La sortie du Royaume-Uni de l’Union Européenne sera pas sans conséquence pour la branche. De part et d’autre de la Manche, l’inquiétude grandit au fur et à mesure que se rapproche l’échéance du 29 mars. Les laboratoires pharmaceutiques se préparent à affronter un défi logistique sans équivalent dans leur histoire.
Exit avec ou sans deal ? That’s the question ! A quelques jours de l’échéance imposée par l’UE pour finaliser la négociation sur la sortie du Royaume-Uni de l’Europe des 27, bien des questions demeurent ouvertes quand ce n’est pas sans réponses. La pharma sera à l’évidence affectée par le Brexit et depuis des mois le secrétaire d’Etat anglais pour la Santé et les Affaires sociales, Matt Hancok est sur la brèche. Tous les scénarios ont été mis sur la table et le pire est encore devant les Anglais : celui d’une rupture brutale dans leur approvisionnement en médicaments et dispositifs médicaux.
En décembre dernier Matt Hancock a ainsi écrit à toutes les sociétés pharmaceutiques fournissant le Royaume-Uni en médicaments, en provenance de l’Union européenne (UE) ou de l’Espace économique européen, ou via celle-ci, de s’assurer qu’elles disposent d’un approvisionnement supplémentaire minimum de six semaines en médicament, au plus tard le 29 mars 2019. « Dans le cas d’une sortie «sans accord» de l’UE, nous exhorterions bien sûr les États membres à mettre en place des arrangements pragmatiques qui garantiront la continuité des flux de marchandises, ce qui serait à leur avantage aussi bien qu’au nôtre », a souligné le secrétaire d’Etat. « Le gouvernement s’emploie à faire en sorte que la capacité de fret en conteneurs – par air ou par mer – soit suffisante pour permettre à ces produits essentiels de continuer de circuler librement au Royaume-Uni. Le gouvernement a également décidé d’accorder la priorité aux médicaments et aux produits médicaux sur des itinéraires alternatifs, afin de garantir que le flux de tous ces produits se poursuivra sans entrave après le 29 mars 2019. » A la veille de cette échéance cruciale, à laquelle ne semblent pas vouloir se résoudre les parlementaires de Sa Gracieuse Majesté, qu’en est-il réellement ?
82 millions de colis en circulation
Du côté du LEEM, on rappelle que 5 000 salariés européens sont employés au Royaume-Uni dans l’industrie pharmaceutique. Le Royaume-Uni représente plus de 16 % des programmes européens de recherche. Il est surtout le 4ème partenaire commercial de la France s’agissant de l’export et le 7ème pour l’import. Pour Philippe Tcheng, président du Leem, le Brexit aurait des répercussions sur plus de 3.000 médicaments exportés ou importés entre la France et le Royaume-Uni.
45 millions de colis sont ainsi acheminés chaque mois du Royaume-Uni vers l’UE et 37 millions de colis pour les patients vont de l’UE au Royaume-Uni, note de son côté l’Association de l’Industrie pharmaceutique britannique (ABPI). « Les autorisations de mise sur le marché pour des médicaments détenus par une société britannique ne seront plus valables pour fournir légalement des médicaments dans l’UE après mars 2019 et vice-versa, sauf si cela est expressément prévu dans les négociations sur le Brexit », ajoute l’association des industriels. Il existe actuellement environ 2 400 licences ou environ 361 produits (37%) pour lesquels la procédure d’autorisation de mise sur le marché centralisée est détenue par des sociétés basées au Royaume-Uni. 1 500 essais cliniques ont été enregistrés à l’Agence Européenne du médicament, qui concernent plusieurs États membres de l’UE et ont été parrainés par le Royaume-Uni. Après mars 2019, la poursuite de ces essais pourrait être compromise par l’absence du même cadre réglementaire ou par le manque d’accès du Royaume-Uni à la nouvelle infrastructure de l’UE pour la gestion et l’autorisation des essais cliniques.
Défi logistique
La Fédération européenne des associations et industries pharmaceutiques (EFPIA) qui pilote la branche depuis Bruxelles, a conseillé en février aux entreprises du secteur de planifier la modification des essais cliniques, de la réglementation, du commerce et des exigences en matière d’approvisionnement et de résidence de leur personnel. Le président de l’EFPIA, Stefan Oschmann (Photo), Pdg de Merck, plaide ainsi pour une « flexibilité temporaire » nécessaire dans l’intérêt des patients.
La directrice générale de l’EFPIA, Nathalie Moll, a déclaré de son côté en décembre : «Alors que pour la plupart des secteurs, les problèmes sont avant tout économiques, pour le secteur de la santé, les principales préoccupations sont la sécurité des patients et la santé publique. Une sortie désordonnée de l’UE par le Royaume-Uni a des conséquences très réelles et tangibles sur la sécurité des patients et la santé publique au Royaume-Uni et dans l’ensemble de l’Europe. Nous espérons que les politiciens britanniques prendront cela en considération lors du vote. »
A une semaine du Brexit, le patron de l’EFPIA s’inquiète dans le journal belge « Le Soir » des conséquences d’un possible « no deal » (1) aux coûts énormes : « Les entreprises se préparent sérieusement à un scénario « sans accord ». Chaque entreprise a ainsi apporté des changements dans ses chaînes d’approvisionnement des produits à la suite du Brexit. Il s’agit notamment de faire des réserves de médicaments, de dupliquer les essais, de transférer des licences et de planifier l’expédition de médicaments à destination et en provenance de l’UE sur des ferries loués par le gouvernement britannique via six nouvelles routes portuaires. Des isotopes médicaux pour le traitement du cancer, ainsi que d’autres approvisionnements ayant une courte durée de conservation, pourraient être transférés par avion dans ce qui s’annonce être l’un des plus grands défis logistiques de la chaîne d’approvisionnement auxquels notre industrie et nos partenaires services de santé n’ont jamais fait face, conclut Stefan Oschmann. Le 29 mars marquera à l’évidence un tournant historique sans précédent dans le secteur de la santé anglais.
Jean-Jacques Cristofari
(1) En cas de Brexit « sans accord », la richesse produite du Royaume-Uni serait amputée de 57,3 milliards d’euros par an, soit presque 900 euros par habitant, et celle de l’Union européenne de 40,4 milliards, révèle jeudi une étude de l’institut Bertelsmann. La France serait affectée de l’ordre de 7,7 milliards d’euros. « Le Brexit pourrait sérieusement endommager les fondations de la plus grande zone économique du monde et Bruxelles et Londres doivent faire tout ce qui est en leur pouvoir pour parvenir à un accord », note Aart de Geus, le président de l’institut allemand. Dans le cas de figure d’un Brexit « avec accord », le Royaume-Uni ne perdrait plus « que » 32 milliards d’euros par an, et l’Europe 22 milliards d’euros.
Journaliste spécialisé en économie de la santé En savoir plus ...