population ». Comme J-L Véret, Mme Tourraine a présenté au nom du PS une réforme de la fiscalité avec un rapprochement de l’IR et de la CGS, complétée par une progressivité de la CGS qui doit rester l’instrument privilégié de la protection sociale. Concernant l’hôpital, un arrêt de la convergence tarifaire intersectorielle a été mentionné ainsi qu’une rationalisation des hospitalisations inappropriées pour les personnes dépendantes notamment. Cela ne passera que par une meilleure coordination ville/hôpital avec le secteur médico-social en complément. La décentralisation comme facteur de réussite de la prévention a été réaffirmée. La député PS a conclu en ouvrant le débat sur la participation des organismes complémentaires en termes de prise en charge des dépenses.
Quelques absents aux débats
La conférence de Paris-Dauphine a réaffirmé le maintien de la protection sociale et des droits des usagers, sans nostalgie pour le système instauré depuis 1945, qui a évolué vers d’avantage d’universalité et d’équité. Mais le poids des charges – et leur impact sur la compétitivité des entreprises françaises comme l’a rappelé J-F Pilliard, président de la Commission de Protection Sociale du MEDEF – et les difficultés à trouver des recettes sont restés omniprésents dans tous les discours. La différence s’est jouée sur le choix du mode de prélèvement et l’on semble s’orienter vers un prélèvement à la source comme le préconise le modèle Beveridgien. La question qui se pose est l’assiette de prélèvement : impôt sur les revenus du travail, impôt sur les revenus du capital, impôt sur les sociétés ? M. Basot (UFC-Que-Choisir) a regretté à ce niveau qu’il n’y ait pas eu de débat public sur le niveau de solidarité. Un référendum sur le sujet ne serait-il pas en effet plus opportun que celui annoncé sur les allocations chômage ? Car après, tout un système social n’est valable que s’il remporte l’adhésion de sa population. [singlepic id=424 w=160 h=120 float=left]Le second point relatif à la question du financement est la part des ménages : est-il équitable que le reste à charge continue d’augmenter ? Se pose alors le rôle des complémentaires santé, un point de vue qui a été défendu par Etienne Caniard (président de la Mutualité Française) (photo) qui se veut rassurant sur les informations détenues par les complémentaires quant à la discrimination sur l’accès aux soins et insiste sur le rôle d’acteur de santé nécessaire pour répondre aux besoins de la population. Il a ainsi beaucoup été question de recettes, de niches sociales, d’équilibre budgétaire, un peu moins de maitrise (médicalisée ?) des dépenses. Sur le thème du financement de notre système de protection sociale, le parallèle a été constant avec l’Allemagne, mais comme l’a souligné P. Le Clézio de la CFDT, « les différences des modes d’organisation –et donc de comptabilisation des charges- expliquent les différences de coûts », nous invitant à comparer ce qui est comparable.
Fait étonnant, si l’Allemagne a été citée en exemple budgétaire, personne n’a évoqué la faillite outre-Rhin d’une caisse d’assurance maladie, l’impact pour les patients et les professionnels de santé, ni le rachat d’établissements publics par des structures privées, réduisant ainsi l’offre publique de soins. De même, la qualité des soins, le risque dépendance ont à peine été évoqués. Le patient – avec un grand « P »- ou l’usager sur l’ensemble des risques, sont restés les grands absents de ce débat. Au mieux est-il apparu comme « consommateur », avec M. Basot, un terme plus évocateur d’une économie de marché que des principes fondamentaux de notre protection sociale. La rencontre de Paris Dauphine a démontré, une fois encore, que la protection sociale avait bien du mal à se frayer un chemin dans les débats politiques du moment, d’où elle est étrangement absente.
Sandrine Bourguignon