[singlepic id=840 w=320 h=240 float=left]La réforme des retraites en cours de débat au Parlement et le Projet de loi de financement de la Sécu pour 2014 (PLFSS) qui va suivre n’anticipent pas l’arrivée imminente de la génomique. A l’horizon 2050, la médecine réparatrice des gènes permettra à la fois un extraordinaire allongement de l’espérance de vie – 120, 130, 150 ans – et la suppression du caractère aléatoire de la maladie. Cette double révolution provoquera une explosion des systèmes de protection sociale fondés sur le principe de la solidarité, selon lequel les jeunes financent la retraite des anciens et les biens-portants les soins des malades. Un système assurantiel fondé sur le calcul du coût social de chaque individu établi sur la base du séquençage de son génome se substituera à la protection sociale collective. Explications.
L’espérance de vie progresse d’un trimestre tous les ans. Elle s’établit aux alentours de 78 ans pour les femmes et de 75 ans pour les hommes. Ce rythme – relativement linéaire depuis 3 décennies – justifie les réformes de retraites, entreprises un peu partout en Europe, repoussant l’âge légal de départ en retraite et/ou le nombre d’années de cotisations nécessaires pour aspirer à un repos bien mérité. Mais, d’arithmétique, la progression de l’espérance de vie va devenir géométrique. Grâce au progrès des thérapies géniques, l’homme pourra d’ici une à deux générations vivre facilement, 120, 150, 200 ans. Certains pronostiquent même 1000 ans. Cette évolution inédite de la longévité n’est pas une vue de l’esprit mais une perspective réelle comme le montrent plusieurs exemples.
Le prix Nobel de médecine vient d’être attribué à deux chercheurs américains et à un allemand pour leurs travaux sur les vésicules, le système de transport cellulaire qui assure « la livraison » des hormones et des neurotransmetteurs aux bons endroits et aux bons moments. La défaillance de ces transporteurs peut entrainer le développement de maladies neurologiques ou immunitaires ou encore le diabète à la manière d’une éclisse mal vissée qui peut provoquer le déraillement d’un train…. Les recherches récompensées permettent de mieux comprendre les causes des erreurs d’aiguillages des vésicules, ce qui ouvre la voie à la mise au point de thérapies réparatrices.
En septembre 2013, les instituts américains de la santé on accepté de financer, à hauteur de 25 millions de dollars, 4 projets de recherche dont l’objet est de réaliser, dès 2014, le séquençage du génome de tous les nouveau-nés. Le séquençage – dont le coût unitaire ne dépasse pas une centaine de dollars – permettra de lire le potentiel génétique des bébés recrutés pour ce programme et de connaitre leur prédisposition à telle ou telle maladie. Ces « volontaires » seront suivis pendant 5 ans afin de déterminer le meilleur moyen d’utiliser ces informations médicales prédictives. [singlepic id=833 w=220 h=140 float=right]Pour le Dr Laurent Alexandre (photo), président de la société DNA-vision, spécialisée dans le séquençage, ce genre de programme arrivera prochainement en France. « 100% des bébés seront séquencés en France en 2020 » prédit-il. Dans un livre (*) retentissant publié en 2011, ce médecin hors normes – urologue, il a fait Science-Po et l’ENA et a créé dans les années 90 Doctissimo, le site d’information médicale grand public de référence – estime que « « La génomique et les thérapies géniques, les cellules souches, la médecine des protéines-chaperons et des nanotechnologies réparatrices, l’hybridation humain-machine permettent d’envisager une croissance de l’espérance de vie en bonne santé beaucoup plus rapide que ce que la société envisage généralement. Cette médecine de la résilience devrait repousser les limites de notre longévité dans des proportions inimaginables il y a seulement trente ans. Il est probable que l’espérance de vie doublera déjà au cours du XXIème siècle, et l’obtention d’une quasi-immortalité ne serait plus qu’une question de temps ». Ce qu’il appelle la « grande convergence NBIC » c’est-à-dire le mariage des nanotechnologies, de la biologie, de l’informatique et des sciences cognitives devrait permettre d’atteindre une espérance de vie de 1000 ans…..
