Distribution du médicament : le torchon brûle entre répartiteurs et laboratoires

Distribution du médicament : le torchon brûle entre répartiteurs et laboratoires
mars 21 18:40 2012 Imprimer l'article

[singlepic id=434 w=320 h=240 float=left]Les ruptures d’approvisionnement des officines pour certains produits pharmaceutiques sont depuis des mois l’objet de polémiques intenses dans les rangs des acteurs de la chaîne du médicament. Elles sont pour l’heure surtout l’objet d’un projet de décret, relatif à l’approvisionnement en médicaments des officines, en discussion depuis des mois et qui viserait à y mettre bon ordre, en réorganisant le circuit de distribution pour pallier les pénuries. Les grossistes de la répartition estiment que les big pharma internationales veulent les court-circuiter en renforçant délibérément leurs circuits directs de ventes aux officines.

Il y a tout juste un an, en mars 2011, le syndicat des pharmaciens d’officine USPO rend publique son enquête, menée auprès de plus de 1000 officines sur le constat qu’établit le réseau officinal au regard des ruptures d’approvisionnement en produits pharmaceutiques qu’il vit de plus en plus régulièrement. Une question dont s’est saisi l’Afssaps en organisant, un mois plus tôt, une réunion en présence des professionnels (laboratoires pharmaceutiques, LEEM, chambre syndicale de la répartition pharmaceutique, Ordre des pharmaciens) et des associations de patients. 88,7 % des pharmaciens interrogés par l’USPO notent ainsi une augmentation des ruptures et 74,9 % une fréquence des ruptures qui va de un à plusieurs cas dans la semaine, avec pour 93,2 % des officinaux des conséquences certaines sur les traitements des patients. La situation ne va pas s’améliorer avec les mois. L’Observatoire créé pour la circonstance par l’USPO recensera 879 incidents déclarés en trois mois, concernant  quelques 264 spécialités différentes. Alerté de son côté par des personnes vivant avec le VIH ou par des médecins sur la survenue régulière de ruptures d’approvisionnement de pharmacies en antirétroviraux, le collectif TRT-5 a également mis en place, dès 2010, son propre observatoire. Fin septembre 2011, ce dernier a ainsi réuni 190 signalements exploitables car correctement documentés. Un nombre « très largement inférieur aux difficultés rencontrées », précise le collectif qui note, à partir des réponses reçues, que « 26 % des patients ont mentionné des interruptions de 1 jour à 15 (! !) jours dans la prise de traitements du fait des difficultés d’approvisionnement en ARV dans les pharmacies de ville ». « Ce chiffre signifie qu’un répondant sur quatre a été contraint d’interrompre son traitement avec tous les risques que cela comporte et les graves conséquences sur sa santé ». En cause, dans cette récurrence des problèmes d’approvisionnements qui remontera rapidement au ministère de la Santé, les exportations parallèles de médicaments qui seraient réalisés par les grossistes répartiteurs de la pharma au détriment de la santé des Français. Une accusation que rejette aussitôt la Chambre syndicale de la répartition pharmaceutique (CSRP), estimant qu’il y a sur la question une manipulation orchestrée à des fins de reconfiguration du circuit de distribution du médicament. En août 2011, le ministère de la santé se saisit du dossier et fait savoir « qu’il n’est pas question que les patients rencontrent les moindres difficultés d’accès à leurs produits de santé », en rappelant qu’il revient à l’Afssaps d’assurer « au quotidien la gestion des éventuelles difficultés d’approvisionnement des médicaments considérés comme indispensables ». Au mois de septembre suivant, Xavier Bertrand annonce mettre en place, sans délai, un plan d’actions, sous l’égide de la DGS et de l’Afssaps. Sept mois plus tard la question n’est toujours pas réglée et les acteurs de la chaîne du médicament se renvoient dos à dos la responsabilité des ruptures. Un projet de décret sur l’approvisionnement en médicaments, fruit de nombreuses tractations sur une question qui relève désormais de la santé publique, devrait prochainement régler le problème. Dans les faits, le texte en circulation sonne aux yeux des acteurs de la distribution comme une véritable déclaration de guerre.

