Le projet de loi de financement de la Sécu (PLFSS) pour 2018, présenté en Conseil des ministres le 28 septembre, a été adopté fin octobre par les députés. Le passage du texte au Sénat ne devrait pas changer grand chose à son architecture générale. Il prévoit, comme l’y avait engagé la Cour des Comptes dès cet été, un plan d’économies importantes en vue de ramener le déficit de la branche maladie à moins 800 millions. L’emblématique tiers payant est « neutralisé » dans le texte adopté par les députés.
Le PLFSS pour 2018 a donc été adopté par les députés le 31 octobre en 1ère lecture, par 354 voix pour contre 192, sur l’ensemble des suffrages exprimés. Le texte valide la suppression de certaines cotisations sociales salariales (3,15 %) et leur remplacement par une hausse de la CSG (+1,7 %), qui rapportera à l’avenir 22,6 milliards d’euros. Les baisses de prélèvements résultant des cotisations sociales s’élèveront à 17,7 milliards d’euros. En définitive, le gain net pour les finances publiques sera donc de 4,8 milliards d’euros.
Le déficit de la Sécu sera ramené l’an prochain à 2,2 milliards d’euros. Un niveau sans pareil depuis 17 ans. Mais le trou sera comblé au prix d’importantes économies dans le secteur de la santé, a fait savoir le gouvernement. Ainsi le déficit de l’ensemble des branches devra être réduit de quelque 3 milliards d’euros. « Nous sommes clairement sur une trajectoire du retour à l’équilibre en 2020« , a déclaré le Pr. Agnès Buzyn lors de la présentation du budget à la presse. Pour cette dernière, la prochaine loi de financement de la Sécu sera celle des « engagements tenus, de la responsabilité, de la solidarité et de la transformation ». Pour la première fois depuis 2001, le régime général auquel sont affiliés les salariés du privé sera l’an prochain, de l’avis du gouvernement, en léger excédent de 1,2 milliard d’euros. Les branches accidents du travail (+ 500 millions d’euros), retraites (+ 200 millions d’euros) et famille (+ 1,3 milliard d’euros) seront donc en excédent. Seule la branche maladie restera déficitaire de 800 millions d’euros (contre 3,6 milliards en 2017). Mais la réduction du déficit de celle-ci atteindra un niveau spectaculaire (-3,3 milliards en une année).
4,4 milliards de dépenses nouvelles
Pour redresser les comptes de la Sécu, les économies seront « importantes » dans le secteur de la santé, qui verra ses dépenses avoisiner l’an prochain les 195 milliards d’euros, avec un ONDAM appelé à progresser – au grand dam de la Cour des Comptes – de 2,3 %, – soit + 4,4 milliards de dépenses nouvelles – alors même que la tendance naturelle d’évolution des dépenses de santé est plus proche de 4 %, du fait du vieillissement de la population, de la progression continue du nombre de malades chroniques et du coût de certaines innovations thérapeutiques, en particulier dans le traitement des cancers. En contrepartie, il faudra cependant trouver 3,6 milliards d’économies nouvelles. Et de ce côté là, les industriels du médicament seront appelés, une fois encore, à verser leur obole.
Ainsi, comme attendu, les principales économies – près de 1,5 milliard d’euros – seront bien recherchées dans les médicaments via des baisses des prix et de leur consommation, sur un total de 3,6 milliards attendus dans la santé. Les hôpitaux ne seront pas non plus épargnés : la restructuration de l’offre de soins (optimisation des achats, économies dans les services) devrait leur permettre de d’engranger 1,46 milliard d’euros d’économies. 2 milliards devraient être dégagés en développant l’ambulatoire, en faisant des économies sur les transports sanitaires et en accentuant la lutte contre les fraudes. En contrepartie, les établissements de santé verront leurs recettes augmenter du fait de la revalorisation du forfait hospitalier dont le montant, inchangé depuis 2010, passera de 18 à 20 euros. La mesure sera, pour l’essentiel à la charge des mutuelles, qui auront à rembourser 200 millions d’euros supplémentaires, ce qui ne fait pas franchement leur affaire. D’autant que la suppression des restes à charges pour les prothèses dentaires, les lunettes et les prothèses auditives leur pendent au nez. De leur côté, les associations de patients craignent par avance une hausse des tarifs des contrats. La Mutualité Française n’a pas exclu cette dernière hypothèse. Du côté de l’assurance-maladie, la nouveauté sera la création d’un fond pour l’innovation organisationnelle. Constitué de plusieurs centaines de millions d’euros, ce fonds doit permettre de financer des dépenses d’un genre nouveau : la rémunération aux parcours de soins des patients, qui devrait se substituer en partie à la rémunération à l’acte, diverses mesures pour favoriser le recours à la télémédecine, que la ministre de la Santé veut voir généralisé au deuxième semestre 2018 comme une réponse aux déserts médicaux qui font florès aux quatre coins du pays.
Côté recettes, la branche maladie pourra compter sur la reprise de l’emploi, de la masse salariale (+3,5 % selon les prévisions gouvernementales), et donc des cotisations sociales, sur celle de la CSG (+1,7 % affecté à la Sécu, compensant la baisse des cotisations frappant les salariés ) ainsi que sur la hausse progressive du prix du tabac, qui atteindra 10 euros d’ici fin 2020, qui génèrera 13 milliards d’euros de recettes, un montant qui sera cependant loin de compenser le coût « médical » du tabac (47 milliards d’euros). Enfin, des efforts seront demandés aux administrations de la Sécurité sociale qui devront diminuer de 15 % leurs frais de fonctionnement sur quatre ans.