[singlepic id=835 w=220 h=140 float=left]Le généticien Miroslav Radman (photo), de l’Université Paris-Descartes travaille sur une bactérie – la Déinococcus – dont les caractéristiques pourraient permettre de « prolonger la vie humaine au delà de ce qui est imaginable aujourd’hui ». Il a publié, en septembre 2013, un article dans lequel il démontre que l’oxydation des protéines est la cause et non la conséquence de la dégénérescence cellulaire et donc du vieillissement. Sa bactérie bloquera le processus d’usure des protéines qui pourraient ainsi indéfiniment protéger les molécules de tout processus de vieillissement. « Ce serait le grain de sable qui viendrait ralentir, sinon arrêter le tic-tac de notre horloge biologique. D’ici à une dizaine d’années, nous pourrions disposer d’un vaccin qui nous prémunirait contre le vieillissement et les maladies qui l’accompagnent » explique-t-il. A Houston, le séquençage est entré dans une phase clinique. Une équipe du Baylor College of Medicine a séquencé l’exome – l’ensemble des gènes codant des protéines – de 250 patients atteints de maladies neurologiques et a identifié la mutation génétique à l’origine de la pathologie chez un quart des patients. Pour Laurent Alexandre, « c’est le début de l’industrialisation du séquençage ».
[singlepic id=832 w=220 h=140 float=right]Une révolution de la protection sociale
Et il ne s’agit là que de quelques exemples des travaux qui, dans les laboratoires du monde entier, préparent un avenir dans lequel les hommes vivront très longtemps et porteront en bandoulière ou plus exactement sur une puce ou un quelconque support informatique le séquençage de leur génome. Le dossier médical personnel de demain n’indiquera pas les antécédents médicaux mais les événements médicaux à venir et le moment de leur survenu. Cette révolution médicale impliquera une révolution de la protection sociale qui, de collective deviendra individuelle. Les systèmes mis en place au XXe siècle et particulièrement après la seconde guerre mondiale sont fondés sur une double solidarité : intergénérationnelle pour les retraites (les actifs financent les pensions de retraites) et sanitaire pour la maladie (les biens portants payent les soins des malades). La solidarité couvre un risque collectif pour l’ensemble de la population et aléatoire pour chaque individu. Chacun ignore le nombre d’années qu’il a à vivre et s’il sera malade. C’est cela qui va changer. Avec la médecine génétique et prédictive, le risque individuel ne sera plus aléatoire mais prévisible et donc quantifiable et valorisable. Avec le génome séquencé et le parcours biologique connu à l’avance de toute la population, il sera possible de connaitre le coût social de chaque individu. La protection sociale collective n’aura plus d’intérêt. Il sera possible de doter chaque individu d’un compte social personnel (CSP) qu’il lui appartiendra de créditer et d’équilibrer. Votre programme génétique indique que vous avez une prédisposition au cancer qui se révèlera à votre soixantième année. Le coût du traitement peut être prédéterminé, comme un devis pour travaux. Votre responsabilité est de créditer votre CSP pour assurer le coût de votre traitement….
Recul de la retraite[singlepic id=834 w=360 h=180 float=left]
Cette connaissance individuelle du profil génétique ouvre aussi la voie à une révolution dans le domaine de la retraite. Là aussi, les règles collectives de la solidarité – âge légal, durée de cotisation – n’auront plus de sens. Pourquoi imposer les mêmes critères à celui qui a espérance de vie programmée de 91 ans et celui dont le pronostic de vie est de 163 ans ? C’est totalement inégalitaire et inéquitable. L’équité consistera à ne plus fixer un âge légal de retraite et un nombre d’années de cotisation égal pour tous, mais à déterminer un nombre d’années de retraite auquel chacun a droit qu’elle que soit l’espérance de vie inscrite dans son génome. On pourrait, par exemple, déterminer que chacun a droit à 20 ans de retraite. Celui dont le temps de vie génétiquement prévu est de 138 ans devra donc travailler jusqu’à 118 ans et créditer son compte social personnel pour financer sa retraite tandis que celui qui n’a qu’un potentiel de 95 ans sera mis en retraite à 75 ans.
Des perspectives effrayantes
Le séquençage génomique généralisé amènera d’autres bouleversements dans la vie individuelle et collective, en particulier dans le domaine de l’éducation. Le concept de coût/efficacité imposera de ne pas investir dans la formation et les études de ceux dont l’espérance de vie et les prédispositions à des maladies lourdes apparaissent à la lecture de leur génome….Ces perspectives éthiquement effrayantes ne sont pas de la science-fiction. Elles sont contenues en germe dans la révolution de la techno-médecine – selon l’expression du Dr Alexandre – qui est en marche.
Le projet de loi sur les retraites – en cours d’examen par le Parlement – qui ne réforme rien, mais modifie le curseur des annuités de cotisation et quelques paramètres financiers – et le PLFSS – qui tentent d’endiguer le déficit de l’Assurance-maladie– ne sont pas à la hauteur des enjeux. Il serait temps de regarder l’avenir au-delà de l’horizon des prochaines élections.
Philippe Rollandin
————————–
(*) La mort de la mort, Edition JC Lattes. [singlepic id=838 w=240 h=160 float=left]*