Les répartiteurs boucs émissaires de la pénurie en médicament[singlepic id=435 w=320 h=240 float=right]

Depuis la première rédaction du projet de décret, Claude Castells (photo), président de la CSRP et président du directoire du 1er répartiteur français, l’OCP (filiale de l’Allemand Celesio, numéro 1 en Europe de la répartition pharmaceutique), ne décolère pas. « Les laboratoires rationnent en médicaments en imposant des quotas de livraison aux répartiteurs et obtiennent ainsi la création de circuits parallèles, avec des centres d’appels pour atteindre directement les officines ». En question, cette fois, un article du projet de décret sur les centres d’appels, qui permet à un pharmacien de ville ou de campagne de joindre un laboratoire pharmaceutique en direct pour s’approvisionner en un produit que son répartiteur ne peut pas lui fournir ! 600 médicaments seraient ainsi visés par le décret, soit des produits qualifiés « d’intérêt thérapeutique majeur » ou pour lesquels une rupture d’approvisionnement a été mise en évidence. « Le laboratoire en organisant son système de quotas peut assécher un circuit [en l’occurrence celui de la répartition] pour en alimenter un autre, celui des ventes directes à l’officine », commente le président de la chambre syndicale. A ses yeux, le projet de décret ne traite pas réellement de la question des pénuries, mais organise au bénéfice des laboratoires une mainmise  à l’anglo-saxonne sur le circuit de distribution du médicament. « On légifère sur un circuit parallèle, avec une segmentation de la distribution au choix du laboratoire, mais au détriment du patient », ajoute Claude Castells. « Pour arriver à un système anglo-saxon, on fait passer les répartiteurs pour des boucs émissaires ».

Au total, les répartiteurs qui  assurent dans l’Hexagone 63 % des ventes de médicaments des laboratoires aux officines, avec une obligation de service public qui leur impose d’acheter ces produits pour les stocker avant de les revendre aux pharmacies, vivent de plus en plus mal les évolutions en cours dans la pharma. Car les ventes directes des laboratoires aux officines (17 % du chiffre d’affaires des laboratoires, 30 % de leurs volumes vendus) des produits à forte rotation handicapent de plus en plus les capacités des répartiteurs à maintenir leurs obligations de service public (stocker 90 % de la gamme complète vendue sur le marché). De surcroit le système des quotas de livraison de médicaments, imposés par les big pharma au nom de l’optimisation des coûts sur un marché pharmaceutique mondialisé, pèse sur le circuit de distribution en le segmentant de plus en plus. « On est en pleine manipulation d’un système qu’on veut réorganiser » tempête Claude Castells qui estime que « les pouvoirs publics n’ont pas pris conscience de l’enjeu ». Un enjeu qui se chiffre également en espèces sonnantes : car en opérant des ventes directes vers les officines, les industriels du médicament captent au passage les 3,7 % du prix du médicament qui reviennent au répartiteur pour qu’il effectue son métier. Dans un contexte de décroissance des ventes de médicaments et de baisse des prix, toute manne est bonne à prendre, au besoin en la confisquant en aval de la fabrication dans les rangs du acteurs du circuit de distribution. Dans la pharma comme ailleurs, il n’y a plus de petits profits…

Jean-Jacques Cristofari

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NB : Interrogé par notre confrère Impact-Santé.fr, Hubert Olivier (photo), qui a succédé à Claude Castells à la tête de l’OCP, a précisé :

[singlepic id=440 w=160 h=120 float=left] »Résoudre le problème des ruptures de stock me paraît essentiel. Je partage l’objectif poursuivi par les pouvoirs publics, mais je suis en total désaccord avec les termes du projet de décret. Premièrement, ce projet de décret est disproportionné. L’activité export des répartiteurs ne représente que 3 % des volumes. Rien ne démontre que ce pourcentage très faible soit à l’origine des ruptures. Ensuite, il n’aborde à aucun moment le problème des quotas et des contingentements. Enfin, ce projet de décret cherche à institutionnaliser le recourt au direct. Si le produit est disponible directement auprès du laboratoire, pourquoi le répartiteur ne l’aurait-il pas ? Ce projet de texte n’est pas acceptable, et nous utiliserons le cas échéant tous les moyens juridiques pour nous y opposer, notamment du point de vue du droit de la concurrence et de la réglementation communautaire. En revanche, l’OCP est ouvert à toute solution pragmatique que nous pourrions mettre en œuvre directement avec les laboratoires pharmaceutiques. »

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Jean Jacques Cristofari
Jean Jacques Cristofari

Journaliste spécialisé en économie de la santé En savoir plus ...

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