Consultation publique sur la stratégie nationale de santé
Pour le proche avenir, la ministre de la Santé vient de mettre en place une vaste consultation publique sur Internet en vue de permettre aux Français de s’exprimer sur son projet de stratégie nationale de santé (SNS), après la phase de concertation menée depuis le mois de septembre avec les autres ministères et avec les représentants du secteur de la santé, des élus et des usagers. Quatre thèmes prioritaires ont été identifiés : promotion de la santé et prévention, lutte contre les inégalités sociales et territoriales, qualité et pertinence des soins, innovation et place des citoyens dans la gouvernance du système de santé. Reste que l’architecture de la SNS se voit privée d’un outil de nature à favoriser un meilleur accès aux soins et à réduire les inégalités sociales de santé. Il s’agit du tiers payant généralisé – présenté hier comme le marqueur social du gouvernement Hollande – dont la mise en place pour le 30 novembre prochain est estimée « irréaliste » à l’IGAS, qui suggère dans son rapport (1) « de dissocier les calendriers de déploiement entre assurance-maladie obligatoire (AMO) et assureurs maladie complémentaire (AMC) ». Sur la part qui concerne les organismes complémentaires, la mission de l’Inspection suggère de séquencer la mise en place en deux étapes : d’abord les professions les plus avancées (auxiliaires, radiologues, centres de santé), puis les professions les plus éloignées du tiers payant en part complémentaire (médecins et chirurgiens-dentistes notamment). Un schéma qui lui parait « de nature à favoriser l’adhésion progressive des professionnels de santé au tiers payant tout en répondant aux demandes croissantes des usagers. »
Suppression du tiers payant obligatoire
En attendant le déploiement des préconisations de l’IGAS, la ministre de la Santé a rappelé, fin octobre au Parlement, son engagement de remettre le 31 mars prochain un rapport qui, « d’une part, exposera le calendrier de la faisabilité du tiers payant qui se doit d’être généralisable, c’est-à-dire accessible à tous, et, d’autre part, identifiera les populations qui devraient pouvoir bénéficier du tiers payant obligatoire, s’ajoutant ainsi à celles qui en bénéficient déjà. » Jusqu’à cette date les patients bénéficiant de la couverture maladie universelle complémentaire – CMU-C –, et de l’aide au paiement d’une complémentaire santé – ACS –, les femmes enceintes ainsi que les patients atteints de maladies chroniques reconnues en tant qu’affections de longue durée continueront de bénéficier du tiers payant généralisé. « La question porte donc sur l’extension du tiers payant sur la part complémentaire que nous ne savons pas mettre en place aujourd’hui », a ajouté Agnès Buzyn (photo). « Je veux vous dire également mon attachement à ce que le tiers payant se généralise pour les consultations médicales, comme cela a été le cas pour les médicaments, et ma détermination à faire aboutir les travaux qui permettront de rendre le système simple d’utilisation pour les professionnels », a ajouté la ministre le 24 octobre.
Au total, le tiers payant dit « intégral » pour « des publics prioritaires » « au delà des publics déjà couverts » sera bien « généralisable » à l’avenir et proposé aux assurés, pour peu que les solutions techniques soient trouvées et applicables. Il ne sera plus « obligatoire », de l’avis de la ministre. « Une concertation, avec l’assurance maladie obligatoire, les complémentaires, les représentants des professionnels de santé, des assurés et des éditeurs de logiciels sera menée au cours des prochains mois afin de définir un calendrier précis de mise en œuvre opérationnelle et technique du tiers payant intégral « , note encore l’exécutif « . Il faudra donc attendre le 31 mars 2018, date à laquelle le gouvernement devra remettre au Parlement un rapport sur le calendrier de mise en œuvre opérationnelle du tiers payant intégral. « Quand on veut enterrer un problème on créé une commission », disait-on hier au PS. Aujourd’hui, on diligente un rapport ! « Le précédent gouvernement avait fait semblant de mettre en place le tiers payant. L’actuel fait semblant de le supprimer », souligne à son sujet, non sans humour, le Dr Gilles Urbejtel, trésorier du syndicat des généralistes MG France. Seule certitude du moment : le tiers payant généralisé a bel et bien été neutralisé. Une décision qui satisfait pleinement la centrale pluricatégorielle des médecins libéraux, la CSMF, qui y voit une « rupture avec le dogmatisme du précédent quinquennat » et « ouvre la voie vers un dialogue constructif ». Le gouvernement d’Emmanuel Macron vient ici de tendre la main aux médecins libéraux. Reste à savoir si cette réconciliation sera durable. En attedant, l’Assemblée nationale a donné son feu vert à la possibilité d’expérimentations par les professionnels de santé sur un territoire. « Nous savons tous les blocages et parfois les difficultés qu’ont les professionnels qui souhaitent s’organiser sur un territoire pour promouvoir des organisations innovantes », a plaidé Agnès Buzyn, en citant les délégations de tâches entre professionnels, la prévention dans les parcours de soins et encore le cloisonnement entre ville et hôpital. Soit autant de sujets qui agitent le secteur de la santé depuis des années.
Jean-Jacques Cristofari
(1) « Evaluation de la généralisation du tiers payant », rapport de l’Inspection générale des affaires sociales, octobre 2017
Journaliste spécialisé en économie de la santé En savoir plus ...